Annette Laïs. Paul Feval

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Annette Laïs - Paul  Feval

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mouchoir, plus odorant qu'un paquet d'héliotropes, essuya ses yeux où il n'y avait point de larmes. Ce geste fut dessiné avec précaution pour ne pas enlever la peinture.

      «Souffert le martyre! reprit-elle d'une voix entrecoupée; des nuits sans sommeil, des jours où l'idée du suicide traversait vingt fois ma cervelle. Si je n'avais pas eu mes principes, René.... Mais j'appartiens, moi aussi, à cette noble terre, dernier asile de toutes les croyances. Je me suis souvenue que j'étais Bretonne, j'ai appelé à mon secours la prière et la sainte résignation..»

      Elle se laissa tomber sur un banc de gazon, et me fit signe de m'asseoir auprès d'elle.

      Ma cousine Aurélie ne lisait pas les mêmes livres que ma tante Bel-Œil, mais elle profitait abondamment des livres qu'elle lisait.

      «La prière a relevé ma force, continua-t-elle, la résignation... Tiens, petit, s'interrompit-elle, quand tu es seul auprès d'une jolie femme, il ne faut pas te camper comme un saint de bois. As-tu peur d'être mordu? On s'approche, on se penche gracieusement, si le mouchoir tombe....»

      Elle laissa tomber son mouchoir que je m'empressai de relever.

      «C'est bien, mais après?» me dit-elle.

      Je lui tendis le mouchoir, et j'eus un coup d'ombrelle sur les doigts avec cette explication didactiquement formulée:

      «C'est selon les personnes. Avec moi, qui suis ta petite maman, tu pouvais effleurer le mouchoir de tes lèvres. Tu n'as donc jamais lu d'histoire de pages et de châtelaines, René?

      —Si fait, ma cousine, dans les livres de ma tante Bel-Œil.

      —Cette pauvre Bel-Œil! Ce doit être bien gothique, ses livres! C'est un peu une ménagerie, dis donc, René, toutes ces bonnes gens-là? Mais partons d'un point. Dans le monde, chaque fois que tu te trouves auprès d'une jeune femme, tu dois lui faire la cour sous peine de passer pour un homme mal élevé. Tu comprends?

      —Oui, ma cousine.

      —Appelle-moi donc petite maman.

      —Oui, petite maman.

      —Ça ressemble davantage aux histoires de pages et de châtelaines. Quand je dis faire la cour, c'est en tout bien tout honneur. A Paris, on a des mœurs comme en Bretagne. Tu causes, n'est-ce pas, de la pluie ou du beau temps, le sujet de la conversation ne fait rien. J'ai connu des messieurs qui entament tout de suite après avoir dit:

      «Bien le bonjour!» Cependant, il vaut mieux bavarder. L'occasion vient en bavardant, comme l'appétit en mangeant. J'espère que tu n'y entends pas malice? Quand je dis l'occasion, c'est tout bonnement pour baiser le bout de cinq jolis doigts? Essaye!»

      J'obéis docilement.

      «Pas mal. A chaque jour sa leçon: c'est assez pour aujourd'hui. Ah! chevalier, si tu savais comme j'aurais besoin d'une affection jeune et pure pour raviver ma pauvre âme!

      —Si vous me permettiez... commençai-je, avec deux belles plaques de pourpre sur les joues.

      —Pas mal! répéta Aurélie. Mais la leçon est achevée, tu sais? Nous parlons raison. A ton âge, on regarde les femmes de vingt-huit ans comme de vieilles sempiternelles.

      —Mais pas du tout! protestai-je.

      —Si la leçon durait encore, je te dirais qu'il faut baiser la main ici, absolument. C'est indiqué et même....»

      Elle m'écarta de la pointe de son ombrelle, et prit un ton sérieux pour ajouter:

      «Dis-moi comment tu aimerais ta châtelaine, beau page?

      —De tout mon cœur.

      —C'est trop peu.»

      Elle se reprit à rire, et vraiment je la trouvai jolie.

      «A genoux, bambin! s'écria-t-elle. Tu n'as pas deviné cela. On se jette à genoux et l'on répond: Comme un fou!

      —Comme un fou!» répétai-je agenouillé.

      Je sentis sa lèvre qui brûlait mon front; mais elle se leva en éclatant de rire. Laroche était au bout de l'allée.

      «Laroche! appela-t-elle, Laroche!»

      Le baryton se dirigea vers nous d'un air mélancolique. La main potelée mais vigoureuse d'Aurélie m'empêchait de me relever.

      «On n'est pas en sûreté avec ce mauvais sujet-là, dit-elle quand Laroche fut à portée. Aide-moi à lui donner le fouet.»

      Je sentis le valet me toucher par derrière. Je n'avais pas compris où elle en voulait venir. D'un bond, je fus sur mes pieds et Laroche roula, les jambes en l'air, dans un massif de lilas. Il se releva pâle de rage.

      Mme de Kervigné était pâle aussi.

      «Un petit lion! murmura-t-elle, pendant que ses yeux brillaient.

      Puis, avec une froide bonté:

      «Il ne fallait pas toucher le chevalier, Laroche. Le chevalier vous fait présent de deux louis pour le mal qu'il aurait pu vous causer. Qu'on attelle! Le chevalier me conduit au sermon, ce matin, et ce soir au théâtre.»

      Laroche ne me regarda pas et s'éloigna consterné.

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