Légendes pour les enfants. Anonyme
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1861
PARIS.--IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET Cie
Rues de Fleurus, 9, et de l'Ouest, 21
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.
Ce volume contient six légendes qui, les unes, sont tirées de la Bibliothèque bleue et, les autres, sont écrites ici pour la première fois.
Ces légendes sont: Le roi Dagobert, Geneviève de Brabant, Robert le Diable, Jean de Paris, Griselidis et le Juif errant.
La première et la dernière de ces légendes sont celles qui ne font pas partie de la Bibliothèque bleue. Toutes les autres y figurent, et à peu près dans l'état où nous les avons reproduites.
La Bibliothèque bleue, qui n'est guère connue aujourd'hui que par le souvenir, a joué un fort grand rôle dans l'histoire des lectures populaires et des amusements de l'enfance. Pendant plus de deux siècles, le dix-septième et le dix-huitième, elle a été une encyclopédie toute spéciale des romans, légendes, fabliaux, chansons et satires de notre pays. La couverture bleue qui était la simple parure des divers ouvrages dont elle était d'abord composée, invariablement reproduite, avait fini par donner un nom de couleur à ces ouvrages et à la Bibliothèque elle-même, et ce n'était là qu'un nouvel attrait pour l'imagination des lecteurs naïfs.
Il y a en effet, et cela se sent surtout lorsqu'on est jeune, un langage particulier dans certains mots qui affectent un air de mystère. Qu'est-ce qu'un conte bleu? Comment une histoire peut-elle être bleue? Voilà ce que l'enfant demande et ce qui l'étonne. Il s'attache à la recherche de ce problème singulier; il regarde le récit qui lui est fait comme un récit d'un ordre surnaturel, et un plaisir étrange assaisonne sa lecture.
Je me souviens des jouissances extraordinaires qui, en mon tout jeune âge, me surprenaient devant ces livres d'une littérature si originale et de toutes manières si bien faite pour émouvoir l'âme et plaire à l'esprit des enfants ou des villageois. Le titre seul, la vue seule d'un conte bleu me ravissait au milieu de je ne sais quel monde qui n'était pas celui des fées, que je distinguais bien, qui était plus humain, plus vrai, un peu moins bruyant, un peu plus triste, et que j'aimais davantage.
Les contes de fées amusent, mais ils ne charment pas; les contes bleus, qui donnent moins de gaieté, remuent le coeur. On entre peu à peu, avec ces récits, dans le domaine de l'histoire. Ce sont des mensonges; mais ces mensonges ont, en quelque sorte, des racines dans la vérité. Il y a des époques peintes, des caractères tracés, et tout un pittoresque naturel dans ces légendes qui n'ont fait défaut à aucun peuple. La vie de nos pères nous apparaît au travers de ces peintures; nous nous la rappelons sans l'avoir connue, et, tout jeunes, nous apprenons à aimer religieusement les hommes d'autrefois.
La Bibliothèque bleue a obtenu un succès incomparable. C'est Jean Oudot, libraire de Troyes, qui dès les premières années du seizième siècle, sous Henri IV, eut l'idée de recueillir et de publier successivement, à l'usage des campagnes, les légendes chevaleresques de la vieille France.
Le moment était merveilleusement choisi. La vie ancienne de la France avait cessé et le travail de transformation commençait qui allait, au dix-septième siècle, réduire et limiter tout à fait, dans les moeurs et dans la langue, la part des vieilles moeurs et du vieux langage. Le moyen âge était enseveli; le monde nouveau naissait. C'était l'heure propice pour les contes qui parlaient des héros de l'âge anéanti.
La Bibliothèque bleue parut; elle était composée de volumes qui, presque tous, étaient des in-quarto, d'un format semblable à celui du Messager de Bâle, ou du Messager de Strasbourg, imprimés sur le même gros papier et revêtus de la même couverture bleu foncé.
En 1665, le fils de Jean Oudot, Nicolas, ayant épousé la fille d'un libraire de Paris, vint s'établir rue de la Harpe, à l'image de Notre-Dame, et, devenu libraire parisien, agrandit le cercle de ses entreprises et de ses affaires. De cette époque datent la plupart des publications qui ont fait la fortune de la Bibliothèque.
Lorsque Nicolas fut mort, la veuve Oudot continua son commerce avec habileté. Elle eut divers successeurs qui, comme elle et comme les fondateurs de la Bibliothèque bleue, vécurent des profits de la popularité qui s'était attachée à ces ouvrages. L'un des principaux de ces successeurs est le libraire Garnier, de Troyes. C'est à Troyes surtout qu'on a continué l'impression des volumes détachés de la Bibliothèque bleue dont, encore aujourd'hui, les campagnes consomment des milliers d'exemplaires.
En 1770, un très-médiocre écrivain nommé Castillon, songea à publier, en un même corps d'ouvrage, ces contes rajeunis par lui; il s'avisa malheureusement d'y ajouter des situations nouvelles et des épisodes nouveaux.
En 1843 M. Le Roux de Lincy, sous le titre de Nouvelle Bibliothèque bleue ou Légendes populaires de la France, a publié, en un volume, Robert le Diable, Richard sans Peur, Jean de Paris, Jean de Calais, Geneviève de Brabant, Jehanne d'Arc et Griselidis. Nous n'avons pas l'intention de critiquer un travail qui nous a été fort utile; mais nous pouvons dire pourquoi nous avons cru ne pas devoir suivre tout à fait la même voie que M. Le Roux de Lincy. Peut-être Richard sans Peur, très-joli conte, cela est vrai, fait-il un peu double emploi avec le conte de Robert le Diable qui, du reste, paraît être l'oeuvre du même auteur? Jean de Calais est bien loin d'avoir la grâce et le vif esprit du récit des aventures de Jean de Paris; c'est d'ailleurs une oeuvre beaucoup plus récente, et d'un style qui n'a point de qualités; enfin la légende de Jehanne d'Arc est assez insignifiante. Nous avons donc écarté d'abord Jehanne d'Arc, Jean de Calais et Richard sans Peur.
«Bien loin d'imiter Castillon, disait M. Le Roux de Lincy, je me suis appliqué à reproduire les textes de l'ancienne Bibliothèque bleue. Il faut respecter cette version admise par le peuple; elle est sacramentelle et nous a conservé la mémoire de nos plus anciennes traditions. En effet, quand on lit le catalogue de Nicolas Oudot, on y retrouve avec plaisir tous ces récits dans lesquels se sont perpétuées les légendes, ou sacrées ou profanes, qui ont été célèbres en Europe pendant le moyen âge. On doit considérer la Bibliothèque bleue comme étant la dernière forme de cette littérature romanesque si nécessaire à bien connaître quand on veut comprendre la vie privée de nos aïeux.»
Pour nous qui ne songions point à imprimer un recueil pour les archéologues et les bibliophiles, mais qui nous adressions aux enfants, nous n'avons pas dû leur présenter ces légendes telles quelles, dans leur appareil archaïque et avec leurs erreurs elles-mêmes. Nous n'avons introduit