Annette Laïs. Paul Feval

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Annette Laïs - Paul  Feval

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      Le baryton, qui était de mauvaise humeur, répondit

      «Il est rentré quelque part, mais pas ici.»

      Ma cousine leva les yeux au ciel, puis elle me regarda.

      Comme elle vit mes sourcils se froncer, elle me dit entre haut et bas:

      «Vous apprécierez Laroche. Il est au-dessus de son état.»

      Et à Laroche:

      «Mon bon, il faut que tu sois le guide et l'ami de cet enfant-là. Il est de mon parti. C'est mon page et je suis sa petite maman.

      —Ça va bien,» dit Laroche, qui dérangea un fauteuil comme pour s'asseoir.

      Mme de Kervigné rougit et le prévint en ajoutant:

      «Je me sens besoin, et l'enfant doit mourir de faim. Fais-nous servir quelque chose ici. Où as-tu mis le Breton?

      —A l'écurie.»

      Il sortit sur ce mot et claqua brutalement la porte. Dès qu'il fut parti, ma cousine me pinça légèrement l'oreille.

      «Je compte te tutoyer, René, me dit-elle puisque je suis ta petite maman. J'aime mieux briser la glace tout de suite. Je ne savais pas que tu prendrais du premier coup une si grande place dans mon affection, mais je devinais bien que Laroche et toi vous ne pourriez pas vous souffrir. Sois généreux, tu as tout l'avantage sur lui, qui n'est qu'un valet en définitive; mais quel valet! Je sens que je pourrais te le sacrifier, petit démon; car tu es ici déjà l'enfant gâté, mais je ne te le pardonnerais jamais.»

      Cela me fit plaisir de m'entendre appeler petit démon. Il y a un siècle qu'on ne vit candeur pareille à la mienne. Je voudrais savoir pourquoi les adolescents honnêtes, les gros bourgeois un peu idiots et les décrépits de la rouerie aiment ces caressantes injures: démon, méchant et même scélérat.

      Ma cousine passa son pied sous mon tabouret et le rapprocha sans effort. Derrière sa rondeur d'odalisque il y avait une mâle vigueur.

      «Tu sauras tout! reprit-elle en mettant sa bouche contre mon oreille. Il y a bien des femmes qui voudraient tes cheveux. Et comme c'est étonnant, chevalier! Je ne vous connais que depuis trois heures et j'en suis à vous confier des choses.... oh! certes, bien délicates, mon ami! si délicates que je cherche mes mots. Portez-vous des gants la nuit?

      —La nuit! répétai-je étonné.

      —Je veux que toutes ces dames soient folles de vous, de toi, mon petit chevalier. C'est très rare, ce titre-là, maintenant, et il te sied à ravir. Le dernier chevalier c'était Faublas. Tu as lu Faublas?

      —Vous voulez dire Gil Bas, rectifiai-je. L'abbé Raffroy n'a pas voulu me permettre cette lecture.

      —Je crois bien! fit-elle en baissant les yeux pour cacher un sourire. J'écrirai demain à toute ta famille et à l'abbé Raffroy. Mais ne leur dites rien de nos petits secrets. Bon Dieu! s'ils savaient que je suis obligée d'avoir près de moi un Laroche, parce que M. de Kervigné se compromet auprès de toutes mes femmes de chambre?

      —Quoi! m'écriai-je avec plus de gaieté encore que d'étonnement, M. de Kervigné?...

      —Ris souvent, m'interrompit-elle. Tu ris bien.»

      Ma foi, j'étais parti. L'idée d'un grave président mis ainsi en pénitence excita en moi une hilarité bruyante et prolongée.

      «Ah! petite maman, balbutiai-je les larmes aux yeux à ce point de vue. Laroche est magnifique!

      —Et toi, tu es charmant, René! murmura-t-elle. Tu comprends tout. Dans un mois, tu seras la coqueluche de mon salon!»

      Je riais encore, quand on mit la table; Laroche grave, roide, maussade, présida aux préparatifs et se retira. Pour un peu, ce soir-là, il se serait fait carmélite, comme la Vallière.

      Ma cousine me servit une tranche de foie gras et fit mousser le champagne dans mon verre. Je n'en étais plus à m'étonner.

      «Nous sommes en partie fine, me dit-elle.

      —Si mon cousin revenait, repartis-je d'un ton où mon innocence avait déjà quelque alliage de scélératesse.»

      Elle me donna de son pain sur les doigts et murmura:

      «Ce n'est pas lui qui m'occupe.»

      Hélas! c'était Laroche. Laroche venait de temps en temps, sous prétexte de servir. Pour donner une idée des progrès qu'on peut faire à Paris en une soirée, l'idée me passa que ce coquin de Laroche avait bien pu s'asseoir une fois ou l'autre à ma place, châtiant ainsi de plus d'une manière les inconvenances de M. le président.

      Laroche, du reste, me gênait peu. J'avais un appétit d'enfer, et je trouvais le souper exquis. Mme de Kervigné ne mangeait pas comme ma tante Nougat, mais c'était néanmoins une forte convive. Elle avait des façons ravissantes de tenir son verre à champagne. Je trouvais à Laroche des airs d'Othello qui me divertissaient sincèrement.

      Au dessert, je savais par cœur la maison de ma cousine. Elle avait eu soin de m'apprendre que la partie du métier de camériste, à laquelle Laroche était décidément impropre, était confiée à la lingère, vieille fille bossue que le président respectait. Le décorum une fois bien établi, Aurélie, car elle m'avait permis de l'appeler ainsi pour alterner avec petite maman, Aurélie dis-je, passa aux confidences, ou plutôt à la confession générale de son mari. Son mari n'en faisait pas beaucoup plus que les autres, me dit-elle; car la mode parmi les hommes graves était aux fredaines. Cela ne ressemblait pas tout à fait aux orgies publiques de la régence: c'étaient des débauches de juste milieu, timides, parcimonieuses, vilaines. Ces palais mignons de la volupté qu'on appelait jadis des folies ou de petites maisons, étaient remplacés tout uniment par des chambres garnies. Le Parc-aux-Cerfs du président était à Bagnolet, près d'une fabrique de plâtre, et lui coûtait six cents francs par an. Quand sa fantaisie allait jusqu'à mettre Paméla dans ses meubles, il avait un abonnement au faubourg Saint-Antoine et un billet de mille francs lui faisait voir le bout de l'aventure.

      Ma cousine connaissait par le menu la carte de cette rouerie au rabais. Il y avait des tenants et des aboutissants qui ne laissaient pas d'être curieux. Ainsi, le président, pourvu d'un pseudonyme, comme les vaudevillistes qui ont un bureau, était actionnaire de plusieurs petits théâtres. Son argent lui rapportait ainsi d'assez bons intérêts et une influence. Il était roi dans ces coulisses de bas ordre et n'enviait point les fous qui payent si cher le droit de s'égarer dans les couloirs de l'Opéra. On passe précisément par les petits théâtres avant de grimper dans les grands. Le président buvait le Nil à sa source.

      Il faisait débuter comme un commissaire du gouvernement. Ce qui coûte les yeux de la tête à un Anglais lui rapportait sept pour cent l'an, outre la paix profonde de l'incognito, car le théâtre Beaumarchais et les Délassements-Comiques sont à cent lieues du Palais de justice.

      Pour le moment, la divinité régnante était une demoiselle Annette Laïs, qui sortait Dieu sait d'où. Le président l'avait fait débuter depuis peu au théâtre Beaumarchais. Il était fou d'elle, à ce qu'on disait. Il allait la voir avec une perruque blonde et des lunettes bleues. Ma cousine ne me cacha pas qu'elle était tout particulièrement

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