L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau
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—Va, nous sommes riches, lui dit-elle.
Mais il ne pouvait la croire, accoutumé qu'il était à toujours entendre crier misère, et comme il fixait sur elle de grands yeux surpris:
—Oui, reprit-elle, avec une imprudence qui, fatalement, devait porter ses fruits, nous sommes riches, et si nous vivons comme tu le vois, c'est que cela convient à ton père, qui veut amasser une fortune plus grande encore.
Ce n'était pas une réponse, et cependant Maxence n'en demanda pas plus. Mais il s'informa de droite et de gauche, avec cette adresse patiente des jeunes gens armés d'une idée fixe.
Déjà, à cette époque, M. Vincent Favoral avait dans le quartier, et même parmi ses amis, la réputation d'être pour le moins millionnaire. Le Comptoir de crédit mutuel avait pris des développements considérables; il avait dû, pensait-on, en profiter largement, et les bénéfices avaient dû grossir vite entre les mains d'un homme aussi habile que lui et dont la sévère économie était célèbre.
Voilà ce qu'on dit à Maxence, mais non sans lui donner ironiquement à entendre qu'il aurait tort de compter sur la fortune paternelle pour mener joyeuse vie.
M. Desormeaux lui-même, qu'il avait interrogé assez adroitement, lui dit en lui frappant amicalement sur l'épaule:
—S'il vous faut jamais de la monnaie pour vos fredaines de jeune homme, tâchez d'en gagner, car ce n'est sacrebleu pas papa qui vous en fournira.
De telles réponses compliquaient, au lieu de l'expliquer, le problème qui troublait Maxence.
Il observa, il épia, et enfin il en arriva à acquérir la certitude que l'argent qu'il dépensait était le produit du travail de sa mère et de sa soeur...
—Ah! pourquoi ne l'avoir pas dit!... s'écria-t-il en se jetant au cou de sa mère, pourquoi m'avoir exposé aux regrets amers que j'éprouve en ce moment!...
Par ce seul mot, la pauvre femme se trouva largement payée. Elle admira la noblesse des sentiments de son fils et la bonté de son coeur.
—Ne comprends-tu donc pas, lui dit-elle, en versant des larmes de joie, ne vois-tu pas bien que c'est un bonheur, pour une mère, le travail qui peut servir au plaisir de son fils!...
Mais il était consterné de sa découverte.
—N'importe! dit-il. Je jure bien qu'on ne me verra plus jeter au vent, comme autrefois, l'argent que tu me donnes...
Pendant plusieurs semaines, en effet, il fut fidèle à cet engagement qu'il venait de prendre. Mais à dix-sept ans, les résolutions ne sont pas bien solides. L'impression qu'il avait ressentie s'effaça. Il s'ennuya des petites privations qu'il s'imposait.
Il en vint à prendre au pied de la lettre ce que lui avait dit sa mère et à se prouver que se priver d'un plaisir c'était l'en priver elle-même. Il demanda dix francs un jour, puis dix francs encore, il reprit ses habitudes...
Il touchait alors à la fin de ses études.
—Voilà le moment venu, disait M. Favoral, de choisir une carrière et de se suffire à soi-même.
X
Pour s'inquiéter d'une profession, Maxence Favoral n'avait pas attendu les avertissements paternels.
Les écoliers modernes sont précoces, ils savent le fort et le faible de la vie, et quand ils abordent le baccalauréat, ils sont bien désenchantés déjà, ayant usé leurs illusions derrière leur pupitre, pendant les longues études du soir.
Et il serait difficile qu'il en fût autrement. Au fond des lycées, fatalement se retrouve l'écho des préoccupations et le reflet des moeurs du moment. Il n'y a ni murailles ni surveillants qui tiennent. En même temps que la boue de la ville, dont leurs souliers sont maculés, les élèves rapportent, les soirs de sortie, leur provision d'observations et de faits.
Qu'ont-ils vu, pendant la journée, dans leur famille ou chez leur correspondant?
Des convoitises ardentes, d'insatiables appétits de luxe, de bien-être, de jouissances, de plaisirs, le dédain des labeurs patients, le mépris des convictions austères, d'âpres besoins d'argent, la volonté de parvenir à tout prix et la résolution de violenter la fortune à la première bonne occasion.
Assurément on a dissimulé devant eux, mais ils ont l'entendement subtil.
Leur père leur a bien dit, d'un ton grave, qu'il n'est rien de respectable en ce monde que le travail et la probité, mais ils ont surpris ce même père saluant à peine un pauvre diable d'honnête homme, et s'inclinant jusqu'à terre devant quelque gredin flétri par trois jugements, mais riche de six millions.
Conclusion?... Oh! ils s'entendent à conclure, car il n'est tels que les jeunes gens pour être logiques et déduire d'un fait ses dernières conséquences.
Ils savent, pour la plupart, qu'il leur faudra faire quelque chose, mais quoi? Et c'est alors que, pendant les récréations, leur imagination s'exerce à chercher cette fameuse profession, jusqu'ici introuvable, qui donne la fortune sans travail et la liberté en même temps qu'une situation brillante.
C'est eux qu'il faut entendre éplucher et discuter toutes les carrières qui s'ouvrent aux jeunes ambitions. Et que de rires, si quelque naïf s'avise de citer un de ces emplois modestes où l'on gagne au début cent cinquante francs! c'est à peine ce que dépense tel externe, rien que pour ses cigares et ses voitures quand il est en retard.
Maxence n'était ni meilleur ni pire que les autres. De même que les autres, il s'ingénia à découvrir le métier idéal qui enrichit son homme en l'amusant.
Sous prétexte qu'il dessinait joliment, il parla de se faire peintre, calculant avec aplomb ce que rapporte la peinture et comptant d'après un journal ce que gagnent Corot ou Gérôme, Ziem, Daubigny et quelques autres, qui recueillent enfin le prix d'incessants efforts et d'écrasants labeurs.
Mais en fait de tableaux, M. Vincent Favoral n'appréciait que les vignettes bleues de la banque de France.
—Je ne veux pas d'artiste dans ma famille! déclara-t-il, d'un ton qui n'admettait pas de réplique.
Maxence eût été volontiers ingénieur, car l'ingénieur est à la mode. Mais les examens de l'École polytechnique sont roides. Ou officier de cavalerie. Mais les deux années de Saint-Cyr manquent de gaieté. Ou chef de bureau comme M. Desormeaux, mais il faut commencer par être surnuméraire.
Après avoir longtemps hésité entre le droit et la médecine, il finit par reconnaître qu'il voulait être avocat, influencé surtout par les joyeuses légendes du quartier latin.
Ce n'était pas précisément le rêve de M. Vincent Favoral.
—Cela va coûter encore de l'argent, gronda-t-il.
Or, il s'était