Le secret de l'échafaud. Auguste de Villiers de l'Isle-Adam
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le secret de l'échafaud - Auguste de Villiers de l'Isle-Adam страница 6
M. de La Pommerais, ayant relevé la tête, reconnut, d’un coup d’œil, en ce visiteur, l’illustre chirurgien Armand Velpeau.
Sur un signe de qui de droit, le gardien sortit. M. Beauquesne, après une muette présentation, s’étant retiré lui-même, les deux collègues se trouvèrent seuls, tout à coup, debout en face l’un de l’autre et les yeux sur les yeux.
La Pommerais, en silence, indiqua au docteur sa propre chaise, puis alla s’asseoir sur cette couchette dont les dormeurs, pour la plupart, sont bientôt réveillés de la vie en un sursaut. — Comme on y voyait mal, le grand clinicien se rapprocha du... malade, pour l’observer mieux et pouvoir causer à voix basse.
*
Velpeau, cette année-là, entrait dans la soixantaine. A l’apogée de son renom, héritier du fauteuil de Larrey à l’Institut, premier professeur de clinique chirurgicale de Paris, et, par ses ouvrages, tous d’une rigueur de déduction si nette et si vive, l’une des lumières de la science pathologique actuelle, l’émérite praticien s’imposait déjà comme l’une des sommités du siècle.
Après un froid moment de silence :
— Monsieur, dit-il, entre médecins, on doit s’épargner d’inutiles condoléances. D’ailleurs, une affection de la prostate (dont, certes, je dois périr sous deux ans, ou deux ans et demi) me classe aussi, à quelques mois d’échéance de plus, dans la catégorie des condamnés à mort. — Venons donc au fait, sans préambules.
— Alors, selon vous, docteur, ma situation judiciaire est... désespérée ? interrompit La Pommerais.
— On le craint, répondit simplement Velpeau.
— Mon heure est-elle fixée ?
— Je l’ignore ; mais, comme rien n’est arrêté, encore, à votre égard, vous pouvez à coup sûr, compter sur quelques jours.
La Pommerais passa, sur son front livide, la manche de sa camisole de force.
— Soit. Merci. Je serai prêt : je l’étais déjà ; — désormais, le plus tôt sera le mieux !
— Votre recours n’étant pas rejeté, quant à présent du moins, reprit Velpeau, la proposition que je vais vous faire n’est que conditionnelle. Si le salut vous arrive, tant mieux !... Sinon...
Le grand chirurgien s’arrêta.
— Sinon ?... demande La Pommerais.
Velpeau, sans répondre, prit dans sa poche une petite trousse, l’ouvrit, en tira la lancette et, fendant la camisole au poignet gauche, appuya le médium sur le pouls du jeune condamné.
— Monsieur de la Pommerais, dit-il, votre pouls me révèle un sang-froid, une fermeté rares. La démarche que j’accomplis auprès de vous (et qui doit être tenue secrète) a pour objet une sorte d’offre qui, même adressée à un médecin de votre énergie, à un esprit trempé aux convictions positives de notre Science et bien dégagé de toutes frayeurs fantastiques de la Mort, pourrait sembler d’une extravagance ou d’une dérision criminelles. Mais, nous savons, je pense, qui nous sommes ; vous la prendrez donc en attentive considération, quelque troublante qu’elle vous paraisse de prime abord.
— Mon attention vous est acquise, monsieur, répondit La Pommerais.
— Vous êtes loin d’ignorer, reprit Velpeau, que l’une des plus intéressantes questions de la physiologie moderne est de savoir si quelque lueur de mémoire, de réflexion, de sensibilité réelle persiste dans le cerveau de l’homme après la section de la tête ?
A cette ouverture inattendue, le condamné tressaillit ; puis, se remettant :
— Lorsque vous êtes entré, docteur, répondit-il, j’étais, tout justement, fort préoccupé de ce problème, doublement intéressant pour moi, d’ailleurs.
— Vous êtes au courant des travaux écrits sur cette question, depuis ceux de Sœmmering, de Süe, de Sédillot et de Bichat, jusqu’à ceux des modernes ?
— Et j’ai même assisté, jadis, à l’un de vos cours de dissection sur les restes d’un supplicié.
— Ah !... Passons, alors. — Avez-vous des notions exactes, au point de vue chirurgical, sur la guillotine ?
La Pommerais, ayant bien regardé Velpeau, répondit froidement :
— Non, monsieur.
— J’ai scrupuleusement étudié l’appareil aujourd’hui même, continua sans s’émouvoir, le docteur Velpeau : — c’est, je l’atteste, un instrument parfait.
Le couteau-glaive agissant, à la fois, comme coin, comme faulx et comme masse, intersecte, en bizeau, le cou du patient en un tiers de seconde. Le décapité, sous le heurt de cette atteinte fulgurante, ne peut donc pas plus ressentir de douleur qu’un soldat n’en éprouve, sur le champ de bataille, de son bras emporté dans le vent d’un boulet. La sensation, faute de temps, est nulle et obscure.
— Il y a peut-être l’arrière-douleur ; il reste l’à-vif de deux plaies ! — N’est-ce pas Julia Fontenelle qui, donnant ses motifs, demande si cette vitesse même n’a pas de conséquences plus douloureuses que l’exécution au damas ou à la hache ?
— Il a suffi de Bérard pour faire justice de cette rêverie ! répondit Velpeau.
Pour moi, j’ai la conviction, basée sur cent expériences et sur mes observations particulières, que l’ablation instantanée de la tête produit, au moment même, chez l’individu détronqué, l’évanouissement anesthésique le plus absolu.
La seule syncope, sur-le-champ, provoquée par la perte des quatre ou cinq litres de sang qui font éruption hors des vaisseaux — (et, souvent, avec une force de projection circulaire d’un mètre de diamètre) — suffirait à rassurer les plus timorés à cet égard. Quant aux tressauts inconscients de la machine charnelle, trop soudainement arrêtée en son processus, ils ne constituent pas plus un indice de souffrance que... le pantèlement d’une jambe coupée, par exemple, dont les muscles et les nerfs se contractent, mais dont on ne souffre plus. Je dis que la fièvre nerveuse de l’incertitude, la solennité des apprêts fatals et le sursaut du matinal réveil sont le plus clair de la prétendue souffrance, ici. L’amputation ne pouvant être qu’imperceptible, la réelle douleur n’est qu’imaginaire. Quoi ! tel coup violent sur la tête non seulement n’est pas ressenti, mais ne laisse aucune conscience de son choc, — telle simple lésion des vertèbres entraîne l’insensibilité ataxique — et l’enlèvement même de la tête, la scission de l’épine dorsale, l’interruption des rapports organiques entre le cœur et le cerveau, ne suffiraient pas à paralyser, au plus intime de l’être humain, toute sensation, même vague, de douleur ? Impossible ! Inadmissible ! Et vous le savez comme moi.
— Je l’espère, du moins, plus que vous, monsieur ! répondit La Pommerais. Aussi, n’est-ce pas, en réalité, quelque grosse et rapide souffrance physique (à peine conçue dans le désarroi sensoriel et bien vite étouffée par l’envahissante ascendance de la Mort), n’est-ce point cela, dis-je, que je redoute. C’est autre chose.