La Débâcle. Emile Zola

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La Débâcle - Emile Zola

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tout un peuple certain de la victoire, l'émotion terrible des rues, la convocation des chambres, la chute du ministère libéral qui avait fait le plébiscite, l'empereur déchu de son titre de général en chef, forcé de passer le commandement suprême au maréchal Bazaine. Depuis le 16, l'empereur était au camp de Châlons, et tous les journaux parlaient d'un grand conseil, tenu le 17, où avaient assisté le prince Napoléon et des généraux; mais ils ne s'accordaient guère entre eux sur les véritables décisions prises, en dehors des faits qui en résultaient: le général Trochu nommé gouverneur de Paris, le maréchal De Mac-Mahon mis à la tête de l'armée de Châlons, ce qui impliquait le complet effacement de l'empereur. On sentait un effarement, une irrésolution immenses, des plans opposés, qui se combattaient, qui se succédaient d'heure en heure. Et toujours cette question: où donc étaient les armées allemandes? Qui avait raison, de ceux qui prétendaient Bazaine libre, en train d'opérer sa retraite par les places du nord, ou de ceux qui le disaient déjà bloqué sous Metz? Un bruit persistant courait de gigantesques batailles, de luttes héroïques soutenues du 14 au 20, pendant toute une semaine, sans qu'il s'en dégageât autre chose qu'un formidable retentissement d'armes, lointain et perdu.

      Alors, Maurice, les jambes cassées de fatigue, s'assit sur un banc. La ville, autour de lui, semblait vivre de sa vie quotidienne, et des bonnes, sous les beaux arbres, surveillaient des enfants, tandis que les petits rentiers faisaient d'un pas ralenti leur habituelle promenade. Il avait repris ses journaux, lorsqu'il tomba sur un article qui lui avait échappé, l'article d'une feuille ardente de l'opposition républicaine. Brusquement, tout s'éclaira. Le journal affirmait que, dans le conseil du 17, tenu au camp de Châlons, la retraite de l'armée sur Paris avait été décidée, et que la nomination du général Trochu n'était faite que pour préparer la rentrée de l'empereur. Mais il ajoutait que ces résolutions venaient de se briser devant l'attitude de l'impératrice-régente et du nouveau ministère. Pour l'impératrice, une révolution était certaine, si l'empereur reparaissait. On lui prêtait ce mot: «il n'arriverait pas vivant aux Tuileries». Aussi voulait-elle, de toute son entêtée volonté, la marche en avant, la jonction quand même avec l'armée de Metz, soutenue d'ailleurs par le général de Palikao, le nouveau ministre de la guerre, qui avait un plan de marche foudroyante et victorieuse, pour donner la main à Bazaine. Et, le journal glissé sur les genoux, Maurice maintenant, les regards perdus, croyait tout comprendre: les deux plans qui se combattaient, les hésitations du maréchal De Mac- Mahon à entreprendre cette marche de flanc si dangereuse avec des troupes peu solides, les ordres impatients, de plus en plus irrités, qui lui arrivaient de Paris, qui le poussaient à la témérité folle de cette aventure. Puis, au milieu de cette lutte tragique, il eut tout d'un coup la vision nette de l'empereur, démis de son autorité impériale qu'il avait confiée aux mains de l'impératrice-régente, dépouillé de son commandement de général en chef dont il venait d'investir le maréchal Bazaine, n'étant plus absolument rien, une ombre d'empereur, indéfinie et vague, une inutilité sans nom et encombrante, dont on ne savait quoi faire, que Paris repoussait et qui n'avait plus de place dans l'armée, depuis qu'il s'était engagé à ne pas même donner un ordre.

      Cependant, le lendemain matin, après une nuit orageuse, qu'il dormit hors de la tente, roulé dans sa couverture, ce fut un soulagement pour Maurice, d'apprendre que, décidément, la retraite sur Paris l'emportait. On parlait d'un nouveau conseil, tenu la veille au soir, auquel assistait l'ancien vice-empereur, M Rouher, envoyé par l'impératrice pour hâter la marche sur Verdun, et que le maréchal semblait avoir convaincu du danger d'un pareil mouvement. Avait-on reçu de mauvaises nouvelles de Bazaine? On n'osait l'affirmer. Mais l'absence de nouvelles même était significative, tous les officiers de quelque bon sens se prononçaient pour l'attente sous Paris, dont on allait être ainsi l'armée de secours. Et, convaincu qu'on se replierait dès le lendemain, puisqu'on disait les ordres donnés, Maurice, heureux, voulut satisfaire une envie d'enfant qui le tourmentait: celle d'échapper pour une fois à la gamelle, de déjeuner quelque part sur une nappe, d'avoir devant lui une bouteille, un verre, une assiette, toutes ces choses dont il lui semblait être privé depuis des mois. Il avait de l'argent, il fila le coeur battant, comme pour une fredaine, cherchant une auberge.

      Ce fut, au delà du canal, à l'entrée du village de Courcelles, qu'il trouva le déjeuner rêvé. La veille, on lui avait dit que l'empereur était descendu dans une maison bourgeoise de ce village; et il y était venu flâner par curiosité, il se souvenait d'avoir vu, à l'angle de deux routes, ce cabaret avec sa tonnelle, d'où pendaient de belles grappes de raisin, déjà dorées et mûres. Sous la vigne grimpante, il y avait des tables peintes en vert, tandis que, dans la vaste cuisine, par la porte grande ouverte, on apercevait l'horloge sonore, les images d'Épinal collées parmi les faïences, l'hôtesse énorme activant le tournebroche. Derrière, s'étendait un jeu de boules. Et c'était bon enfant, gai et joli, toute la vieille guinguette Française.

      Une belle fille, de poitrine solide, vint lui demander, en montrant ses dents blanches:

      — Est-ce que monsieur déjeune?

      — Mais oui, je déjeune!… Donnez-moi des oeufs, une côtelette, du fromage!… Et du vin blanc!

      Il la rappela.

      — Dites, n'est-ce pas dans une de ces maisons que l'empereur est descendu?

      — Tenez! Monsieur, dans celle qui est là devant nous… Vous ne voyez pas la maison, elle est derrière ce grand mur que des arbres dépassent.

      Alors, il s'installa sous la tonnelle, déboucla son ceinturon pour être plus à l'aise, choisit sa table, sur laquelle le soleil, filant à travers les pampres, jetait des palets d'or. Et il revenait toujours à ce grand mur jaune, qui abritait l'empereur. C'était en effet une maison cachée, mystérieuse, dont on ne voyait pas même les tuiles du dehors. L'entrée donnait de l'autre côté, sur la rue du village, une rue étroite, sans une boutique, ni même une fenêtre, qui tournait entre des murailles mornes. Derrière, le petit parc faisait comme un îlot d'épaisse verdure, parmi les quelques constructions voisines. Et là, il remarqua, à l'autre bord de la route, encombrant une large cour, entourée de remises et d'écuries, tout un matériel de voitures et de fourgons, au milieu d'un va-et-vient continu d'hommes et de chevaux.

      — Est-ce que c'est pour l'empereur, tout ça? demanda-t-il, croyant plaisanter, à la servante, qui étalait sur la table une nappe très blanche.

      — Pour l'empereur tout seul, justement! répondit-elle de son bel air de gaieté, heureuse de montrer ses dents fraîches.

      Et, renseignée sans doute par les palefreniers, qui, depuis la veille, venaient boire, elle énuméra: l'état-major composé de vingt-cinq officiers, les soixante cent-gardes et le peloton de guides du service d'escorte, les six gendarmes du service de la prévôté; puis, la maison, comprenant soixante-treize personnes, des chambellans, des valets de chambre et de bouche, des cuisiniers, des marmitons; puis, quatre chevaux de selle et deux voitures pour l'empereur, dix chevaux pour les écuyers, huit pour les piqueurs et les grooms, sans compter quarante-sept chevaux de poste; puis, un char à bancs, douze fourgons à bagages, dont deux, réservés aux cuisiniers, avaient fait son admiration par la quantité d'ustensiles, d'assiettes et de bouteilles qu'on y apercevait, en bel ordre.

      — Oh! Monsieur, on n'a pas idée de ces casseroles! ça luit comme des soleils… Et toutes sortes de plats, de vases, de machines qui servent je ne peux pas même vous dire à quoi!… Et une cave, oui! Du Bordeaux, du Bourgogne, du Champagne, de quoi donner une fameuse noce!

      Dans la joie de la nappe très blanche, ravi du vin blanc qui étincelait dans son verre, Maurice mangea deux oeufs à la coque, avec une gourmandise qu'il ne se connaissait pas. À gauche, lorsqu'il tournait la tête, il avait, par une des portes de la tonnelle, la vue de la vaste plaine, plantée de tentes, toute une ville grouillante qui venait de pousser parmi les chaumes, entre le canal et Reims. À peine quelques maigres bouquets

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