Le secret de l'échafaud. Auguste de Villiers de l'Isle-Adam

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Le secret de l'échafaud - Auguste de Villiers de l'Isle-Adam

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      *

      Bien que l’heure eût cessé de sonner, mademoiselle d’Aubelleyne, accoudée et attentive, paraissait écouter encore je ne sais quels sons perdus dans l’éloignement et qui, pour elle, continuaient sans doute ce minuit, car de très légers mouvements de sa tête semblaient suivre un tintement que je n’entendais plus.

      — On dirait que vos pensées accompagnent, jusqu’au plus lointain de l’ombre, ces heures qui s’enfuient !

      — Ah ! murmura-t-elle en mêlant les lueurs de ses yeux au rayonnement des étoiles, c’est qu’aujourd’hui fut mon dernier jour d’épreuve, et que cette heure qui sonne n’est pour moi qu’un bruit de chaînes qui se brisent, emportant loin d’ici toute mon âme délivrée !... non seulement loin de cette fête, mais hors de ce monde sensible, où nous ne sommes, nous-mêmes, que des apparences et dont je vais enfin me détacher à jamais.

      A ces mots, je regardai ma voisine d’isolement avec une sorte d’inquiète fixité.

      — Certes, répondis-je, en vous écoutant, je reconnais l’âme de l’enfant d’autrefois ! Mais, ce qui m’interdit un peu, c’est ce natal et si profond désir de détachement qui persiste en vous alors que la pleine éclosion de votre jeunesse et le charme mystérieux de votre beauté vous donnent des droits à toutes les joies de ce monde !

      — Oh ! dit-elle, d’une voix qui me parut comme le son d’une source solitaire cachée dans une forêt, quelle est la joie, selon le monde, qui ne s’épuise — et ne se noie, par conséquent, elle-même — dans sa propre satiété ? Est-ce donc méconnaître le bienfait de la vie que de n’en point vouloir éprouver les dégoûts ? — Que sont des plaisirs qui ne se réalisent jamais, sinon mêlés d’un essentiel remords ?... Et quel plus grand bonheur que de vivre son existence avec une âme forte, pure, indéçue — et s’étant soustraite aux atteintes même de toutes mortelles concupiscences pour ne point déchoir de son idéal ?

      — Il est aisé de se dire forte en se dérobant à l’épreuve de tous combats.

      — Je ne suis qu’une créature humaine, faite de chair et de faiblesses, péchant, quand même, toujours ; pourquoi voudrais-je d’autres luttes que celles-là dont je suis sûre de sortir victorieuse ?

      — Alors, lui demandai-je avec un affectueux étonnement, comment se fait-il que vous soyez venue ici ce soir !

      Un inexprimable sourire, fait de dédain terrestre et d’extase sacrée, illumina la pâleur de ses traits :

      — J’ai dû subir, dans ma docilité, l’ancienne coutume du Carmel qui prescrit à l’humble fiancée de la Croix d’affronter les tentations du monde avant de prononcer ses vœux. Je suis ici par obéissance.

      *

      En ce moment même d’harmonieuses mélodies du bal nous parvinrent, plus distinctes ; une tenture du salon venait d’être écartée, laissant entrevoir un resplendissement de femmes souriantes, dans les valses, sous les lumières. Envisageant donc celle dont l’austère pensée dominait ainsi ces visions, je lui répondis avec une émotion dont tremblait un peu ma voix :

      — En vérité, mademoiselle, on se sent à jamais attristé par la rigueur de votre renoncement ! — Pourquoi cette hâte du sacrifice ? La vie parût-elle sans joies, celles qu’on peut dispenser ne lui donnent-elles pas un prix ? Il est beau de ne pas craindre les amertumes, de se prêter aux illusions, d’accepter les tâches que d’autres subissent pour nous, d’aimer, de palpiter, de souffrir et de savoir, enfin, vieillir ! — Alors, n’ayant plus à remplir aucun devoir, si votre âme, lassée des froissements humains, aspirait au repos, je comprendrais votre retraite du monde, qui maintenant me semble, je l’avoue, une sorte de désertion.

      Elle se détachait comme un lys sur les ténèbres étoilées, qui semblaient le milieu complémentaire de sa personne, et ce fut avec une voix d’élue qu’elle me répondit :

      — Différer, dites-vous ?... Non. Celles-là ne sauraient avoir droit qu’au mirage du ciel, qui pourraient calculer leur holocauste de façon à n’offrir à Dieu que le but de leur corps et la cendre de leur âme. La puissance de sa foi fait à chacun la splendeur de son paradis, et, croyez-nous, ce n’est que dans l’effort souverain pour échapper aux attaches rompues qu’on puise la surhumaine faculté d’élancement vers la Lumière divine. — Pourquoi, d’ailleurs, hésiter ? Le moment de n’être plus suit de près, à tel point, celui d’avoir été, que la vie ne s’affirme, en vérité, que dans la conception de son néant. Dès lors, comment, même, appeler « sacrifice » (après tout !) l’abandon terrestre de cette heure dont le bon emploi peut sanctifier, seul, notre immortalité ?

      Ici la sombre inspirée se détourna vers le salon du bal que l’on entrevoyait encore : sa main touchait le velours pourpre jeté sur la balustrade ; ses doigts s’appuyèrent par hasard sur la couronne de l’impérial écusson qui brillait au dehors en repoussé d’or bruni.

      — Voyez, continua-t-elle ; certes, ils sont beaux et séduisants les sourires, les regards de ces vivantes qui tourbillonnent sous ces lustres ! — Ils sont jeunes, ces fronts, et fraîches sont ces lèvres ! Pourtant, que le souffle d’une circonstance funeste passe sur ces flambeaux et brusquement les éteigne ! Toutes ces irradiations s’évanouissant dans l’ombre cesseront, momentanément, de charmer nos yeux. Or, sinon demain même, un jour prochain, sans rémission, le vent de la Nuit, qui déjà nous frôle, perpétuera cet effacement. Dès lors, qu’importent ces formes passagères qui n’ont de réel que leur illusion ? Que sert de se projeter sous toute clarté qui doit s’éteindre ? Pour moi, c’est vivre ainsi qui serait déserter. Mon premier devoir est de suivre la Voix qui m’appelle. Et je ne veux désormais baigner mes yeux que dans cette lumière intérieure dont l’humble Dieu crucifié daigne, par sa grâce ! embraser mon âme. C’est à lui que j’ai hâte de me donner dans toute la fleur de ma beauté périssable ! — Et mon unique tristesse est de n’avoir à lui sacrifier que cela.

      Pénétré, malgré moi, par la ferveur de son extase, je demeurai silencieux, ne voulant troubler d’aucune parole le secret infini de son recueillement. Peu à peu, cependant, son visage reprit sa tranquillité ; elle se détourna, presque souriante, vers le vieil amiral de L...-M... qui s’avançait ; elle lui tendit la main et s’inclina comme pour s’en aller.

      — Déjà vous partez ! murmurai-je. Je ne vous verrai donc plus ?

      — Non, monsieur, dit-elle doucement.

      — Pas même une dernière fois ?

      Elle sembla réfléchir une seconde et répondit :

      — Une dernière fois... Je veux bien.

      — Quand ?

      — Demain, à midi, si vous venez à la chapelle du Carmel.

      Lorsque mademoiselle d’Aubelleyne eut disparu du salon, comme j’étais encore sous le saisissement de cette rencontre et de cet entretien, j’essayai, pour en dissiper l’impression, de me mêler à l’étincelante fluctuation de cette foule.

      Mais, au premier coup d’œil, je sentis qu’une ombre était tombée sur toutes ces lumières ! Et qu’il ne resterait tout à l’heure de cette fête que des salles désertes, où glisseraient, comme des ombres, des valets livides sous des lustres éteints.

      *

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