Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail

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Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail

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fit l'inconnu d'un ton railleur, je vois que vous me comprenez à merveille.

      —Certainement. Quelle est votre heure, comte?

      —Celle-ci.

      —Et... le lieu?

      —La place est déserte. Nous y serons chez nous.

      —Ah! pardon, dit le marquis, j'aimerais assez remettre la partie à demain.

      —C'est impossible, marquis.

      —Cependant, j'ai promis à ma femme de la conduire au bal de l'Opéra cette nuit.

      L'inconnu répondit sèchement.

      —J'en suis désolé; mais voilà quatre ans que je vous cherche, en Bohême, en Autriche, en Espagne, partout, et je suis pressé de vous tuer.

      —Ainsi, vous me refusez?

      —Positivement.

      —Mais nous n'avons pas de seconds.

      —Nous nous en passerons. Venez, marquis, et flamberge au vent, s'il vous plaît!

      Le marquis avait déjà oublié Tony, qui, à deux pas de distance, avait assistera cette provocation.

      —Eh bien, soit, dit le marquis avec colère, venez!

      Et tous deux se prirent à marcher d'un pas rapide et gagnèrent l'angle le plus obscur de la place.

      Tony avait toujours entendu dire, dans le quartier Montmartre, par les bourgeois de sens que les petites gens ne se doivent point mêler des querelles des grands. Aussi se tint-il prudemment à l'écart. Cependant, comme la prudence n'excluait pas chez lui la curiosité, il ne perdit point de vue le marquis et son adversaire.

      L'un et l'autre mirent l'épée à la main, et le cliquetis du fer froissant le fer arriva jusqu'à l'oreille de Tony.

      Le combat fut long; chacun des deux gentilshommes laissa échapper à diverses reprises une exclamation de colère qui attestait une blessure; puis, tout à coup, le commis de mame Toinon entendit un grand cri...

      Et tout aussitôt l'un des deux adversaires chancela, tournoya un moment sur lui-même et tomba à la renverse.

      Quant à l'autre, il remit son épée au fourreau, s'enveloppa soigneusement dans son manteau et s'éloigna d'un pas rapide, comme si de rien n'était.

      Alors Tony accourut.

      Le client de mame Toinon gisait dans une mare de sang...

      II

      LE COFFRET D'ÉBÈNE

      Tony se pencha sur le gentilhomme qui respirait encore, le prit dans ses bras et l'adossa contre une arcade.

      —Mon ami, balbutia le marquis, je suis frappé à mort...

      —Au secours! cria Tony.

      Mais la place était déserte, et personne ne vint.

      —Tais-toi, dit le marquis, c'est inutile... seulement écoute-moi... et jure-moi de faire ce que je te dirai.

      —Je le jure, répondit le jeune homme.

      —Il y a, reprit le marquis, dans ma chambre à coucher, une armoire dont j'ai la clef sur moi; dans cette armoire, tu trouveras un coffret d'ébène... et... tu le porteras...

      Un hoquet interrompit le moribond qui, laissant sa phrase inachevée, ouvrit cette brusque parenthèse:

      —Surtout n'en dis rien à ma femme... avant demain. Elle veut aller ce soir au bal de l'Opéra. Que le dernier désir... que je lui aie entendu formuler... hélas!... soit au moins réalisé... Tu te présenteras à l'hôtel tout à l'heure... Mon valet de chambre Joseph... t'ouvrira; tu lui montreras cette clef... et tu prendras le coffret... tu le porteras à mon ami... le baron...

      Le marquis n'eut point le temps de prononcer le nom du baron; il se souleva violemment, poussa un soupir, puis renversa la tête et tomba sur le sol.

      —Ah! il est mort! s'écria Tony.

      Pour la première fois de sa vie, le jeune homme se trouvait dans une de ces situations qui commandent à la fois la prudence et l'énergie.

      Cependant il avait seize ans à peine, un âge où la réunion de ces deux qualités est rare.

      Mais notre héros les déploya en cet instant critique.

      Tout d'abord il fouilla le marquis et trouva sur lui une bourse assez ronde et une clef, la fameuse clef. Il mit le tout dans sa poche et se dit:

      —Je restituerai la bourse à la famille et je me servirai de la clef pour avoir ce coffret dont il m'a parlé, et que je dois remettre à un baron... Il n'a pas eu le temps de me dire le nom du baron, mais je le trouverai peut-être dans le coffret.

      Or Tony savait que le marquis demeurait dans l'île Saint-Louis, mais il ignorait son nom ainsi que celui de la rue où il avait son hôtel. Il fut donc obligé de revenir rue des Jeux-Neufs.

      Là, il trouva mame Toinon qui avait déjà commencé sa toilette.

      —Eh bien, dit-elle, te voilà de retour?

      —Oui, patronne.

      —Comme tu es pâle!

      —Oh! ce n'est rien!...

      —Mais il est arrivé quelque chose... c'est impossible autrement!...

      Soudain la costumière jeta un cri:

      —Ah! mon Dieu! dit-elle, tu as du sang sur les mains.

      Alors Tony fut obligé de raconter à sa mère adoptive la scène étrange et terrible dont il venait d'être témoin.

      Mame Toinon l'écouta en frémissant et finit par s'écrier:

      —Mais il faut absolument informer sa famille! Cours, c'est le marquis de Vilers, capitaine aux gardes-françaises; il demeure rue Saint-Louis-en-l'Isle.

      Tony secoua la tête.

      —Il n'a pas voulu que j'avertisse sa femme; il me l'a demandé avant de mourir. Je lui obéirai.

      —Soit; mais... ce coffret...

      —J'exécuterai la volonté du défunt, répondit Tony avec une gravité qui n'était pas de son âge.

      Mame Toinon secoua la tête.

      —Mon pauvre enfant, dit-elle, il ne fait jamais bon de se mêler des affaires des gens de cour.

      —J'ai juré, répondit Tony avec fermeté. Je tiendrai mon serment; je vais aller à l'hôtel de Vilers.

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