Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером
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Mais même lorsque nos désirs s'accomplissent, jamais le bonheur ne se présente tel exactement que nous l'aurions souhaité. Pour commencer, Ethelbertha ne sembla pas remarquer mon énervement; il fallut que je forçasse son attention. Je fis:
—Excuse-moi, je ne suis pas bien ce soir.
—Tiens..., me répondit-elle, je n'avais rien remarqué; qu'est-ce qui ne va pas?
—Je ne saurais te l'expliquer. Je sens venir cela depuis des semaines.
—C'est ce whisky. Jamais tu n'y touches, sauf quand nous allons chez les Harris. Tu sais pourtant que tu ne le supportes pas. Tu n'as pas la tête solide.
—Ce n'est pas le whisky; c'est plus sérieux que cela. Je pense que c'est une affection plutôt mentale que physique.
—Tu as encore lu ces critiques, dit Ethelbertha avec un peu plus de sympathie. Pourquoi, selon mon conseil, ne les as-tu pas jetées au feu?
—Ce ne sont pas les critiques. Elles ont même été flatteuses, du moins les deux ou trois dernières.
—Alors qu'est-ce que c'est? Car il y a sûrement une raison.
—Non, il n'y en a pas. Et c'est cela qui est étonnant. Je définirais mon état: une sensation étrange d'agitation...
Il me sembla qu'Ethelbertha me scrutait bizarrement; mais comme elle ne dit rien, je continuai:
—Cette grise monotonie de la vie, ces journées paisibles de félicité sans événements finissent par me peser.
—Voilà-t-il pas de quoi se plaindre! s'écria Ethelbertha. Nous pourrions avoir des journées d'une autre teinte et les aimer encore moins.
—Je n'en suis pas sûr. Je peux m'imaginer la douleur comme une diversion bienvenue dans une vie faite d'une joie ininterrompue. Je me demande quelquefois si les saints au paradis ne considèrent pas cette félicité continue comme un fardeau. Pour mon compte, j'ai l'impression qu'une vie de bonheur éternel, jamais coupée d'une note discordante, me rendrait fou. Sans doute, suis-je un être particulier; il y a des moments où je ne me comprends plus. Il m'arrive alors de me détester.
Souvent un petit discours de cette sorte, faisant allusion à des émotions indescriptibles et occultes, avait ému Ethelbertha; mais ce soir-là elle parut étrangement insouciante. Touchant le paradis et son effet sur moi, elle me conseilla de ne pas trop m'en tourmenter: c'était toujours folie d'aller au-devant d'ennuis qui peut-être n'arriveraient jamais. Que je fusse un garçon un peu étrange, ce n'était pas ma faute et, du moment que d'autres consentaient à me supporter, toute dissertation à ce sujet était vaine. Quant à la monotonie de la vie, comme c'était une épreuve commune, là-dessus nous pouvions du moins sympathiser.
—Tu ne te doutes pas combien quelquefois j'ai envie, continua Ethelbertha, de m'échapper, de m'éloigner, même de toi; mais, sachant que c'est impossible, je ne m'arrête pas à cette éventualité.
Jamais je n'avais entendu Ethelbertha parler ainsi; elle m'étonnait et me chagrinait profondément.
—Ce n'est pas une remarque très affable, remarquai-je, ni bien digne d'une épouse.
—J'en conviens, admit-elle, et c'est bien pour cela que je ne l'avais pas formulée jusqu'ici. Vous autres, hommes, vous ne comprendrez jamais que, si vif que puisse être l'amour d'une femme, il y ait des moments où elle s'en fatigue. Tu ne sais pas combien de fois j'ai souhaité de pouvoir mettre mon chapeau et sortir sans entendre tes: «Où vas-tu? Pourquoi vas-tu là? Combien de temps resteras-tu dehors et quand seras-tu rentrée?» Tu ne sais pas combien souvent l'envie me démange de commander un dîner que j'aimerais et que les enfants aimeraient aussi, et qui aurait le don de te faire mettre ton chapeau pour aller dîner au club. Oh! inviter une amie qui me plaît et que je sais te déplaire, aller voir des gens que j'aimerais voir, aller me coucher quand j'aurais sommeil et me lever à mon gré! Deux personnes vivant ensemble sont forcées de se sacrifier mutuellement leurs désirs. C'est quelquefois un bienfait de se relâcher un peu de la tension journalière.
Plus tard seulement, ruminant les paroles d'Ethelbertha, je suis arrivé à en comprendre la sagesse; mais, je le confesse, sur le moment, je me sentis blessé au vif.
—Si tu désires, dis-je, être débarrassée de moi...
—Voyons, ne fais pas l'imbécile, protesta Ethelbertha: je voudrais seulement être débarrassée de toi un pauvre moment, juste de quoi oublier les deux ou trois petites imperfections qui te sont inhérentes, juste assez longtemps pour me rappeler quel charmant garçon tu es par ailleurs et me réjouir d'avance de ton retour.
Le ton d'Ethelbertha me choquait. Elle paraissait animée d'un esprit de frivolité s'accordant mal avec le sujet de notre conversation. Je n'aimais pas du tout—et ce n'était guère le genre d'Ethelbertha—qu'elle considérât gaîment une séparation de trois à quatre semaines. Ce voyage ne me tentait plus. J'y aurais renoncé, si je ne m'étais pas senti engagé vis-à-vis de George et de Harris. Je ne pouvais pas maintenant changer d'avis: c'était une question de dignité.
—Très bien, Ethelbertha, répondis-je, j'agirai selon ton vœu. Tu tiens à être débarrassée de ma présence pendant quelque temps: tu seras satisfaite; mais, si ce n'est pas chez ton mari curiosité impertinente, je voudrais bien savoir ce que tu comptes faire pendant mon absence.
—Nous louerons cette villa de Folkestone et je m'y rendrai avec Kate. Et, si tu veux être gentil, tu engageras Harris à aller avec toi: Clara pourra alors se joindre à nous. Toutes trois nous avons ensemble passé de bons moments avant qu'on ait pensé à vous autres: ce serait délicieux de les faire revivre. Crois-tu pouvoir persuader Mr Harris de partir avec toi?
Je répondis que j'essaierais.
—Tu es un bon garçon. Fais de ton mieux. Peut-être George se laissera-t-il convaincre aussi.
Je répondis que je n'en voyais pas la nécessité, vu que, George étant célibataire, personne ne profiterait de son absence. Mais jamais femme ne comprit l'ironie. Ethelbertha remarqua simplement qu'il serait peu aimable de partir sans lui. Soit, je pressentirais George.
Je rencontrai Harris au club et lui demandai où il en était.
—Oh! ça va très bien, me dit-il. Elle ne fait aucune difficulté pour mon départ.
Mais il y avait, dans sa façon de parler, un petit rien qui me fit soupçonner une satisfaction incomplète. Je réclamai de plus amples détails.
—Elle