Pile et face. Lucien Biart

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      Comment l'idée de marier son frère, qu'elle ne connaissait pas, germa-t-elle dans l'esprit de Mlle Louise de La Taillade? Comment surtout cette excellente personne réussit-elle à mener à bien cette rude entreprise? Toujours est-il qu'un matin, dans la petite ville de Houdan, vers onze heures, au milieu d'une salle ornée du buste de Louis-Philippe, devant un maire ceint d'une écharpe, René-Alexis Baudoin, comte de Valonne, marquis de La Taillade et autres lieux, épousa Mlle Eugénie de Varangue, angélique créature qui, en somme, méritait un meilleur sort.

      Mlle de La Taillade avait alors trente-six ans. Vive, spirituelle sans méchanceté, avec un bouche aux dents éclatantes, de grands yeux noirs et doux, elle était, par bonheur pour elle, l'antipode de son cher frère, élevée chez son tuteur, puis dans un couvent, elle fut ensuite adoptée par une parente éloignée, vénérable chanoinesse qui la prit en affection. Sa jeunesse s'écoula calme et paisible, au milieu de vieux amis qui fréquentaient le salon de sa nouvelle tutrice. Jusqu'à l'âge de dix-huit ans, la jeune fille, gaie comme le printemps, demeura convaincue que la vie consistait, selon la saison, à préparer des confitures ou des conserves, à faire ses pâques, à confectionner des layettes pour les enfants pauvres, à broder le soir près d'une table de jeu, à entendre raconter les splendeurs de la cour de Marie-Antoinette ou les catastrophes de la Révolution. Cette existence, qui ressemblait au bonheur, fut subitement troublée. Sans y rien comprendre, Mlle de La Taillade s'éprit d'une façon sérieuse des grâces d'un procureur du roi, le seul homme au-dessous de la cinquantaine qui visitât la chanoinesse. Le grave fonctionnaire, accoutumé à lire dans les consciences, et qui aimait à causer avec la jeune fille, ne se douta jamais de la chaste passion qu'il avait inspirée. Elle n'avait pas de dot et par conséquent pas de sexe,—du moins pour un procureur du roi pris en dehors de ses fonctions.

      Les Françaises, si vives, si spirituelles, ne se laissent-elles pas persuader un peu trop facilement qu'elles sont les femmes les plus séduisantes de la terre? On épouse une Anglaise pour son teint, une Allemande pour ses yeux bleus, une Espagnole pour sa désinvolture, une Russe pour on ne sait quoi. Les Françaises, si elles souhaitent devenir mères de famille, doivent encadrer leurs qualités morales ou physiques d'un certain nombre de billets de banque et payer comptant leur mari. Si encore, pour le prix qu'elles y mettent, elles obtenaient des époux de premier choix, on s'expliquerait à la rigueur la chevaleresque coutume de la dot. Mais non, en échange de leur beauté, de leur innocence, de leurs illusions, de leur argent, les mieux partagées se voient pourvues d'un mari blasé, qu'elles traitent plus tard en conséquence. De là nos mœurs qui, tout en valant mieux que leur réputation, ne valent certes pas grand'chose. Après le mariage, les Françaises sont à n'en pas douter les plus séduisantes des femmes; avant, ce sont les Français qui sont séduisants, puisqu'on les achète. Nous rions des Américains, qui mesurent les sentiments au poids des dollars, sans nous apercevoir que nous-mêmes nous faisons intervenir les napoléons dans l'unique contrat d'où frère Jonathan les a bannis,—le contrat de mariage. Nous vendons nos filles, et nous nous étonnons ensuite qu'elles se donnent, comme s'il n'était pas de règle de récolter ce qu'on a semé.

      Louise de La Taillade apprit à l'improviste le mariage de celui qu'elle aimait. Elle assista défaillante à la bénédiction nuptiale et rentra chez sa tante en proie à une fièvre cérébrale. La force de ses dix-huit ans triompha de la maladie et la condamna à vivre. Sa convalescence fut longue; enfin elle surmonta les douleurs de cette crise dont nul ne connut jamais la cause, et résolut de rester fille. A la mort de la chanoinesse, qui lui laissa quinze cents livres de rente, Mlle Louise dépassait déjà la trentaine; elle alla vivre successivement chez des parents éloignés, et acquit ainsi une triste expérience du monde. Blessée par l'orgueil des uns, indignée de la servilité des autres, rebutée par la sottise de tous, elle revint un beau jour frapper à la porte de son ancien tuteur, établi à Houdan. Là, prenant d'elle-même le titre de vieille fille, elle se consacra tout entière à l'ami qui avait veillé sur son enfance, et lui rendit avec usure les soins qu'elle et son frère en avaient reçus. Sur les conseils du prévoyant vieillard, Mlle de La Taillade plaça son petit capital en viager, ce qui lui produisit trois mille livres de rente. Elle commençait à croire qu'on peut vivre heureux en ce monde, lorsqu'elle perdit son tuteur, qui lui légua la maison qu'il habitait.

      Ce nouveau chagrin la jeta dans la dévotion; mais son esprit était trop juste pour qu'elle devînt jamais une bigote. Elle possédait dans Catherine, l'ancienne servante de la chanoinesse, une femme de chambre, une cuisinière, un économe et une jardinière, car la petite maison, derrière sa façade de briques, cachait un splendide jardin. Grâce à cet intendant femelle, Mademoiselle put vivre confortablement avec la moitié de son revenu, dont les pauvres de Houdan absorbèrent l'autre moitié. Il fallait voir les bonnets de coton mettre à l'air les chevelures incultes lorsque Mademoiselle se rendait à la promenade ou à l'église, légère, souriant de ce beau sourire mélancolique qui montrait ses dents toujours blanches, et saluant de la tête et du regard pauvres et riches, vieillards et enfants. Elle était de toutes les fêtes de famille; le maire, le notaire, le curé, le receveur des contributions, ces autocrates des petites villes, la consultaient. Quant aux jeunes gens des deux sexes, ils raffolaient de Mademoiselle, qui pourtant ne cherchait jamais à les marier.

      Un mariage! y songer d'abord, le caresser, le préparer, le mûrir, le voir tomber à plat, le relever et enfin le conclure: c'est là le rêve de toute femme oisive qui a dépassé la quarantaine, et Mademoiselle, malgré sa sagesse, ne devait pas échapper à la loi commune. Elle avait vécu éloignée de son frère, et son tuteur, le seul homme qui connût à fond le sergent, évitait de le nommer ou répétait qu'il ne fallait pas plus songer à ce garçon que s'il n'eût jamais existé. Un matin, pour la première fois de sa vie, Mademoiselle reçut une lettre de M. Alexis de La Taillade, lettre fort bien tournée, ma foi, d'une écriture aussi irréprochable que l'orthographe, et dont le véritable auteur était un jeune caporal, bachelier ès lettres. Cette missive, pleine de cœur, se terminait par un post-scriptum, où M. de La Taillade priait incidemment sa sœur de lui prêter une centaine de francs. Ce fut les larmes aux yeux que la bonne Mademoiselle porta elle-même au bureau de poste la lettre chargée qu'elle envoyait à son frère. Une correspondance assez suivie s'établit, et, de plus en plus convaincue que M. de La Taillade avait été calomnié ou méconnu, Mademoiselle choisit son amie, Eugénie de Varangue, pour réparer les injustices du sort à l'égard du pauvre sergent, et se prépara ainsi des remords éternels.

      Appelé à Houdan par sa sœur qu'il croyait riche, Alexis renonça au service et accourut accompagné de son secrétaire. La vue de son cher frère désappointa grandement Mademoiselle.

      «Le fond chez lui vaut mieux que la forme», se dit-elle en songeant aux lettres si bien tournées qu'elle avait reçues.

      Au bout de huit jours, toutes ses illusions étaient envolées; mais comment rompre l'union projetée? Eugénie de Varangue devint donc marquise de La Taillade.

      Mademoiselle ne désespéra pas d'abord de l'avenir et tenta de transformer son frère en gentilhomme campagnard. Elle eût voulu lui voir conquérir peu à peu ce qu'elle avait su s'assurer à elle-même, une grande considération. Elle dut renoncer bien vite à ce rêve. Dès le lendemain du départ de son ami le caporal, que l'expiration de son congé forçait à rejoindre son régiment, Alexis alla s'attabler au Soleil d'or. Un mois plus tard, il tutoyait le cabaretier, qui accueillait sa noble pratique en lui frappant sur le ventre.

      Une fois convaincue de l'inutilité de ses efforts, Mademoiselle tenta de débarrasser au plus vite son logis et la ville du soudard qu'elle y avait attiré. Elle se heurta contre un obstacle inattendu. Eugénie, élevée loin du monde par une grand'mère dévote, s'était éprise de son mari, dans lequel son imagination lui montrait un héros victime de la jalousie de ses chefs. Ne sachant rien refuser à son noble époux, la pauvre femme, enceinte de six mois, marcha vers une ruine imminente. Mademoiselle, tout en déplorant la faiblesse de son amie, respecta quelque temps cet amour. Mais à mesure que la grossesse d'Eugénie

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