Annette Laïs. Paul Feval
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Elle eut un petit rire sec. J'ajoutai sur un mode plaintif:
«Qui donc a pu vous donner si mauvaise opinion de moi?»
Je sentis qu'elle me regardait avec attention, et je me préparai sérieusement à subir un examen de morale.
«Etes-vous dévot, René? me demanda-t-elle.
—Pas autant que je le voudrais, répondis-je avec modestie.
—Moi, me dit-elle, c'est par places. Il y a des moments où je suis comme une tigresse, en fait de religion. D'abord, je mets de la passion dans tout. J'ai passé vingt-huit ans, vous concevez, et l'on ne se refait pas à cet âge-là. Tout le monde remplit ses devoirs à la maison; j'exige cela: Laroche est exemplaire. Mais il me vient des doutes, mon esprit travaille. Ah! l'Evangile a bien raison de le dire: «Bienheureux les pauvres d'esprit!» C'est mon esprit qui fait des siennes. Du reste, je suis en veine de ferveur, ces temps-ci, en grand veine: j'ai trois sermons demain, très commodément échelonnés: deux l'après-midi, un le soir; je vous y mènerai. Savez-vous que je ne resterais pas seule avec votre frère Gérard comme me voici avec vous, chevalier?
—Ma cousine....» balbutiai-je.
Je balbutiais parce que sa main, naturellement très blanche, et que la poudre de riz faisait plus douce qu'un satin, lissait mes cheveux sur mon front.
«On dirait que vous avez peur de moi, interrompit-elle, vous n'osez pas me regarder.»
Je levai les yeux. Son sourire excellent me fit en vérité battre le cœur.
«Je ne sais comment vous exprimer, m'écriai-je, la joie que j'éprouve à retrouver en vous une seconde mère!»
Ses sourcils se rapprochèrent tandis que sa bouche souriait avec pitié.
«Vous devez avoir faim, mon petit homme, dit-elle brusquement. Sonnez, on va vous servir à souper.»
J'eus le bonheur de répondre:
«Je n'ai pas faim, et se peut-il que vous soyez déjà ennuyée de moi?
—Paris offre tant de divertissements aux enfants comme vous! dit-elle avec un reste de rancune déjà radoucie.
—Je parlais de ma mère, ajoutai-je, car peut-être comprenais-je vaguement le motif de ma disgrâce, pour trouver un terme de comparaison au bonheur que j'ai de m'entretenir avec vous.»
En même temps, j'appuyai mes lèvres sur sa main, comme pour demander mon pardon. Elle affecta de retirer sa main précipitamment.
Ce n'était pas une grande coquette, selon la classification théâtrale. Ce n'était pas non plus tout à fait une comique. Il y avait une forte dose de naïveté dans son savoir-faire.
Du reste, je dois dire tout de suite que la maison entière participait à ces demi-teintes. Il n'y avait là qu'une moitié de luxe, parce qu'on possédait à peine une moitié de fortune. Je ne peux plus appeler demi-monde le monde qu'on voyait chez le président, puisque la signification de ce mot est fixée à faux par une des plus charmantes et des plus illustres comédies de ce temps-ci. Le demi-monde de la comédie n'est pas plus le vrai demi-monde qu'un morceau de strass n'est un demi-diamant. L'abondance des colléges, au contraire, est bien véritablement du demi-vin ou du quart de vin, puisqu'il y a un peu de vin dans beaucoup d'eau. C'était ainsi chez ma cousine. A supposer que le grand monde soit la crème, il y avait là un peu de crème sincère dans quelque chose qui n'était même plus du lait.
La matière première restait, mais le titre allait s'abaissant. Il n'était pas jusqu'au président, dont je n'ai pas eu occasion de parler encore, qui ne fût entre la chèvre et le chou: presque grand seigneur, mais un peu dans le tas, homme politique entre le zist et le zest sommité du douzième ordre, alliant l'austérité apparente à des faiblesses très peu mystérieuses. L'époque prêtait à cela: c'était le règne des coalitions malsaines et des paradoxales compensations. On appelait cette cuisine sophistique le juste milieu. Les choses allaient et venaient sans avoir le courage de l'effronterie, sans prendre le souci d'être hypocrites. On eût dit que la société parisienne s'arrêtait entre deux portes pour attendre mieux ou pis. Ce qu'elle attendait est venu.
Mme de Kervigné disposa de nouveau les plis de sa robe et adoucit encore les suavités un peu prétentieuses de son sourire.
«Vous vous exprimez avec facilité, René, me dit-elle. Si mon mari était un autre homme, je vous garantirais le succès à Paris, car vous avez tout pour vous. Quand on a passé vingt-huit ans, on peut bien faire le sacrifice de la coquetterie. Je comptais être votre sœur aînée, mais, ce n'est pas assez solennel: je serai votre petite mère.
—Ah! madame! m'écriai-je.
—Vous m'appellerez petite maman? Ce sera tout gracieux et cela imposera silence à la calomnie.... car on calomnie à Paris comme en province, chevalier, s'interrompit-elle en un soupir de colombe blessée; et quand une femme de haut rang a le malheur d'être délaissée par son mari... quoique certes votre cousin soit un galant homme et qu'il n'ait jamais manqué aux égards qu'il me doit. Mais vous savez, le faubourg Saint-Germain est plus près de Versailles que de Paris, c'est un vieillard boudeur qui n'a gardé que ses yeux d'Argus et sa langue de commère. Le tiers et le quart savent que le président, malgré son âge—il pourrait presque être mon père—malgré sa position.... Vous m'entendez bien, René, je ne peux pas, non plus, mettre de trop gros points sur les i. Et il me sera bien doux d'avoir en vous un confident de mes peines.»
Je ne donne pas ce discours pour un modèle de précision oratoire; cependant il disait tout ce qu'il voulait dire, surtout à cause de l'accent qu'on y mettait. Je me sentis le cœur attendri.
«Se peut-il, murmurai-je, employant à mon insu une phrase du roman traduit de l'allemand que ma tante Bel-Œil m'avait donné; se peut-il que mon cousin paye votre tendresse par l'ingratitude!
—Ma tendresse!» répéta-t-elle.
Un moins novice que moi eût découvert son envie de rire. Mais elle me demanda tout à coup:
«Avez-vous lu beaucoup de romans, chevalier!»
Puis, sans attendre ma réponse:
«Certes, certes, reprit-elle. Le mot m'a semblé singulier à cause de l'âge du président; mais, en somme, n'est-on pas une vieille femme à vingt-huit ans passés! Et d'ailleurs. Il est fort bien conservé. Les hommes sont pour nous des vampires: ils rajeunissent par les chagrins qu'ils nous donnent et qui nous font vieillir. Ah? cher enfant! la vie est pour vous couleur de rose, et vous ne vous doutez pas de ce qu'un cœur peut souffrir.»
Les vingt-huit ans passés de ma cousine étaient pour moi désormais un article de foi. Les parents de Bretagne se trompaient sur son âge. Plus je restais près d'elle, plus je la trouvais bonne, douce, aimable. Je respirais les parfums trop accusés de sa toilette comme on s'enivre avec des fleurs. L'idée se fortifiait en moi que cette maison allait être mon paradis.
Les heures s'écoulèrent. J'entendis plus d'une fois le pas discret de Laroche qui rôdait dans le corridor, mais il n'osa pas entrer. Ma cousine souriait quand il s'approchait de la porte. Je n'aurais point su définir l'expression de ce sourire, où il y avait du contentement et une douce