Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau

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affaires, à cette époque, allaient plus mal que jamais, les finances étaient complètement épuisées; et, de tous côtés, on annonçait ou l'on prévoyait des désastres; on comprend dès lors la mortelle tristesse de cette petite cour.

      C'est donc avec un plaisir infini que Charles VII apprit l'arrivée à Chinon d'Isabelle de Lorraine, femme de René d'Anjou; il espérait que cette visite ferait quelque diversion à la monotonie de ses journées.

      Isabelle de Lorraine, l'une des princesses les plus distinguées de son temps, venait à la cour de France, pour y solliciter la liberté de son mari fait prisonnier à la bataille de Bulgneville. Elle avait à plaider une cause difficile, puis elle comptait pour réussir, sur son adresse et sur les beaux yeux d'une de ses filles d'honneur, Agnès Sorel, que l'on appelait alors la demoiselle de Fromenteau.

      Les espérances d'Isabelle ne furent pas trompées, toute la cour de Chinon n'eut plus bientôt d'yeux que pour la belle Tourangelle, et, plus que tous les autres, le roi la comblait de soins et d'attentions.

      Agnès Sorel était, il faut le dire, dans tout l'éclat de son admirable beauté, et voici le portrait que trace d'elle un de ses contemporains, c'est-à-dire de ses admirateurs:

      «C'était un teint de lis et de roses, des yeux où la vivacité était tempérée par tout ce que l'air de douceur a de plus séduisant, une bouche que les grâces avaient formée; tout cela était accompagné d'une taille libre et dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant, et d'un entretien dont la gaîté et le tour agréable n'excluaient ni la justesse, ni la solidité.»

      La femme de René d'Anjou, certaine désormais de l'influence d'Agnès sur le coeur du roi, comprit que sa cause était gagnée; cependant Charles hésitait à se prononcer. C'est qu'il savait qu'une fois la liberté de son mari assurée, Isabelle partirait pour la Sicile, où l'accompagnerait sa belle fille d'honneur, et il ne se sentait plus la force de se séparer d'Agnès.

      Isabelle avait, depuis longtemps déjà, pénétré le motif des hésitations du roi de France, mais il ne lui appartenait pas de les faire cesser. Elle attendit, décidée à profiter de la première occasion qui se présenterait. Elle n'eut pas longtemps à attendre.

      Heureusement pour la liberté de René d'Anjou, les princes et les rois vont fort vite en amour, et Agnès avait été touchée de la grande passion de Charles; elle se sentit prise de tendresse pour ce monarque que tout abandonnait, et dès ce moment elle prit la résolution de céder. Peut-être fut-elle tentée par la grandeur de la tâche imposée à l'amie de ce roi si faible, et conçut-elle dès ce moment la pensée d'user de toute son influence pour en faire un héros.

      Agnès consentit donc à se rendre aux voeux du roi, à seconder les secrets désirs d'Isabelle. Elle tomba malade, subitement, et, dès les premiers jours, sa maladie présenta un caractère si grave que les médecins, appelés par le roi, déclarèrent que la jeune fille ne pouvait entreprendre un long voyage, sans danger pour ses jours.

      Cette déclaration ne trompait certainement personne; mais elle sauvait les apparences. Charles VII, peu habitué à dissimuler ses impressions, laissa éclater sa joie. Isabelle de Lorraine, au contraire, témoigna un violent dépit; elle hésitait, disait-elle, entre deux partis: attendre le rétablissement de sa fille d'honneur ou partir sans elle. Il fallait cependant prendre une décision. Isabelle demanda une audience au roi, et lui fit observer que si elle tardait davantage à se mettre en route, elle serait probablement arrêtée par les neiges; d'un autre côté, elle hésitait beaucoup à abandonner une jeune fille si belle, si aimable, et qui lui avait été confiée.

      Un mot de Charles VII arrangea tout. Il fut convenu qu'Agnès Sorel resterait à la cour, sous la surveillance de la reine Marie d'Anjou, et Isabelle de Lorraine, ayant obtenu la grâce qu'elle sollicitait, fit ses préparatifs de départ et ne tarda pas à quitter Chinon.

      Voilà donc Agnès Sorel seule à la cour de France. Elle était tombée malade subitement, son rétablissement fut tout aussi rapide, le roi ne laissa même pas l'indisposition durer ce qu'il fallait pour la justifier. A peine rétablie, Agnès Sorel fut attachée à la reine en qualité de fille d'honneur. Marie d'Anjou se souvenait-elle des recommandations d'Isabelle de Lorraine ou obéissait-elle à une inspiration du roi, c'est ce qu'il est impossible de décider, bien que la suite des événements donne à penser qu'elle agit véritablement de son propre mouvement....

      Agnès Sorel avait environ vingt-deux ans à cette époque (1431). Elle était fille d'un gentilhomme longtemps attaché à la Maison de Clermont, du nom de Sorelle, Soreau ou Surel[3], seigneur de Saint-Géran, et de Catherine de Maignelais.

      Née vers 1409, au village de Fromenteau, dont elle portait le nom, elle perdit jeune encore son père et sa mère, et fut confiée aux soins d'une tante maternelle, la dame de Maignelais.

      «Agnès, dès l'âge le plus tendre, était, au dire de tous, un véritable miracle de beauté, les paysans se mettaient sur le seuil de leurs portes pour la voir passer lorsqu'elle traversait quelque village, tantôt à pied, tantôt montée sur un beau cheval alezan. Elle n'avait d'autre prestige alors que celui de sa taille charmante et de son admirable figure, et cependant on lui donnait déjà un surnom que devaient confirmer, plus tard, les Seigneurs de la cour de France; les naïfs habitants de la Lorraine ne l'appelaient jamais que la reine de beauté.»

      Bientôt, aux dons de la nature, elle joignit les avantages d'une éducation soignée, chose si rare à cette époque, et tous ceux qui l'entendaient causer se retiraient «esbahis de son esprit et de son merveilleux enjouement.»

      —Nous ne sommes point en peine de la fortune d'Agnès, disait alors la dame de Maignelais, sa tante; elle a d'esprit et de beauté de quoi faire la fortune de trois familles.

      Mais tous ces avantages qui émerveillaient chacun, tournèrent contre la jeune orpheline. La dame de Maignelais avait une fille, nommée Antoinette qui, bien inférieure à Agnès, sous tous les rapports, ne tarda pas à en devenir jalouse; dès lors le séjour de cette maison, jusque là si paisible, devint insupportable.

      Impuissante à défendre sa nièce contre sa propre fille, madame de Maignelais ne songea plus qu'à éloigner la reine de beauté. Une occasion ne tarda pas à se présenter et l'orpheline, à peine âgée de quinze ans, repoussée par ses protecteurs naturels, dut se résigner à accepter la position de demoiselle d'honneur près d'Isabelle de Lorraine, celle-là même que nous venons de voir l'abandonner à la cour de France, à la merci de l'amour du roi.

      Jeune, belle, spirituelle, protégée par la reine, aimée du roi, Agnès Sorel ne tarda pas à devenir l'âme de la petite cour de France. Charles VII n'avait eu jusqu'alors que des amours vulgaires; sa passion pour une femme supérieure ressemblait fort à un culte; il eût volontiers proclamé à la face du monde la dame de ses pensées et rompu des lances en son honneur, mais, douée et modeste autant que belle, Agnès ne souhaitait que le mystère.

      —A quoi bon, disait-elle, donner de l'éclat à une faute?

      Elle disait encore au roi:

      —Je vous aimerai, Sire et de toute mon âme, et jamais je ne cesserai de vous aimer; si cependant on venait à connaître ce qui se passe, pleine de confusion, je m'irais cacher au fond de la campagne la plus déserte.

      Si bien que, durant longtemps encore, la liaison d'Agnès et du roi demeura enveloppée d'un mystère, assez transparent pourtant pour ne tromper personne. Malheureusement pour le secret de ses amours, Agnès ne sut point assez repousser les présents incessants de son amant.

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