Le legs de Caïn. Леопольд фон Захер-Мазох

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Le legs de Caïn - Леопольд фон Захер-Мазох

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ce devait être le signal de quelques splendides réjouissances, et jamais l'attente de l'honnête noblesse campagnarde ne fut déçue; aujourd'hui encore, ceux de ses membres qui ont survécu à cette époque racontent les féeries imaginées par la baronne Bromirska. Elle monta une fois avec Lindenthal dans un traîneau qui représentait un ours blanc emporté par six chevaux noirs. Vêtue comme une czarine, coiffée d'un kalpak élevé à plumes de héron, elle jetait à la foule enthousiaste des poignées de ducats qui ne sortaient pas de ses coffres. Sur l'étang gelé, on construisit au mois de janvier un petit palais de glace dont le portail était précédé de deux dauphins crachant des flammes. Au carnaval c'était des bals masqués, des cortèges où figurait Warwara en Vénus triomphante sur un char de forme antique. L'été suivant eurent lieu des régates tout à fait extraordinaires, les bateaux finissant par donner la chasse à une baleine de carton qui fut traînée ensuite, à l'aide de harpons d'argent, devant la reine de la fête. Sur une estrade se tenaient des musiciens en costumes turcs et, lorsque la nuit se répandit, l'étang et ses bords étincelèrent soudain de lanternes de couleurs comme prélude au plus brillant des feux d'artifice.

      Dans le tourbillon d'une pareille vie, Warwara n'oubliait pas l'administration de ses terres; en même temps elle augmentait ses revenus par d'habiles spéculations. Rien n'échappait à sa surveillance âpre et impitoyable. Le fermier de son moulin ne pouvant payer exactement, avait demandé en vain un sursis; en vain sa femme s'était-elle jetée aux pieds de la baronne; il fut accusé, condamné et une commission vint de Kolomea pour procéder à l'exécution légale. Tout étant fini, ces messieurs furent priés de dîner à la seigneurie, selon un vieil usage auquel ne pouvait échapper la baronne, bien qu'elle le désapprouvât. Quelle surprise pour Warwara lorsque, entrant dans la salle à manger, elle se trouva en face de Maryan Janowski! Le jeune homme impressionnable rougit jusqu'aux yeux; la femme froide, prudente et hardie, perdit elle-même quelque peu contenance. Néanmoins elle se remit promptement, lui tendit la main et s'écria:

      —Quel heureux hasard!

      Puis elle força M. Janowski de s'asseoir auprès d'elle à table et quand, le dîner terminé, les convives prirent place à la table de jeu, Warwara appela Maryan auprès d'elle sur un petit divan turc, à l'autre extrémité du salon.

      —Dites-moi avant tout, mon ami, demanda-t-elle avec aisance, pourquoi, puisque nous sommes si proches voisins, vous ne m'avez jamais rendu visite?

      —Je vous prie, madame la baronne, de considérer ma position...

      —Vous êtes marié, c'est vrai! dit Warwara d'un ton moqueur.

      —Ce n'est pas seulement cela, répondit Maryan avec calme, je suis encore greffier du tribunal de Kolomea.

      —Je ne comprends pas...

      —Vous ne comprenez pas que je suis pauvre et que vous êtes riche? Vous ne comprenez pas qu'un honnête homme ne saurait être tenté par le rôle de parasite?

      —Je désire pourtant vous voir, dit la baronne, sa main blanche comme l'hermine mollement posée sur celle de Maryan, vous voir très-souvent... Je ne vous ai pas oublié, moi, bien que vous paraissiez, ajouta-t-elle très-bas, avoir effacé tout à fait de votre coeur certains souvenirs qui me sont chers.

      —War... madame!...

      —Point de paroles, interrompit Warwara; donnez-moi des preuves sérieuses de repentir, et je verrai si je dois vous pardonner.

      Elle lui pardonna, car il revint souvent. Bien que l'honnêteté mît un sceau sur ses lèvres, il laissait lire dans ses yeux bien des choses qui, reliées et dorées sur tranche, se nomment de la poésie. Maryan était trop fier pour parler de ce qui reposait au plus profond de son âme, comme dans un sépulcre; il employait donc tous les moyens pour ne pas se laisser entraîner à de périlleuses conversations. Il y avait par exemple un échiquier sur la petite table devant le divan turc. Maryan plaçait cet échiquier entre lui et Warwara, qui toutes les fois l'amenait à se rendre.

      —Comment peut-on jouer aussi mal? dit-elle un jour; il n'y a pas de plaisir à vous battre. Faites donc attention!

      —Je suis tout attention, répliqua Maryan et c'est justement ce qui me trouble.

      —A quoi faites-vous donc attention?

      —A vos mains.

      Ses mains étaient en effet fort belles. Elle le savait et sourit.

      —Quand vous tenez suspendue au-dessus du damier cette main qui pourrait être un chef-d'oeuvre de statuaire, continua le jeune homme, j'ai toujours l'impression qu'il vous serait aussi facile de toucher ma poitrine et de saisir mon coeur.

      —Ah! et qu'en ferais-je?

      —Une pelote à épingles peut-être.

      Un jour Maryan vint dans l'après-midi. Il faisait si beau que Warwara ne voulut pas le retenir à jouer et proposa une promenade.

      Elle mit son grand chapeau de paille, prit son ombrelle et s'en alla gaîment avec lui à travers les ondes mûrissantes des blés, du côté du village d'Antoniowska. Le soleil brûlait, l'air était lourd à étouffer, de grands nuages blancs se gonflaient comme des voiles et montaient vite sans qu'on sentît le souffle qui les poussait en avant. Les oiseaux se taisaient, on n'entendait que le coassement des grenouilles et la chanson des cigales. Par un temps semblable, on cherche l'ombre. Warwara s'assit sur la lisière d'un verger; Maryan se tenait debout à quelques pas, la regardant mordiller un épi de blé:

      —Je suis fatiguée, dit-elle; cette chaleur est insupportable.

      —Nous aurons de l'orage, répliqua Maryan sans se rapprocher.

      —Croyez-vous?

      Comme le silence se prolongeait:

      —En pareil cas, pensa la baronne, la littérature est la meilleure ressource.—Et elle entama une comparaison entre les romans français et anglais à laquelle Maryan ne s'attendait guère; il s'y jeta cependant à corps perdu pour sortir d'embarras. Tous deux parlaient avec tant de feu qu'ils ne remarquèrent pas ce qui se passait au ciel. De grosses gouttes de pluie les avertirent de gagner le village. Warwara cherchait en vain à s'abriter sous son ombrelle; une forte grêle se mêlait à des torrents d'eau.

      —Nous serons lapidés! criait-elle.

      Maryan l'entraîna, éperdue, jusqu'à la plus proche chaumière qui se cachait sous les pommiers et les buissons de syringa. Il en poussa la porte, et aussitôt une grosse poule mouchetée, effrayée de cette irruption, sauta sur la table avec des gloussements de détresse, puis de la table sur le poêle où elle continua de s'agiter.

      —Les gens de la maison doivent être aux champs, dit la baronne, et moi je suis trempée; si l'on pouvait faire un peu de feu pour se sécher!

      Maryan eut vite trouvé du bois résineux et quelques brins de fagot qui remplirent le poêle de pétillements pareils aux coups de fusils d'une bataille.

      —La paysanne a sûrement des robes, dit-il ensuite, il faut que vous changiez de vêtements sous peine de prendre la fièvre.

      Ouvrant une armoire, il en tira quelques hardes. Warwara, assise sur une caisse peinte, s'efforçait en vain d'ôter ses bottines; le cuir était gonflé par l'humidité.

      —Permettez-moi de

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