Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau

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s'était passé et d'accueillir sa fille, dont grâce à son influence, elle pourrait faciliter l'établissement.

      Elle dépêcha donc au château de Maignelais, son fidèle chevalier, et, moins de huit jours après, Antoinette arrivait à Chinon.

      La première entrevue des deux cousines fut tout au moins singulière. Sans même songer à remercier Agnès, sans se soucier des femmes de service qui pouvaient l'entendre, Antoinette éclata en reproches amers.

      —Eh quoi! cousine, est-ce bien vrai, ce que l'on dit, que vous êtes la mie du roi?

      Et comme Agnès confuse ne répondait point:

      —Ce bruit était venu jusqu'à nous, continua Antoinette, ma mère refusait d'y croire. Moi-même, je doutais; mais, dans mon court voyage, et depuis hier soir que je suis ici, j'ai appris d'étranges choses.

      Agnès, les larmes aux yeux, voulut protester de la parfaite innocence de ses relations avec le roi; mais Antoinette était impitoyable.

      —Fi, cousine, que cela est vilain; qui jamais eût pu croire, vous voyant si douce, que par vous le déshonneur arriverait sur notre maison. Vous avez donc mis en oubli toute honnêteté et toute retenue; pour moi, je ne resterai point ici plus longtemps, je préfère retourner près de ma mère que j'instruirai de la vérité, afin qu'elle arrache de son coeur toute amitié pour vous.

      Cette menace épouvanta tellement Agnès, que, se jetant aux pieds de sa cousine, elle la conjura de rester, lui jurant de changer de vie, de ne plus faillir à l'honneur, de ne jamais revoir le roi.

      Antoinette voulut bien, pour le moment, se contenter de ces prières et de ces promesses, et consentit à se fixer pour quelques mois à Chinon.

      Le plan de la jeune Tourangelle était des plus simples: éveiller les remords dans le coeur d'Agnès, les exploiter habilement, l'engager vivement à aller pleurer ses fautes au fond de quelque monastère, et... prendre sa place à la cour et près du roi.

      Mais ce beau projet échoua. En désespoir de cause, Antoinette entreprit de disputer à Agnès le coeur de Charles VII. Le roi ne fut point insensible aux meurtrières oeillades de la cousine de sa mie; mais tant que vécut la dame de beauté, elle fut toujours «la dame souveraine et la plus aimée de son amant.»

      Les entrevues du roi et de sa douce maîtresse devinrent rares jusque vers 1438. Charles VII reprenait alors, pièce à pièce, son royaume aux Anglais.

      —Vous voyez, ma mie, que je tiens loyalement mes promesses, disait-il, lorsqu'après quelque succès, il faisait à Loches ou à Chinon, une courte apparition.

      De riches présents attestaient d'ailleurs que l'amour de Charles VII n'avait point diminué. Aux logis et aux terres que possédait déjà son amie, il avait ajouté la seigneurie de la Roche-Servière, les seigneuries de Roqueserieu, d'Issoudun en Berry et de Vernon sur Seine, enfin le château de Beauté-sur-Marne.

      —Ainsi de fait, ma mie, serez ce que de nom êtes depuis longtemps déjà, châtelaine et dame de beauté.

      En 1438, Charles VII vint avec toute sa cour s'établir, pour quelques mois, à Bourges. Désireux d'avoir non loin de lui sa douce amie, qui ne voulait point habiter le château royal, il lui donna, à peu de distance de la ville, une résidence charmante, le château de Bois-Trousseau, qu'elle vint habiter immédiatement.

      Ce fut un heureux temps pour Charles VII et sa belle maîtresse; plus jamais ils ne retrouvèrent ces heures délicieuses «qui s'envolaient si rapides et si légères qu'on eût pu vivre ainsi plus de mille ans sans vieillir.» Le château de Bois-Trousseau, avec ses jardins et ses grands bois, abritait merveilleusement le mystère de leurs amours. Là, point d'importuns, point d'indiscrets; quelques serviteurs dévoués, muets, aveugles. Ensemble les deux amants passaient de longues soirées, aussi épris encore qu'au jour où, pour la première fois, ils avaient senti battre leur coeur. Charles racontait à sa mie ses exploits contre les Anglais, ses succès, ses espérances. Agnès, à son tour, faisait la lecture dans quelque manuscrit ou récitait des vers; car «elle était savante et bien instruite, s'étant toujours complue à la société des beaux esprits.»

      Leurs amours au château de Bois-Trousseau avaient d'ailleurs commencé comme un roman de chevalerie.

      C'était un soir, il pouvait être neuf heures; seule dans sa chambre, Agnès Sorel feuilletait un livre d'heures curieusement imagé, lorsqu'on vint lui annoncer qu'un chasseur égaré demandait l'hospitalité.

      —Qu'on le conduise à ma plus belle chambre, répondit Agnès, et qu'on veille à ce qu'il ne manque de rien.

      Quelques instants après, on revint dire à la belle châtelaine que le chasseur, comptant partir de grand matin, le lendemain, demandait à la remercier le soir même. Déjà elle se levait pour aller recevoir l'étranger, lorsqu'il parut lui-même, souriant et joyeux à la porte.

      —Ah! mon cher Sire aimé s'écria Agnès, vous ici, seul à cette heure, quelle imprudence!

      Cette imprudence devait se renouveler souvent.

      Chaque soir, autant pour guider le roi que pour lui rappeler qu'elle l'attendait, la belle Agnès faisait allumer un falot sur la plus haute tour de son castel. A ce signal, impatiemment attendu, l'amoureux Charles VII accourait à toute bride, suivi d'un seul confident. Accoudée à son balcon, la dame de beauté inquiète, émue, interrogeait la route que suivait d'ordinaire son royal amant. L'apercevait-elle à l'extrémité de la longue avenue qui conduisait à Bois-Trousseau, légère et joyeuse, elle descendait le recevoir, et avec une grâce inimitable, lui faisait les honneurs du logis et du souper.

      Parfois, bien rarement, il arrivait que le roi retenu par d'importantes affaires, qu'il maudissait du fond du coeur, ne pouvait quitter Bourges. Alors, pour répondre au signal de son amie, il faisait au sommet du château royal apparaître une vive lumière.

      Seule et triste ces soirs-là, en son manoir, la douce Agnès se consolait en pensant qu'une noble ambition était sa seule rivale dans le coeur de Charles VII.

      La charmante légende de ce télégraphe lumineux s'est conservée à travers les siècles, et, dans le pays, on montre encore au voyageur, au sommet d'une colline boisée, les restes d'une tour qui a gardé le nom de «la tour du signal

      Tout entier à l'enivrement de cette existence de bonheur et d'amour, Charles VII, une fois encore, oubliait et son royaume et les Anglais. Mais Agnès se souvenait pour lui.

      —Bientôt, hélas! mon cher Sire, il faudra nous séparer derechef.

      —Je partirai, ma mie, répondait tristement le roi.

      L'intérêt du royaume, telle fut la constante préoccupation d'Agnès Sorel, l'oeuvre de Charles VII fut la sienne, et c'est à cela qu'elle doit d'avoir trouvé grâce devant la sévère histoire qui flétrit d'ordinaire les maîtresses royales, c'est pour cela que son nom, comme un nom béni, a traversé les siècles.

      Le roi de France n'était déjà plus ce monarque humilié que les Anglais railleurs appelaient «le roi de Bourges,» bientôt il allait mériter son surnom de Victorieux. L'ennemi n'était pas encore expulsé; mais on avait reconquis une bonne partie des provinces, d'heureuses nouvelles arrivaient de tous côtés, les soldats étaient nombreux, les finances commençaient à se rétablir.

      Charles

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