L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу L'argent des autres: Les hommes de paille - Emile Gaboriau страница 16
—Soit, dit-il à Maxence, tu feras ton droit. Seulement, comme il ne peut me convenir que tu gaspilles tes journées à flâner dans les estaminets de la rive gauche, tu travailleras en même temps chez un avoué. Dès samedi prochain, je m'entendrai avec mon ami Chapelain.
Ce stage chez un avoué, Maxence ne l'avait pas prévu, et il faillit reculer devant cette perspective d'une discipline qu'il prévoyait devoir être aussi exigeante que celle du collège.
Pourtant, ne découvrant rien de mieux, il persista. Et la rentrée venue, il prit sa première inscription et fut installé à un pupitre chez Me Chapelain, dont l'étude était alors rue Saint-Antoine.
La première année, tout alla passablement.
La somme de liberté qui lui était laissée lui suffisait. Son père ne lui accordait pas un centime pour ses menus plaisirs, mais l'avoué, en sa qualité de vieil ami de sa famille, faisait pour lui ce qu'il n'avait jamais fait pour un clerc amateur, et lui allouait vingt francs par mois. Mme Favoral ajoutant quelques pièces de cent sous à ces vingt francs, Maxence se déclarait satisfait.
Malheureusement, nul moins que lui, avec son imagination vive et son tempérament fougueux, n'était fait pour cette existence paisible, pour cette besogne toujours la même, que ne passionnaient ni les difficultés à vaincre, ni les rivalités d'amour-propre, ni les satisfactions du résultat obtenu.
Bientôt il se lassa.
Il avait retrouvé à l'École de Droit d'anciens camarades de l'institution Massin, dont les parents habitaient la province, et qui, par conséquent, vivaient libres au quartier latin, moins assidus aux cours qu'à la brasserie de la Source ou à la Closerie des Lilas.
Il envia leur vie joyeuse, leur liberté sans contrôle, leurs plaisirs faciles, leur chambre meublée, et jusqu'à la gargote où ils prenaient à crédit tout ce qu'on voulait bien leur donner, réservant l'argent de leur pension pour la distraction qu'il faut payer comptant.
Mais Mme Favoral n'était-elle pas là?...
Elle avait tant travaillé, la pauvre femme, surtout depuis que Mlle Gilberte était presque une jeune fille, elle avait tant économisé, tant grappillé, que sa réserve, malgré le nombre des emprunts, s'élevait à une somme assez forte.
Quand Maxence voulait deux ou trois louis, il n'avait qu'un mot à dire. Il les voulut souvent.
Aussi devint-il d'une jolie force au billard. Il eut sa pipe culottée au râtelier d'une brasserie, il prit l'absinthe avant de dîner et s'exerça le soir à effacer des bocks. L'audace lui venant, il dansa à Bullier, il connut les cabinets particuliers de Foyot et enfin eut une maîtresse.
Si bien qu'une après-midi, que M. Favoral avait été appelé par une affaire de l'autre côté de l'eau, il se trouva nez à nez avec son fils, lequel s'avançait, le cigare à la bouche, ayant au bras une demoiselle supérieurement peinte et harnachée d'une toilette à faire cabrer les chevaux de fiacre.
C'est dans un état d'indicible fureur qu'il regagna la rue Saint-Gilles.
—Une femme! s'écriait-il d'un accent de pudeur révoltée. Une drôlesse! lui! mon fils!...
Et lorsque ce fils reparut au logis, l'oreille fort basse, son premier mouvement fut de recourir à la correction d'autrefois.
Mais Maxence venait d'avoir dix-neuf ans.
A la vue de la canne levée sur lui, il devint plus blanc que sa chemise, et l'arrachant des mains de son père, il la brisa sur son genou, en jeta violemment les morceaux à terre et s'élança dehors.
—Il ne remettra plus les pieds ici! s'écriait le caissier du Comptoir de crédit mutuel, jeté hors de lui par un acte de résistance qui lui semblait inouï. Je le chasse. Qu'on fasse un paquet de son linge et de ses habits et qu'on le porte au premier hôtel venu. Je ne veux plus le voir!...
Longtemps Mme Favoral et Mlle Gilberte se traînèrent à ses pieds, avant d'obtenir qu'il revînt sur sa détermination.
—Il nous déshonorera tous! répétait-il, ne comprenant pas que c'était lui qui avait, en quelque sorte, poussé Maxence dans la voie funeste où il était engagé, oubliant que les sévérités absurdes du père préparent les complaisances périlleuses de la mère; ne voulant pas s'avouer qu'un chef de famille a d'autres devoirs que de donner aux siens la pâtée et la niche, et qu'un père est mal venu à se plaindre qui n'a pas su se faire l'ami et le conseiller de son fils.
Enfin, après les plus violentes récriminations, il pardonna—en apparence du moins.
Mais les écailles lui étaient tombées des yeux. Il courut aux informations et découvrit des choses énormes.
Il sut par Me Chapelain, adroitement questionné, que Maxence restait des semaines entières sans paraître à l'étude. Si l'avoué ne s'était pas plaint jusqu'alors, c'est qu'il avait eu la bouche fermée par les supplications de Mme Favoral, et il n'était pas fâché, ajoutait-il, d'un aveu qui soulageait sa conscience.
Ainsi, le caissier surprit une à une toutes les fredaines de son fils. Il apprit qu'il était presque inconnu à l'École de Droit, qu'il passait ses journées dans les cafés, et que le soir, pendant qu'il le croyait endormi, il s'échappait pour courir les théâtres et les bals.
—Ah! c'est ainsi, se disait-il, ah! ma femme et mes enfants sont ligués contre moi, le maître!... Eh bien! nous verrons!
XI
De cet instant, la guerre fut déclarée.
De ce jour, commença rue Saint-Gilles un de ces drames bourgeois qui attendent encore leur Molière, drames d'une vulgarité désespérante et d'un affadissant réalisme, poignants néanmoins, car il s'y dépense une énergie farouche, des larmes et du sang.
M. Favoral se croyait bien sûr de l'emporter. N'avait-il pas la clef de la caisse! Car, tenir la clef de la caisse, c'est tenir la victoire à une époque où tout finit par de l'argent.
Cependant, d'irritantes inquiétudes le travaillaient.
Lui, qui venait d'éventer tant de choses qu'il ne soupçonnait même pas la veille, il ne pouvait découvrir où son fils puisait l'argent qu'il laissait glisser comme de l'eau entre ses mains prodigues.
Il s'était assuré que Maxence n'avait pas de dettes, pourtant ce ne pouvait pas être avec les vingt francs mensuels de Me Chapelain qu'il alimentait ses fredaines.
Mme Favoral et Mlle Gilberte, soumises séparément à un savant interrogatoire, avaient su garder le secret de leur labeur mercenaire. La servante, habilement questionnée, n'avait rien dit qui pût mettre sur la trace de la vérité.
Il y avait donc là un mystère. Et la constante préoccupation de M. Favoral se lisait dans le froncement de ses sourcils, pendant ses rares apparitions au logis, c'est-à-dire pendant le dîner.