Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot

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mon fils, répliqua Cucufa, vous avez à vous seul plus d'appétit que tout un couvent de bramines. Que prétendez-vous faire de ce troupeau de folles?

      —Savoir d'elles les aventures qu'elles ont et qu'elles ont eues; et puis c'est tout.

      —Mais cela est impossible, dit le génie; vouloir que des femmes confessent leurs aventures, cela n'a jamais été et ne sera jamais.

      —Il faut pourtant que cela soit,» ajouta le sultan.

      A ces mots, le génie se grattant l'oreille et peignant par distraction sa longue barbe avec ses doigts, se mit à rêver: sa méditation fut courte.

      «Mon fils, dit-il à Mangogul, je vous aime; vous serez satisfait.»

      «Vous voyez bien cet anneau, dit-il au sultan; mettez-le à votre doigt, mon fils. Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible: mais n'allez pas croire au moins que c'est par la bouche qu'elles parleront.

      —Et par où donc, ventre-saint-gris! s'écria Mangogul, parleront-elles donc?

      —Par la partie la plus franche qui soit en elles, et la mieux instruite des choses que vous désirez savoir, dit Cucufa; par leurs bijoux.

      —Par leurs bijoux, reprit le sultan, en s'éclatant de rire: en voilà bien d'une autre. Des bijoux parlants! cela est d'une extravagance inouïe.

      —Mon fils, dit le génie, j'ai bien fait d'autres prodiges en faveur de votre grand-père; comptez donc sur ma parole. Allez, et que Brama vous bénisse. Faites un bon usage de votre secret, et songez qu'il est des curiosités mal placées.»

      Cela dit, le cafard hochant de la tête, se raffubla de son capuchon, reprit ses chats-huants par les pattes, et disparut dans les airs.

       Table des matières

       Table des matières

      A peine Mangogul fut-il en possession de l'anneau mystérieux de Cucufa, qu'il fut tenté d'en faire le premier essai sur la favorite. J'ai oublié de dire qu'outre la vertu de faire parler les bijoux des femmes sur lesquelles on en tournait le chaton, il avait encore celle de rendre invisible la personne qui le portait au petit doigt. Ainsi Mangogul pouvait se transporter en un clin d'œil en cent endroits où il n'était point attendu, et voir de ses yeux bien des choses qui se passent ordinairement sans témoin; il n'avait qu'à mettre sa bague, et dire: «Je veux être là;» à l'instant il y était. Le voilà donc chez Mirzoza.

      Mirzoza qui n'attendait plus le sultan, s'était fait mettre au lit. Mangogul s'approcha doucement de son oreiller, et s'aperçut à la lueur d'une bougie de nuit, qu'elle était assoupie. «Bon, dit-il, elle dort: changeons vite l'anneau de doigt, reprenons notre forme, tournons le chaton sur cette belle dormeuse, et réveillons un peu son bijou... Mais qu'est-ce qui m'arrête?... je tremble... se pourrait-il que Mirzoza... non, cela n'est pas possible; Mirzoza m'est fidèle. Éloignez-vous, soupçons injurieux, je ne veux point, je ne dois point vous écouter.» Il dit et porta ses doigts sur l'anneau; mais les en écartant aussi promptement que s'il eût été de feu, il s'écria en lui-même: «Que fais-je, malheureux! je brave les conseils de Cucufa. Pour satisfaire une sotte curiosité, je vais m'exposer à perdre ma maîtresse et la vie... Si son bijou s'avisait d'extravaguer, je ne la verrais plus, et j'en mourrais de douleur. Et qui sait ce qu'un bijou peut avoir dans l'âme?» L'agitation de Mangogul ne lui permettait guère de s'observer: il prononça ces dernières paroles un peu haut, et la favorite s'éveilla...

      «Ah! prince, lui dit-elle, moins surprise que charmée de sa présence, vous voilà! pourquoi ne vous a-t-on point annoncé? Est-ce à vous d'attendre mon réveil?»

      Mangogul répondit à la favorite, en lui communiquant le succès de l'entrevue de Cucufa, lui montra l'anneau qu'il en avait reçu, et ne lui cacha rien de ses propriétés.

      «Ah! quel secret diabolique vous a-t-il donné là? s'écria Mirzoza. Mais, prince, comptez-vous en faire quelque usage?

      —Comment, ventrebleu! dit le sultan, si j'en veux faire usage? Je commence par vous, si vous me raisonnez.»

      La favorite, à ces terribles mots, pâlit, trembla, se remit, et conjura le sultan par Brama et par toutes les Pagodes des Indes et du Congo, de ne point éprouver sur elle un secret qui marquait peu de confiance en sa fidélité.

      «Si j'ai toujours été sage, continua-t-elle, mon bijou ne dira mot, et vous m'aurez fait une injure que je ne vous pardonnerai jamais: s'il vient à parler, je perdrai votre estime et votre cœur, et vous en serez au désespoir. Jusqu'à présent vous vous êtes, ce me semble, assez bien trouvé de notre liaison; pourquoi s'exposer à la rompre? Prince, croyez-moi, profitez des avis du génie; il a de l'expérience, et les avis de génies sont toujours bons à suivre.

      —C'est ce que je me disais à moi-même, lui répondit Mangogul, quand vous vous êtes éveillée: cependant si vous eussiez dormi deux minutes de plus, je ne sais ce qui en serait arrivé.

      —Ce qui en serait arrivé, dit Mirzoza, c'est que mon bijou ne vous aurait rien appris, et que vous m'auriez perdue pour toujours.

      —Cela peut être, reprit Mangogul; mais à présent que je vois tout le danger que j'ai couru, je vous jure par la Pagode éternelle, que vous serez exceptée du nombre de celles sur lesquelles je tournerai ma bague.»

      Mirzoza prit alors un air assuré, et se mit à plaisanter d'avance aux dépens des bijoux que le prince allait mettre à la question.

      «Le bijou de Cydalise, disait-elle, a bien des choses à raconter; et s'il est aussi indiscret que sa maîtresse, il ne s'en fera guère prier. Celui d'Haria n'est plus de ce monde; et Votre Hautesse n'en apprendra que des contes de ma grand'mère. Pour celui de Glaucé, je le crois bon à consulter: elle est coquette et jolie.

      —Et c'est justement par cette raison, répliqua le sultan, que son bijou sera muet.

      —Adressez-vous donc, repartit la sultane, à celui de Phédime; elle est galante et laide.

      —Oui, continua le sultan; et si laide, qu'il faut être aussi méchante que vous pour l'accuser d'être galante. Phédime est sage; c'est moi qui vous le dis, et qui en sais quelque chose.

      —Sage

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