Légendes pour les enfants. Anonyme
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«Tu vois, dit-il en finissant, que je m'en tire bien.
--Oui; mais je connaissais ce moyen-là; seulement....
--Seulement?
--Je préférais la méthode ordinaire.
--Tu avais tort,» ajouta en riant l'inconnu.
Éloi ne pouvant se résoudre à s'avouer vaincu, dit à ce singulier maréchal de passage: «Reste avec moi; je t'apprendrai quelque chose tout de même.»
L'autre consentit. Éloi, l'ayant installé, l'envoya presque aussitôt dans un village voisin sous prétexte de le charger d'un message, et attendit qu'il passât un cheval à ferrer pour faire ce qu'il avait vu faire et soutenir sa renommée.
Cinq minutes après, un cavalier armé de toutes pièces s'arrêta devant la boutique et dit à Éloi de ferrer son cheval, qui s'était déferré d'un pied de derrière. Éloi, au comble de la joie, s'approcha du cheval après avoir affilé son couteau. Le cavalier sourit; mais Eloi ne s'en aperçut pas; il prit la jambe déferrée et la coupa. La bête pousse sur-le-champ des hennissements pleins de douleur, le sang coule à flots, le cavalier s'emporte. Éloi, bien que surpris, ne voulut pas montrer sa honte. «Attendez, dit-il, cela ne sera pas long, et c'est la méthode la meilleure.»
Puis il mit le pied coupé dans l'étau, cloua le fer, et voulut recoller le pied ferré.
Le cheval était en fureur; le sang coulait toujours; déjà l'on voyait que la pauvre bête allait mourir.
«Ah! s'écriait le cavalier en colère, voilà une plaisante enseigne: Eloi, maître sur maître, maître sur tous. Si c'est là ta science, elle ne vaut pas grand chose et te coûtera cher.»
Éloi, désespéré, ne savait à quel saint se vouer, lorsque son nouveau compagnon revint du village où il l'avait envoyé.
«Vois, lui dit-il d'un ton triste, vois la besogne que j'ai faite. Je suis puni pour m'être cru aussi habile que toi.
--Ce n'est rien, répondit l'autre; je vais réparer le mal.»
En un instant, la jambe coupée fut remise en bon état, et le cheval rétabli. Ce que voyant, Éloi avait pris une échelle et un marteau; sur l'échelle il monta jusqu'à son enseigne; avec le marteau, il la brisa en mille pièces et dit: «Je ne suis pas maître sur maître; je ne suis plus qu'un compagnon.»
Le cavalier était à cheval; l'ouvrier inconnu, transfiguré soudainement, jeune, beau, brillant, la tête ceinte d'une auréole, monta en croupe, et dit à Éloi d'une voix qui répandait des parfums dans les airs et chantait comme la douce musique des orgues: «Éloi, tu t'es humilié; je te pardonne. Dieu seul est le maître des maîtres. Marche dans les sentiers de l'Évangile; sois doux et juste; je ne t'abandonnerai pas.»
Éloi voulut se jeter à genoux. L'ange et saint Georges, qui était le cavalier armé de toutes pièces, avaient déjà disparu.
A partir de ce jour, Eloi n'eut plus d'orgueil.
IV
Suite de l'histoire de saint Éloi.
Éloi, devenu orfévre au bout de peu de temps imagina et fabriqua, comme par enchantement, les plus belles parures. Dieu, qui l'avait corrigé, guidait et faisait réussir ses efforts. En même temps qu'il étonnait tout le monde par son habileté, Éloi consacrait une grande part de son temps à des oeuvres de piété et de charité. Dans tous le pays du Limousin on ne parlait que de ses vertus, de sa générosité, de sa patience et aussi de sa douce gaieté qui, plus que tout le reste, consolait les malheureux.
Un officier du roi Chlother II, émerveillé de ce qu'il lui voyait faire, parla de lui et le décida à se rendre dans le nord de la Gaule franque. Il avait alors vingt-neuf ou trente ans. Eloi partit et fut présenté au roi, qui l'employa d'abord à la fabrication de ses monnaies. Chlother eut un jour envie d'un fauteuil d'orfévrerie fine; il fit appeler Éloi et fit peser devant lui une grande quantité d'or à côté duquel on plaça un grand nombre de pierres précieuses. Éloi emporta ces riches matières dans son atelier. Au bout d'un mois il demanda à Chlother la permission de lui montrer ce qu'il avait fait. «Si vite! dit le roi; il paraît que tu ne t'es pas fort appliqué à ton ouvrage et que tu as oublié que c'est pour moi que tu travaillais. Enfin, voyons cela.» Un fauteuil, d'un travail très-ingénieux, est alors dépouillé de son enveloppe; tout le monde pousse des cris d'admiration; le roi est ravi. «Seigneur, dit Éloi, ne ferez-vous point peser le fauteuil, afin de savoir si j'ai employé toute la matière?--Oh! dit Chlother, je vois bien que tu as une bonne conscience et que tu n'as rien gardé pour toi.» Sur un signe d'Eloi, deux ouvriers apportent un second fauteuil aussi beau, si ce n'est plus beau que le premier. «Voilà, dit Eloi, ce que votre serviteur a pu faire avec l'or et les pierreries qui lui restaient.» Les Francs qui étaient là n'en voulaient pas croire leurs yeux; le roi lui prit la main en disant: «Mon ami, à partir de ce jour tu logeras avec moi. Fais venir à Rueil 3 tes outils et tes serviteurs: j'irai de temps en temps m'amuser à voir comment tu t'y prends pour créer toutes ces merveilles.» En effet, à partir de ce jour, Éloi fut l'ami de Chlother II, de sa femme, de son fils Dagobert et généralement de tout le monde.
Note 3: (retour) Rueil est un des plus anciens villages des environs de Paris. Grégoire de Tours en a parlé. On l'appela successivement Rotolajum, Rotolajensis Villa, puis Riolium ou Ruoilum et enfin Ruellium. Les rois de la première race y avaient une grande métairie et des ateliers de toute sorte.
V
Comment Dagobert aimait la chasse passionnément.
Il n'est pas difficile d'imaginer quelle fut la première jeunesse de Dagobert. La vie des grands personnages du septième siècle ne ressemblait pas beaucoup à la nôtre. Ils passaient la moitié de leur journée à la chasse, accompagnés d'une foule de serviteurs qui leur faisaient comme une armée, et le reste du temps devant leur table, sur laquelle fumaient à la fois les grands quartiers de venaison rôtis et les larges vases pleins de cervoise et d'hydromel. Dagobert, de très-bonne heure, prit goût à ces longs repas et à ces robustes exercices. Il n'était encore qu'un jeune enfant qu'il montait à cheval et suivait son père à la