Le legs de Caïn. Леопольд фон Захер-Мазох
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—Maintenant, dit le galant inconnu, pardonnez-moi une question qui risquerait de vous paraître inconvenante si je n'étais pas un homme grave, un homme marié... Vous êtes-vous pourvue de linge de lit?
—Je n'y ai pas pensé.
—Permettez-moi donc d'améliorer votre gîte de mon mieux, sans que vous ayez à vous en occuper.
Warwara resta la bouche entr'ouverte de surprise, ce qui, du reste, lui allait très-bien. Un malaise vague et indéfinissable s'était emparé d'elle.
—Vous êtes marié? Votre femme est-elle belle?
—On le dit, répliqua négligemment le jeune homme.
—Et vous l'aimez, par conséquent?
—Mon Dieu! dit l'étranger avec un sourire, en jetant du sucre dans une tasse que lui apportait la servante, nous nous supportons!
Il se fit un silence, pendant lequel la porte grinça piteusement sur ses gonds, pour livrer passage à un nouvel hôte. Coiffé d'un bonnet gris, enveloppé dans son manteau de voyage, il grondait le domestique qui portait ses bagages. Répondant avec hauteur à l'humble accueil de l'aubergiste juif, il se jeta sur le vieux canapé, puis se mit à examiner ses voisins. Warwara reconnut le baron Bromirski; il la reconnut aussi et souleva son bonnet, mais elle n'eut pour lui qu'un regard dédaigneux. Le vieux fat parut courroucé de cette indifférence; il se tourna brusquement vers son domestique et lui demanda sa pipe turque.
—Vraiment, vous êtes marié? répéta Warwara, s'adressant à l'étranger. Mais pourquoi ne pas vous asseoir? ajouta-t-elle, lorsqu'elle eut remarqué qu'il restait debout comme un serviteur.
Il s'inclina respectueusement et prit place en face d'elle, ce qui lui fit tourner le dos au vieux Bromirski, puis, répondant à la première question de Warwara, tendit vers elle une belle main très-soignée:
—Voyez mes chaînes.
—Oh! ces chaînes-là sont faciles à rompre, dit en riant la jeune fille, surtout chez nous, où les plus fidèles vivent séparés de leur seconde femme...
Elle retira cependant de son doigt l'anneau nuptial avec un soupir à demi moqueur, le fit glisser sur le sien, puis le rendit lentement au jeune homme, qui rougit de nouveau. Ils causèrent comme causent des gens qui ne se connaissent pas. Peu leur importaient les paroles sorties de leurs lèvres; la musique de leurs voix confondues suffisait à les enivrer. L'étranger s'amusait à faire danser la flamme bleue du punch; Warwara broyait dans sa main des sucreries dont elle répandait les miettes sur la nappe; bientôt elle s'aperçut qu'il ramassait ces miettes pour les porter à ses lèvres, et une secrète joie l'envahit, car elle avait compris qu'elle produisait sur lui quelque impression. Interrompant ce jeu, elle passa tout à coup à un autre, qui consistait à pétrir des boulettes de mie de pain et à les lancer dans toutes les directions. Elle toucha le front du juif, qui secoua ses boucles noires en regardant autour de lui d'un air étonné; elle tira sur le chien qui dormait sous le buffet; elle fit sonner les vitres et inquiéta une multitude de mouches collées sur le chandelier comme des grains de raisin sec.
—Pourquoi ne me prenez-vous pas pour cible? demanda en riant l'étranger.
Elle ne se le fit pas dire deux fois; mais lui, se dérobant à la grêle qui l'atteignait, vint saisir ses deux mains agressives. Warwara parut offensée.
—Si j'ai manqué au respect que je vous dois, dit-il en reculant d'un pas, punissez votre esclave.
Elle éclata de rire et le frappa au visage d'une de ses tresses qui s'était détachée.
—Les magnifiques cheveux! s'écria le jeune homme.
—Vous ne devez pas faire de ces remarques-là, monsieur... un homme marié...!
—J'ai cependant le droit de baiser la verge, dit-il.
Et avant qu'elle eût compris, il avait pressé la tresse blonde contre ses lèvres.
Rien n'irrite davantage un homme que de passer inaperçu aux yeux d'une femme qui en même temps reçoit et encourage les hommages d'un autre. Si Warwara avait eu l'intention d'ensorceler le baron, elle n'eût pu s'y prendre mieux.
Bromirski souffla quelques bouffées formidables de sa pipe turque, se leva, se promena de long en large, s'approchant de plus en plus de la table où les deux jeunes gens étaient assis, puis s'éloignant avec effroi. Enfin il se sentit assez maître de lui pour dire à Warwara:
—Mademoiselle, vous semblez ne plus me reconnaître.
—Vraiment, monsieur, répondit-elle avec un calme écrasant, je ne sais à qui j'ai l'honneur...
—Rappelez vos souvenirs, un vieil ami de votre pauvre père...
—Vous vous servez d'une bien mauvaise recommandation, interrompit Warwara; tous nos amis ne valent pas cela!—et elle fit claquer ses doigts;—nous avons pu les apprécier dans le malheur.
—Je ne mérite pas d'être confondu avec les autres, puisque j'étais à l'étranger...
—Oui, oui, je vous reconnais maintenant, dit Warwara.
Et elle eut la malice de présenter les deux hommes l'un à l'autre.
—Monsieur?...
—Maryan Janowski, dit le plus jeune.
—Monsieur Maryan Janowski, je vous recommande M. Baruch-Pintschew, qui vendait à feu mon père du sucre et du café au plus juste prix.
—Quelle folie! bégaya le baron, devenu tout pâle; je suis le baron Bromirski, Lucien Bromirski.
—Mon Dieu! qu'ai-je dit? s'écria mademoiselle Gondola; je me suis trompée... mais c'est votre faute, baron...
Maryan Janowski s'en alla vaquer, comme il l'avait dit, à l'arrangement de la chambre de sa nouvelle amie, et Warwara profita de son absence pour interroger le juif sur lui. Elle ne se gênait nullement devant Bromirski, de plus en plus irrité. Elle apprit donc par le juif—qu'est-ce que les juifs ne savent pas?—que Maryan Janowski était le fils d'un propriétaire du cercle de Przemysl, que son père ne lui avait laissé que beaucoup de dettes, que son village venait d'être vendu par autorité de