Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition. Anonyme
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Ou par le pichet.
C’était là un sinistre avertissement que je n’ai pas su prendre au sérieux.
Lorsque je suis enfin rentré au pays, à vingt-deux ans, j’étais déjà un vétéran des guerres à l’étranger. Je croyais en mes qualités de chef : les hommes de mon bataillon ne m’avaient-ils pas donné un témoignage spécial d’appréciation ? Mes aptitudes de meneur me hisseraient – je me plaisais à le croire – à la tête de vastes entreprises que je dirigerais avec la plus grande assurance.
J’ai suivi un cours du soir en droit et par la suite, j’ai décroché un emploi comme inspecteur dans une société de cautionnement. La course à la réussite était commencée. J’allais prouver au monde entier que j’étais quelqu’un. Mon travail m’a amené à Wall Street et, peu à peu, je me suis intéressé au marché des valeurs. Beaucoup y perdaient de l’argent, mais d’autres y faisaient fortune. Pourquoi pas moi ? J’ai étudié l’économie et les sciences commerciales en plus du droit. En raison de mon penchant pour l’alcool, j’ai failli échouer à mon cours de droit. Je me suis présenté à l’un des derniers examens trop ivre pour écrire ou même penser. Même si je ne buvais pas encore de façon continue, ma femme s’inquiétait. Nous avions de longues conversations au cours desquelles je tentais de la rassurer en lui disant que les hommes de génie avaient eu leurs meilleures idées sous l’effet de l’alcool... que les plus sublimes théories philosophiques étaient nées de la même façon.
À la fin de mon cours de droit, je savais déjà que je n’étais pas fait pour cette discipline. J’étais envoûté par le tourbillon de Wall Street. Les bonzes de la finance et du monde des affaires étaient mes héros. Mêlant alcool et spéculation, j’ai commencé à forger l’arme qui un jour se retournerait contre moi, comme un boomerang, et me réduirait en pièces. En réduisant nos dépenses, ma femme et moi avions économisé 1 000 dollars. Cet argent a servi à acheter des titres alors bon marché et peu recherchés. J’avais pensé, avec raison, que ces titres prendraient beaucoup de valeur un jour. Je n’avais pas réussi à convaincre mes amis de la bourse de m’envoyer examiner la gestion d’usines et d’entreprises, mais j’ai décidé avec ma femme d’y aller quand même. J’avais développé la théorie voulant que la plupart des gens perdaient de l’argent à la bourse à cause de leur ignorance des marchés. Plus tard, j’allais découvrir beaucoup d’autres raisons.
Nous avons quitté nos emplois pour partir à l’aventure sur une motocyclette dont nous avions chargé le side-car d’une tente, de couvertures, de vêtements de rechange et de trois énormes annuaires de références boursières. Nos amis nous disaient fous à lier. Ils avaient peut-être raison. Grâce à quelques spéculations heureuses, nous avions un peu d’argent de côté, mais il nous est arrivé une fois de devoir travailler dans une ferme pendant un mois pour éviter de puiser dans notre petit capital. Je n’allais pas connaître avant fort longtemps un autre travail manuel honnête. En une année, nous avons couvert tout l’Est des États-Unis. Les rapports que j’avais envoyés à Wall Street pendant ce temps m’ont valu à notre retour un poste associé à un compte de frais. Cette année-là, l’exercice d’un droit d’option a donné lieu à des rentrées de fonds supplémentaires qui se sont traduites par un profit de plusieurs milliers de dollars.
Au cours des quelques années qui ont suivi, la chance m’a apporté argent et honneurs. J’avais réussi. Nombreux étaient ceux qui adoptaient mes idées et se fiaient à mon jugement dans cette ronde des millions sur papier. La grande vague de prospérité de la fin des années vingt déferlait sur le monde économique. Prendre un verre était devenu une chose importante pour moi et mettait du piquant dans ma vie. En ville, on parlait haut et fort dans les boîtes de jazz. On dépensait des milliers et on parlait en millions. Les railleurs pouvaient bien se moquer et aller au diable. Je m’étais fait une foule d’amis des beaux jours.
Ma consommation d’alcool a augmenté sérieusement. Je buvais continuellement le jour et presque tous les soirs. Les remontrances de mes amis dégénéraient en disputes et je me suis retrouvé tel un loup solitaire. Il y a eu de nombreuses scènes malheureuses dans notre somptueux appartement. Je n’avais jamais été réellement infidèle à ma femme car ma loyauté envers elle, parfois aidée par mon état extrême d’ébriété, me gardait de ces ennuis.
En 1929, j’ai eu la fièvre du golf. Nous nous sommes aussitôt installés à la campagne où ma femme m’applaudissait pendant que je tentais de surpasser les exploits de Walter Hagen. L’alcool a cependant pris le dessus plus vite que je n’ai pu rattraper Walter. J’ai commencé à être saisi de tremblements le matin. Le golf constituait une occasion de boire tous les jours et tous les soirs. Je prenais plaisir à évoluer sur le parcours du club sélect qui m’avait tant impressionné lorsque j’étais jeune. J’affichais le magnifique bronzage des biens nantis. Le banquier de la localité me regardait déposer et encaisser de gros chèques avec un scepticisme amusé.
Puis, en octobre 1929, brusquement, l’enfer s’est déchaîné à la bourse de New York. À la fin d’une de ces journées infernales, je passais en titubant du bar d’un hôtel à un bureau de courtage. Il était huit heures, la bourse avait fermé ses portes cinq heures plus tôt. Le télégraphe fonctionnait encore. Je fixais un bout de papier sur lequel était inscrit XYZ-32. Le matin du même jour, ce titre cotait à 52. J’étais ruiné et plusieurs de mes amis aussi. Les journaux rapportaient que des hommes s’étaient suicidés en se jetant du haut des tours de la bourse. Cela me révoltait. Moi, je ne me suiciderais pas. Je suis retourné au bar. Mes amis avaient perdu plusieurs millions depuis dix heures le matin. Et alors ? Demain était un autre jour. Tout en buvant, je me suis senti envahi à nouveau par la même détermination féroce de gagner que j’avais autrefois.
Le lendemain matin, j’ai téléphoné à un ami de Montréal. Il lui restait encore beaucoup d’argent. Il croyait que je ferais mieux d’aller m’installer au Canada. Le printemps suivant, ma femme et moi avions repris notre train de vie habituel. Je me sentais comme Napoléon au retour de l’île d’Elbe. Pas d’île Sainte-Hélène pour moi ! Mais l’alcool m’ayant rattrapé, mon généreux ami fut contraint de se séparer de moi. Cette fois, nous allions rester sans argent.
Nous sommes allés vivre chez les parents de ma femme. J’ai trouvé un emploi que j’ai perdu par la suite à cause d’une querelle avec un chauffeur de taxi. Heureusement, personne ne pouvait deviner que pendant cinq ans, j’allais demeurer sans emploi véritable et ne pas dégriser un seul instant. Ma femme avait trouvé du travail dans un grand magasin et quand elle rentrait à la maison épuisée, elle me trouvait soûl. Chez les courtiers, où je traînais, j’étais devenu un indésirable.
L’alcool n’était désormais plus un luxe mais une nécessité. Deux et parfois trois bouteilles de gin de contrebande par jour avaient fini par constituer ma ration coutumière. De temps en temps, une petite transaction me rapportait quelques centaines de dollars ; j’acquittais alors mes dettes dans les bars et les casse-croûte. Le même manège se répétait sans cesse et j’ai commencé à m’éveiller très tôt le matin, secoué de violents tremblements. Il me fallait boire au moins un grand verre de gin et six bouteilles de bière avant d’être en mesure de prendre mon petit déjeuner. Néanmoins, je demeurais convaincu de pouvoir maîtriser la situation et je traversais des périodes de sobriété qui redonnaient espoir à ma femme.
Les choses se sont détériorées peu à peu. Le créancier hypothécaire a saisi la maison, ma belle-mère est morte, ma femme et mon beau-père sont tombés malades.
C’est alors qu’une affaire prometteuse s’est présentée. Les actions étaient à leur plus bas niveau pour l’année 1932 et j’avais réussi tant bien que mal à former un groupe d’acheteurs.