Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne. Hugo Grotius

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Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne - Hugo Grotius

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CEUX QUI COMBATENT LA

       RELIGION CHRÉTIENNE.

       Table des matières

       uis que c'est pour vous que l'on écrit, il est juste que ce soit à vous qu'on s'adresse. Si l'on n'avoit pour but que de défendre la Religion contre vos doutes & contre vos dificultez, peut-être n'employeroit-on à les repousser, que le même moyen dont un certain homme repoussa les objections contre la possibilité du mouvement. On iroit toûjours son train; on n'exposeroit point ces ataques à la vue des faibles qu'elles scandalisent: Content de n'en pas sentir les coups, on ne songeroit pas à passer en révision les titres sous lesquels la Religion s'est établie dans le monde. Aussi, ne voit-on pas que ces ataques nous fassent beaucoup de mal. Vos succès ne grossissent vôtre parti que des rebuts du nôtre. Ceux qui nous quitent pour vous suivre, vous suivoient déjà du coeur. Certaines semences de révolte qui y étoient cachées, sans qu'ils s'en aperçussent, les avoient déjà perdus. Si vos soins y ajoûtent quelque chose, ce n'est qu'un peu plus de sécurité & beaucoup plus de hardiesse.

       Ce n'est donc pas seulement par un intérêt de parti, mais aussi par le dessein de vous tirer d'un état, dont on apréhende pour vous les funestes suites, que l'on tâche de communiquer avec vous, & de vous faire voir la vérité & l'excellence de nôtre Religion. Nous tenons encore à vous par quelque endroit, ne fût-ce que par la qualité d'hommes & de membres d'une même Société. Nous ne pouvons voir sans douleur ce que nous regardons en vous comme le plus déplorable de tous les égaremens, & comme un mal très-dificile à guérir, Les lumières de l'esprit, & je ne sai quelle droiture de coeur, qui devoient être le premier degré de la Religion, deviennent en vous des machines pour la détruire, ou du moins un rempart derriére lequel vous vous tenez en sureté. Ce sont là vos Autels, que vous dressez contre nos Autels: Ce sont là les livrées de vôtre profession.

       Nous perdrions donc courage, si la charité ne nous ranimoit. C'est elle qui fait en nous ce que l'horreur de la singularité fait en vous. Vous n'aimez pas à être seuls: nous n'aimons pas à vous voir périr. Lequel de ces deux engagemens au dessein de nous atirer les uns les autres, vous paroît le plus raisonnable? Quelque secret plaisir que vous donne ce degré d'esprit, qui vous élève au dessus de ce que vous apellez superstition & opinions populaires, vous vous faites une peine de n'avoir pas la multitude pour vous. Vous ménagez adroitement le peu de liberté que vous avez, & vous tâchez d'étendre ses bornes, en étendant celles de vôtre Parti. Pardonnez nous, si nous ne donnons point d'autre motif à l'empressement que vous faites paroître pour répandre vos sentimens, que la crainte de vous voir trop seuls: nous ne pouvons y en donner d'autres. La charité & la compassion, raisons ou prétextes ordinaires des Convertisseurs, ne nous paroissent pas être le mobile qui vous remue, & qui vous porte à nous vouloir détromper.

      Mais ne fouillons pas dans les secrets de vôtre coeur, j'y consens; égalons-nous pour la bonté des intentions. Il est sûr néanmoins qu'à l'égard de l'état ou nous sommes & vous & nous, & d'où nous tâchons de nous retirer les uns les autres, le mal que vous croyez que nous voulons vous faire, est bien moindre que celui que nous apréhendons de vôtre part. Laissant dans l'indécision la certitude des suplices éternels, n'est-il pas vrai que la crainte vive & certaine que nous en avons, est beaucoup plus sure que la crainte, ou si vous voulez, le soupçon que vous devez avoir, que ce l'on en dit pourroît bien être véritable? L'une nous porte à faire nos éforts pour les éviter; elle diminue à mesure que ces éforts redoublent, & nous fait dire enfin: Je craignois, mais je ne crains plus, & je sai que je ne dois plus craindre. L'autre vous porte à faire de nouveaux éforts pour en éloigner la pensée, ou pour les croire chimériques; mais elle ne diminue jamais assez pour vous faire dire avec une parfaite confiance; Je craignois, mais je ne crains plus, & je sai que je n'ai plus rien à craindre.

       Mais à quoi bon, direz-vous, cet éfroi où vous voulez nous jetter? Sont-ce là les armes de vôtre Religion? Est-ce ainsi que la vérité se persuade?

       Il nous est rude, n'en doutez pas, de vous présenter des motifs de frayeur, pendant que nous en avons d'autres qui ne respirent que douceur, que joye, & que tranquillité. Il nous est rude d'être obligez de vous ébranler par la crainte, pendant que nous croyons avoir de quoi vous ébranler par le poids & par la force des raisons. Ne prenez pas cela comme des menaces de personnes poussées à bout, & à qui les raisons manquent: prenez-le au contraire, comme un avis plein de tendresse, que nous suggérent vôtre persévérance dans une voye qui nous fait peur, & le peu de succès de nos autres armes. Si nous voulons vous éfrayer, c'est parce que nous tremblons les premiers pour vous. Nous souhaiterions avec ardeur de porter ces craintes jusques dans vos consciences, & de vous communiquer un peu de nôtre repos par les mêmes voyes, par lesquelles nous l'avons aquis.

       Mon dessein n'est pas de disputer ici: c'est de vous parler en frère touché de vôtre état. Au nom de Dieu, faites y avec moi quelques réflexions: vous sur tout qui n'êtes ni Athées, ni Chrétiens.

       N'oserois-je pas vous prier de rentrer encore un peu en vous-mêmes, & d'éprouver si vous ne vous acommoderiez pas de la Religion Chrétienne? Détournez un moment les yeux de dessus ce que vous regardez comme son foible, ou regardez-le avec un peu moins de prévention, & un peu plus d'équité. Suposez un peu, par une espéce de concession, que la Divinité ait voulu se révéler par une autre voye que par celle de ses Ouvrages; n'auroit-elle pas bien pu trouver à propos de laisser la plus considérable partie des hommes dans l'ignorance du salut puis qu'elle ne peut rien devoir à l'homme, encore moins à l'Idolatre? N'auroit-elle pas même pu mettre dans cette Révélation plusieurs choses capables de faire de la peine à l'esprit, aussi bien qu'elle en a pu mettre dans la Nature? Voyez si cela ne pourrait pas un peu diminuer la surprise, que vous causent les obscuritez de l'Écriture. Voyez si en ce cas la Divinité n'eût pas pû user de quelque retenue, pour ainsi dire, & de quelque ménagement dans la dispensation de ses lumières; se cacher pendant long tems sous des voiles, qui ne laissoient qu'entrevoir ses desseins, se raprocher en suite de nous par des voyes extraordinaires; employer à cela des gens qui n'avoient presque rien qui les distinguât, que leur grossiéreté & leur simplicité. Voyez si elle n'auroit pas pu permettre ce grand nombre de sentimens oposez, parmi ceux qui font profession de s'en tenir à sa parole. Voyez si elle n'auroit pas pu se passer de parler avec cette derniére évidence, qui réunit tous les esprits, & qui bannit tout doute & tout diférent.

       Pour vous engager un peu à suposer que Dieu pouvait bien ajouter à la Nature une Révélation expresse, & à la Loi du coeur une Loi écrite, considérez s'il a pu se contenter de toutes les diférentes maniéres, dont les hommes le servent; s'il a pu lui être indiférent de se voir comme multiplié dans toutes les Divinitez des Payens, & si les idées grossiéres & ridicules qu'ils ont eues de lui, ont pu lui être suportables. Que jugeriez-vous d'un tas d'Ignorans, qui, suposant en gros qu'ils vous doivent beaucoup de vénération & d'estime, n'auroient de vous que des pensées basses & directement contraires à celles qui doivent imprimer du respect? Si Dieu n'a pu qu'être choqué de ces extravagances, n'auroit-il pas plus agréé le Culte Judaïque, qui sous un extérieur charnel renfermoit les idées les plus magnifiques que l'on puisse avoir de lui, les plus capables, par conséquent, d'exciter dans l'homme, l'amour, le respect, la confiance, & l'adoration? Ne trouveroit-il pas encore dans le Culte que les Chrétiens lui rendent, quelque chose de plus digne de lui: & ainsi, y auroit-il trop de témérité dans la suposition que nous exigeons de vous? Mais je vais plus loin. Si nous pensons mieux de lui, que toutes les autres Religions, seroit-ce le hazard qui nous auroit fait naître ces pensées? D'où nous viendroit ce rafinement

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