Pile et face. Lucien Biart
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Lucien Biart
Pile et face
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066086251
Table des matières
DEUXIÈME PARTIE
PREMIÈRE FARTIE
I
LE MARQUIS DE LA TAILLADE.
René-Alexis Baudoin, comte de Valonne et marquis de La Taillade, naquit en 1796 d'un père ruiné par la Révolution. Sa mère mourut deux ans plus tard en lui donnant une sœur, et, en 1804, les deux enfants, devenus orphelins, héritaient chacun de huit cents francs de rente.
La nature est spirituelle comme une Célimène à notre égard; elle se moque avec malice de nos distinctions sociales. Alexis de La Taillade, qui ne comptait parmi ses ancêtres que ducs, comtes et marquis, fut, dès son bas âge, un rustre des mieux réussis. On eût en vain cherché la race chez ce butor trapu, gauche, au front étroit, à la bouche niaise, au rire bruyant. Certes, ce n'était pas un méchant garçon qu'Alexis, mais une de ces organisations dont le moral et le physique sont à l'unisson, un de ces êtres nés pour l'engrais, comme notre espèce en compte par milliers. Aujourd'hui que les immortels principes de 89 ont remis chaque chose à sa place, on rit de certaines phrases autrefois consacrées, et la noblesse elle-même sait que les belles épaules ne sont pas toujours duchesses, les jolies jambes marquises, les grands pieds plébéiens.
A vingt et un ans, après une série d'aventures qui désolèrent plus d'une fois le vieux chevalier de Saint-Louis qui s'était chargé de la tutelle des deux enfants, Alexis, ne se sentant de disposition pour aucune carrière, consentit à suivre celle des armes. Son instruction, en dépit des sacrifices de son brave tuteur, n'atteignait pas jusqu'à l'orthographe. Sans 89, le jeune homme eût peut-être été d'emblée maréchal de France, comme plusieurs de ses ancêtres. On lui affirma que le fameux bâton reposait au fond de la giberne dont on lui fit hommage; il le crut et l'y chercha vainement pendant un quart de siècle. Cependant il ne maudit pas trop les réformes amenées par la grande Révolution; car, dès son entrée au service, il reconnut que ses camarades et ses chefs attachaient plus d'importance que lui-même à ses titres, ce qui l'aida à vivre selon ses goûts, c'est-à-dire dans une complète oisiveté. Je me trompe, il devint très-fort au piquet et acquit un talent hors ligne dans l'art de préparer une absinthe, talent qui lui valut ses premiers galons.
Vers 1834, Alexis passa sergent-major à l'ancienneté. Il avait alors trente-huit ans, une face écarlate, des cheveux gris, des yeux atones, des dents usées par le tuyau d'une pipe noire qu'il ne retirait d'entre ses lèvres qu'à l'heure des repas,—en un mot, toutes les allures d'un de ces hommes que l'on qualifie de dur-à-cuire, et dont l'intelligence, comme une fille de bonne maison, ne fait jamais parler d'elle.
Bien que le rire entr'ouvrît rarement la vaste bouche du sergent, ses collègues le tenaient pour un joyeux compagnon, bon enfant et pas fier. La ration journalière d'absinthe de ce descendant des croisés variait de dix à quinze verres. Entre le douzième et le treizième, sa langue se déliait un peu, et il donnait son opinion sur le gouvernement avec des demi-mots et des clignements de paupières que ses interlocuteurs feignaient de comprendre. Au quatorzième, le sergent parlait de ses amours, qui n'avaient rien de commun avec le chef-d'œuvre de Bernardin de Saint-Pierre, bien qu'il y fût question d'une Virginie. Enfin, à la quinzième rasade, Alexis devenait insupportable, répétant d'un ton sinistre les fines plaisanteries