Le legs de Caïn. Леопольд фон Захер-Мазох

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Le legs de Caïn - Леопольд фон Захер-Мазох

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Table des matières

      Au mois de mars 1848, chaque courrier apportait de Vienne des nouvelles inquiétantes; le conducteur, en descendant de son siège, était aussitôt entouré d'une foule émue; enfin le chef-lieu polonais à son tour entendit proclamer la Constitution et vit armer la garde nationale. M. Gondola secouait toujours la tête en assurant que cela finirait mal:—Que deviendra un pauvre petit employé comme moi, disait-il, quand un Metternich lui-même...—Il achevait sa phrase en levant les yeux au ciel. Certain soir, ou lui fit un charivari. Tandis que Warwara ouvrait la fenêtre pour tirer la langue au peuple, le géant, son père, se glissa sous un lit, affolé par la peur. Dans la nuit, on alla chercher le médecin; le lendemain, il mourut. Personne ne le suivit au cimetière, sa femme exceptée; Warwara prétendit n'en avoir pas la force; aucun des collègues ni des amis du défunt ne parut aux funérailles ni chez la veuve; elle fut vite, ainsi que sa fille, oubliée, pour ne pas dire évitée. En ces jours où l'on vit pâlir tant d'étoiles, celle des Gondola s'éteignit tout à fait. Le baron Bromirski lui-même fit le mort. D'abord, les deux affligées le crurent à Lemberg; mais, à quelque temps de là, son carrosse ayant traversé la ville, madame Gondola put constater qu'il détournait la tête pour ne pas l'apercevoir à sa fenêtre. Il fallut en finir avec le luxe; toutes les sources des gros revenus étaient taries; il ne restait plus qu'une modique pension de veuve. La mère et la fille se résignèrent à de pénibles réformes, qui n'étaient pas encore suffisantes, car, moins d'une année après, tous les meubles étaient saisis dans le petit logement qu'elles habitaient au fond d'un faubourg.

      —A quoi te sert la beauté que Dieu t'a donnée? disait madame Gondola interpellant sa fille.

      —Soyez sûre que j'en tirerai bon parti, maman, avec l'aide d'un autre don du bon Dieu que je me pique de posséder: l'esprit.

      —Songe donc, en ce cas, à la triste situation de ta mère!

      Et madame Gondola s'en allait, avec un sanglot à demi étouffé, vaquer aux soins du ménage; le soir, elle se délassait en tirant les cartes. Cependant Warwara lisait des drames à haute voix.

      —Quelle idée de perdre ton temps en lectures inutiles et de crier de façon à faire croire aux voisins que nous nous disputons?

      —Je ne suis pas femme à perdre mon temps; j'apprends des rôles, parce que je compte entrer au théâtre.

      —Toi, ma fille, une comédienne!...

      —Cela vaut mieux que d'être courtisane. Ma résolution est prise, et tu sais que je ne renonce jamais à un projet. Tout sourit aux comédiennes; leur opulence égale celle des vraies princesses.

      Madame Gondola se mit en colère. Depuis lors, il y eut entre ces deux femmes de violentes et continuelles discussions. Warwara fut vite à bout de patience.

      —J'en ai assez, dit-elle brusquement un jour; je ne resterai pas une heure de plus dans ce taudis.

      —Qu'est-ce qui t'arrête? répliqua la mère; je ne te retiens pas; seule, je vivrai plus tranquille!

      Sans ajouter un mot, Warwara commença ses emballages. Après l'avoir laissée faire quelque temps, madame Gondola vint regarder la petite malle qu'elle avait traînée dans le vestibule.

      —Tu ne pourras te présenter nulle part, murmura-t-elle; tu n'as pas de quoi te vêtir.

      —J'ai ce qu'il me faut.

      —Tu avais des robes, et tu me les cachais!

      —Fallait-il les laisser prendre aux huissiers?

      —Mais nous les aurions vendues! Comment! tu ne partages pas tout avec ta pauvre mère qui te nourrit? Voilà bien les enfants, sans tendresse, sans reconnaissance!..

      —Écoute donc, maman! et d'abord laisse-moi rire. Je n'aurais rien du tout si je n'avais pas pris le soin de faire disparaître sous une planche du grenier deux de mes robes de soie et ton manteau de velours.

      —Quoi! mon manteau!

      Madame Gondola se jeta sur la malle et tira le vêtement par un bout, tandis que sa fille le retenait par un autre. Ce fut entre ces deux mégères une querelle de chattes en fureur; elles criaient, crachaient, griffaient à l'envi. Enfin la plus vieille perdit haleine:

      —Garde-le donc! va-t'en comme une voleuse! Tu es libre!

      Warwara remit le manteau dans la malle, qu'elle ferma, puis elle secoua une petite bourse devant le visage de sa mère:

      —Vois-tu, j'ai aussi de l'argent!

      Madame Gondola tomba évanouie; sa fille sortit, en quête de quelque moyen de transport. Après avoir longuement marchandé avec un juif qui se rendait à Lemberg, elle rentra chez elle et, appuyée contre la fenêtre, attendit le passage de la butka.

      Madame Gondola, revenue de sa syncope, était en train de chercher la bonne aventure dans les cartes; tout à coup, elle dit d'une voix adoucie et en ayant recours aux cajoleries du diminutif:

      —Warwarouschka, pourquoi le théâtre? Un beau mariage t'attend.

      —Je le trouverai plus aisément au théâtre qu'ailleurs, répondit Warwara d'un ton sec.

      Les roues de la butka ébranlaient déjà le pavé; la longue voiture de forme orientale, couverte d'une toile et chargée de juifs pauvres des deux sexes, s'arrêta devant la porte.

      —Adieu! dit la fille.

      —Adieu! répondit la mère.

      Elles se séparèrent ainsi.

      Warwara, montant lentement dans le chariot, d'où s'exhalait une forte odeur d'ail, prit place entre une marchande de volaille et un boucher. Les chevaux partirent au trot. Après une course de quelques heures à travers la plaine désolée qu'entrecoupaient à de rares intervalles quelques collines basses, un village ou un bouquet de saules, ils s'arrêtèrent devant une auberge juive où, de temps immémorial, les voyageurs pour Lemberg avaient passé la nuit. Warwara n'obtint pas de gîte sans quelque peine; encore était-ce une mauvaise petite chambre humide au rez-de-chaussée; l'unique fenêtre qui ouvrait sur la cour était rapiécée par des morceaux de papier de toutes couleurs; sur le lit, il n'y avait qu'une méchante paillasse et un matelas; mais enfin c'était une chambre. Les appartements habitables se trouvaient être retenus par des personnages de plus haute importance, dont les gens devaient loger dans les calèches qui encombraient la cour. Toute la société juive, parfumée d'ail, s'installa aussi pour la nuit sous la tente de la butka.

      Warwara s'assit devant une des tables de la salle à manger; elle avait faim. On ne put lui offrir que des oeufs, dont elle se contenta en y trempant des mouillettes de pain bis. Non loin d'elle, un jeune homme, le front appuyé sur ses deux mains, semblait dormir. Le bruit que fit un couteau en tombant l'éveilla; il leva deux grands yeux bleus sur la jeune fille et sembla stupéfait, presque effrayé. Peut-être cette blonde image sortie trop brusquement du brouillard de ses rêves se mêlait-elle encore à l'un d'eux. Avec un trouble charmant, il rougit, mit la main devant ses yeux et ôta son bonnet pour saluer l'éblouissante apparition.

      Warwara répondit avec une négligence coquette, comme toute Polonaise de race répond au salut

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