Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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La clef entra, tourna deux fois et le bahut s'ouvrit.
Tony vit alors un joli coffret d'ébène sculpté, après lequel se trouvait une clef.
Il se hâta de l'ouvrir, moins par un sentiment de curiosité que dans le but de trouver dedans un indice quelconque qui pût le mettre sur la trace du destinataire, de ce baron dont le nom avait expiré sur les lèvres du marquis mourant.
A la grande surprise du jeune homme, le coffret ne renfermait qu'un cahier de parchemin, couvert d'une grosse écriture, et une lettre.
La lettre n'était point cachetée et portait cette inscription:
Au baron de C... on à celui qui trouvera ce coffret.
Tony, que cette initiale ne renseignait pas beaucoup, prit le parti d'ouvrir la lettre et lut:
«Mon cher ami,
»Je puis mourir demain. L'artilleur qui met le feu à une pièce de canon fêlée, le mineur qui travaille sous terre, le pêcheur assailli loin de la côte par une tempête, sont moins près de la mort que moi. Un poignard menace ma poitrine à toute heure; j'ai, comme Damoclès, une épée suspendue sur ma tête, et j'écris ces lignes en prévision de quelque catastrophe.
»Toi ou celui qui lira le cahier ci-joint, où je raconte l'histoire étrange de mon existence, vous me vengerez, si je meurs!...
»Marquis DE VILERS.»
Cette lettre bizarre et sinistre impressionna si vivement la jeune imagination de Tony, qu'il oublia mame Toinon, et Joseph, le valet de chambre, et le lieu où il se trouvait. Il alla fermer la porte au verrou, plaça le coffret et le flambeau sur une table, prit un siège et se mit à lire avec une curiosité ardente le manuscrit du marquis, lequel avait ce simple titre:
MON SECRET.
III
LE SECRET DU MARQUIS DE VILERS
Le manuscrit du marquis, écrit d'une grosse écriture fort lisible, commençait ainsi:
«J'ai trente ans. Il y en a quatre que ceci se passait. J'avais donc alors vingt-six ans.
Nous étions quatre amis, officiers au régiment de Flandre, lors du siège de la petite ville impériale de Fraülen, sur le Danube.
Le premier se nommait Gaston de Lavenay, le second Albert de Maurevailles, le troisième Marc de Lacy.
J'étais le quatrième.
Le siège traînait en longueur et le maréchal de Belle-Isle, qui en avait commandé les premières opérations, s'était retiré au bout de huit jours, laissant simplement devant la place trois régiments d'infanterie, un escadron de Royal-Cravate et deux batteries de campagne.
Le maréchal avait sans doute un vaste plan d'opérations dans lequel il entrait de ne prendre Fraülen qu'à la dernière extrémité, c'est-à-dire à la fin de la campagne. Fraülen était pour lui comme un point sans importance, sur lequel il forçait les Impériaux à concentrer toute leur attention.
Le mois de novembre arrivait et la saison devenait rigoureuse. Un jour, le commandant de la citadelle de Fraülen écrivit au marquis de Langevin, notre mestre-de-camp, qui commandait l'armée de siège, une lettre ainsi conçue:
«Monsieur le marquis,
«Voici le jour de la Toussaint, qui sera suivi du jour des Morts, et bientôt arriveront les fêtes de Noël et du nouvel an. Je vous viens faire une proposition: c'est d'établir une trêve entre nous pour tous les dimanches et jours de fête. Vos officiers pourront venir danser dans le faubourg de Fraülen, qui, vous le savez, renferme les plus belles maisons de la ville, et les miens les iront visiter dans la partie de votre camp que vous désignerez. Ce sera pour nos deux armées un moyen de tuer le temps.
«En attendant l'honneur de votre réponse, je suis, monsieur le marquis, votre très humble serviteur.
«Major BERGHEIM.»
Le marquis répondit:
«Monsieur le major,
» J'accepte votre proposition et j'invite vos officiers à dîner pour le jour de la Toussaint dans la première enceinte de nos retranchements, entre nos ouvrages avancés et la portée de vos canons.
» Je vais faire élever en cet endroit une tente convenable pour vous y recevoir et je suis, en attendant cet honneur, monsieur le major,
» Votre très obéissant,
» Marquis DE LANGEVIN.»
Or le jour de la Toussaint, les officiers français et les officiers autrichiens, profitant des conventions arrêtées, se rencontrèrent hors de la ville et firent assaut de courtoisie.
Notre mestre-de-camp, le marquis de Langevin, dont la fortune personnelle était considérable, donna aux assiégés un dîner splendide, et les dames de la ville furent invitées à venir danser sous une tente illuminée par des feux de Bengale et des lanternes vénitiennes.
Le lendemain, jour des Morts, on ne dansa pas dans Fraülen; mais nous fûmes invités à une messe en musique et nous dînâmes chez le major.
Le dimanche suivant, un magnat hongrois, fabuleusement riche, nous donna une fête splendide dans sa maison de campagne, située au delà du Danube et par conséquent sous la protection du canon des forts.
C'est à cette fête qu'a commencé pour moi la série d'événements étranges et terribles qui pourraient bien, au premier jour, avoir ma mort pour conclusion.
Je l'ai dit, nous étions quatre amis, quatre frères d'armes, servant dans le même régiment, nous tutoyant, n'ayant pas de secrets les uns pour les autres et faisant bourse commune.
On nous appelait les quatre Hommes rouges; et voici pourquoi:
Nous gardions un jour, avec une vingtaine d'hommes, une redoute.
Pendant deux heures, barricadés dans le bastion, nous supportâmes un feu meurtrier, et nos vingt hommes tombèrent un à un.
Quoique blessé lui-même, Marc de Lacy résolut avec nous de continuer la lutte. On décida qu'il chargerait les mousquets, tandis que nous ferions feu. Pendant une heure encore, à nous quatre, nous soutînmes ainsi le siège, et une compagnie tout entière d'Impériaux joncha de ses morts les alentours du bastion.
—Messieurs, nous cria Marc tout à coup, nous n'avons plus que vingt-cinq cartouches; je vous engage à les ménager.
—Vive le roi! répondîmes-nous, bien déterminés à ne tomber que morts au pouvoir des Impériaux.
Heureusement pour nous, un de ces épais brouillards qui sont fréquents sur les bords du Danube, s'éleva tout à coup en même temps que la nuit arrivait, et nous déroba à la fois la vue de la ville et celle du camp.