Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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Читать онлайн книгу Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail страница 6
Nous passâmes une partie de la nuit couchés à plat ventre derrière un rempart de cadavres et dans l'impossibilité de sortir du bastion, car l'ennemi avait établi un cordon de Soldats autour de nous.
De temps à autre, une balle sifflait au-dessus de nos têtes; à un certain moment, un obus vint éclater au milieu du bastion.
—Allons, mes amis, dit Maurevailles, au point du jour nous serons morts. Dès que le brouillard sera dissipé, on nous livrera un dernier assaut, et comme nous n'avons plus de cartouches!...
—Nous serons morts ou sauvés, répondis-je.
—Ah! par exemple, répondit Marc en riant, tu es bien bon de conserver de l'espoir.
—Qui sait?
—A moins que tu ne veuilles te rendre?
—Vous êtes fous!
—Alors, fais tes préparatifs de voyage pour l'autre monde.
—Messieurs, répondis-je froidement, cet obus, qui vient d'éclater et qui a failli me tuer, a illuminé le bastion l'espace d'une seconde.
—Eh bien?
—A sa clarté, je vous ai vus pêle-mêle avec nos cadavres et couverts de leur sang.
—Où veux-tu en venir?
—Attendez! Les uhlans hongrois ont des tuniques et des manteaux rouges?
—Oui.
—Parfaitement, nous sommes sauvés.
La nuit était sombre et le brouillard épais; mais j'avais sur moi une mèche soufrée, comme on en porte dans les tranchées ou dans les mines; je battis le briquet et j'allumai la mèche.
—Malheureux! me cria Maurevailles, ta mèche est un point de mire, la place va nous envoyer un boulet.
—Ah! dame, je ne dis pas le contraire. Il y a des cas où il faut y voir.
La clarté de la mèche soufrée pénétrait bien un peu le brouillard, mais Maurevailles s'était trompé; elle ne pouvait arriver jusqu'à la place. Seulement les Impériaux, qui entouraient le bastion, l'aperçurent et en cinq minutes nous entendîmes cinquante balles pleuvoir autour de nous.
Mais nous avions mis à profit ces cinq minutes.
Dans le sang de nos soldats qui couvrait le sol de la redoute, chacun de nous avait roulé son manteau, puis s'était drapé dans ce manteau rougi.
Après quoi nous nous étions recouchés à plat ventre.
—Tenons conseil, dis-je alors.
—Voyons, me répondit-on.
—Il y a, autour du bastion, à cinquante pas de distance, un cordon d'Impériaux; mais il laisse passer les patrouilles des uhlans hongrois. Or vos manteaux sont maintenant aussi rouges que les leurs et comme on ne voit pas à cinquante pas de distance par le brouillard qu'il fait, on ne saura d'où nous venons. Partons.
Si aventureux que fût mon plan, il réussit.
Nous nous glissâmes hors du pavillon et nous nous mîmes à marcher résolument deux par deux.
—Qui vive! cria une sentinelle.
—Patrouille! répondis-je en hongrois, et nous fîmes trente pas en avant. Un pontonnier, qui travaillait dans une tranchée, souleva sa lanterne, et sa clarté se projeta un instant sur nos vêtements rouges. Les rangs des Impériaux s'ouvrirent... et nous passâmes. On nous avait pris pour des uhlans hongrois.
Dix minutes après, nous arrivâmes au camp français où on n'espérait plus nous revoir, et depuis lors, le surnom d'Hommes rouges nous est resté.
Or, ce fut à la fête, dont je parlais plus haut et que le riche magnat hongrois nous donna dans sa maison de campagne, que commença pour moi cette série d'événements que je vais retracer.
Une jeune fille attira tout d'abord notre attention à tous les quatre, tant elle était belle dans son riche et pittoresque costume de hongroise des montagnes.
—Palsembleu! m'écriai-je, je serais capable de lui conquérir un royaume si elle voulait m'aimer.
—Et moi aussi, dit Maurevailles.
—Et moi donc? exclama Gaston de Lavenay.
—Bon! fit Marc de Lacy, vous m'oubliez, messieurs. J'en suis, morbleu! moi aussi...
Nous avions échangé ces quatre exclamations dans un petit pavillon isolé, où nous étions demeurés seuls un moment, après avoir vu passer la belle Hongroise au bras de son père, qui était un autre magnat excessivement riche.
Nous nous regardâmes tous quatre et, pour la première fois, nous éprouvâmes un singulier malaise, et nos regards se croisèrent comme des lames d'épée.
—Ah ça! messieurs, dit Gaston de Lavenay, je crois, Dieu me pardonne! que nous allons devenir rivaux?
—C'est bien possible, murmurai-je.
—Tu l'aimerais?
—J'en suis déjà fou.
—Et toi, Maurevailles?
—Moi, je l'adore.
—Et toi, Lacy?
—Je te la disputerais l'épée à la main.
—Vous êtes insensés! répondit Lavenay. Et je vous propose, moi, de la tirer au sort.
—Au fait! dit Maurevailles, c'est une idée.
—Et je l'approuve, dit Marc de Lacy à son tour.
Comme eux, et sans réfléchir, j'inclinai la tête.
—Ah! messieurs, reprit Lavenay, j'ai une autre proposition à vous soumettre avant d'interroger le sort.
—Parle vite.
—Nous allons faire un serment, continua d'une voix grave notre ami, un serment solennel et terrible,—tel que des gens comme nous peuvent en prêter un,—un serment d'amitié, d'amour, mais de mort aussi.
—Lequel? demanda Maurevailles.
—Eh bien, reprit Lavenay, jurons d'aider de tout notre pouvoir, de servir par tous les moyens possibles l'heureux d'entre nous à qui le sort aura donné celle que nous aimons tous les quatre.
—Soit, répondîmes-nous.
—Et il est bien convenu que celui qui manquerait à ce serment et qui ne se résignerait pas à la volonté exprimée par le destin...
—Celui-là, dit Maurevailles,