Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером

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Les trois hommes en Allemagne - Джером К. Джером

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se trouvait trop en dehors de notre itinéraire, mais que le voyage Berlin-Dresde était très faisable.

      Il nous persuada. Fut-ce un bien, fut-ce un mal?

      —Quant aux machines, je pense, dit George, que nous ferons comme d'habitude. Harris et moi sur le tandem et J...

      —J'aime autant pas, interrompit Harris avec fermeté. Vous et J..., sur le tandem; moi, sur la bicyclette.

      —Cela m'est égal, dit George, J... et moi monterons le tandem, Harris.

      Je lui coupai la parole:

      —Je n'ai pas l'intention de traîner George tout le temps. La charge devra être partagée.

      —Très bien, concéda Harris. Nous la partagerons. Mais il est bien entendu qu'il travaillera.

      —Qu'il fera quoi? s'exclama George.

      —Qu'il travaillera, répéta Harris avec énergie: en tout cas aux montées.

      —Grands dieux! soupira George, vous n'avez donc pas le moindre besoin d'exercice?

      Le tandem donne invariablement lieu à des altercations. Celui qui est en avant prétend toujours que celui qui est en arrière reste à ne rien faire, tandis que, selon l'avis de celui de derrière, c'est lui seul qui propulse la machine, pendant que celui de devant se contente d'être essoufflé. C'est un mystère à jamais impénétrable. Tandis que la prudence d'une part vous dit à l'oreille de ne pas outrepasser vos forces pour ne pas attraper une affection cardiaque, pendant que la justice vous chuchote à l'autre oreille: «Pourquoi t'imposer tout le travail? ce véhicule n'est pas un fiacre, tu n'es pas chargé du transport d'un client», il est agaçant d'entendre l'autre grogner tout à coup: «Qu'y a-t-il? vous avez perdu les pédales?»

      Harris, peu de temps après son mariage, eut des ennuis sérieux, causés par l'impossibilité où il fut de se rendre compte des faits et gestes de la personne qui était assise derrière lui. Il traversait la Hollande à bicyclette avec sa femme. Les routes étaient pierreuses et la machine sautait beaucoup.

      —Tiens-toi bien, dit Harris sans se retourner.

      Mme Harris crut comprendre: «Saute à bas!»

      Aucun d'eux ne peut expliquer comment Mme Harris avait pu entendre: «Saute», quand il avait dit: «Tiens-toi bien.»

      Mme Harris articule: «Si tu m'avais dit de bien me tenir, pourquoi aurais-je sauté?»

      Et Harris de riposter: «Si j'avais voulu que tu sautasses, pourquoi aurais-je dit: «Tiens-toi bien»?

      Toute amertume est maintenant passée, mais à présent encore il leur arrive de discuter là-dessus.

      Qu'on l'explique d'une manière ou d'une autre, le fait est que Mme Harris sauta pendant que Harris pédalait de toutes ses forces, persuadé que sa femme était toujours assise derrière lui.

      Il paraît qu'elle crut d'abord qu'il prenait la côte en vitesse simplement pour se faire admirer. Ils étaient jeunes alors et il lui arrivait de faire de ces sortes de démonstrations. Elle s'attendait à ce qu'il sautât à terre une fois au sommet et l'attendît adossé à sa machine, dans une attitude pleine de désinvolture. Quand elle le vit au contraire dépasser le faîte et prendre la descente à une allure rapide, elle fut d'abord surprise, ensuite indignée et enfin inquiète. Elle courut au haut de la colline et cria de toutes ses forces. Il ne tourna pas la tête. Elle le vit disparaître dans un bois situé à un kilomètre et demi, s'assit sur le bord de la route et se mit à pleurer. Ils avaient eu un débat insignifiant le matin même, et elle se demanda s'il ne l'avait pas pris au tragique et ne voulait pas abandonner sa compagne. Elle était sans argent et ignorait le hollandais. Les passants semblèrent la prendre en pitié; elle essaya de leur expliquer l'incident. Ils comprirent qu'elle avait perdu quelque chose, mais sans saisir quoi. Ils la conduisirent au village le plus proche et allèrent quérir un garde champêtre. Ce dernier, à ses pantomimes, conclut qu'on lui avait volé sa bicyclette. On fit fonctionner le télégraphe et l'on découvrit dans un village, à quatre kilomètres de là, un malheureux gamin sur une antique bicyclette de dame. On l'amena à Mme Harris dans une charrette, mais comme elle parut n'avoir que faire de lui ni de sa machine, on le remit en liberté, sans plus chercher à percer ce mystère.

      Cependant Harris continuait à pédaler avec un plaisir croissant. Il lui semblait avoir acquis des ailes. Il dit à ce qu'il croyait être Mme Harris:

      —Jamais cette machine ne m'a paru aussi légère: l'air pur m'aura fait du bien.

      Puis il lui conseilla de ne pas s'effrayer car il allait lui montrer à quelle allure il pouvait marcher. Il se pencha sur le guidon et se mit à travailler de tout son cœur. La bicyclette bondit comme si elle avait le diable au corps; des fermes, des églises, des chiens et des poules surgissaient pour disparaître. Des vieillards s'arrêtèrent admiratifs et les enfants applaudirent. Il continua de ce train joyeusement pendant cinq lieues environ. C'est alors qu'il eut le sentiment, selon son explication, de quelque chose d'anormal. Ce n'était pas le silence qui l'étonnait; le vent soufflait avec vigueur et la machine faisait beaucoup de bruit. Il fut plutôt frappé par une sensation de vide. Il tâta derrière son dos: il n'y trouva que l'espace sans limite. Il sauta ou plutôt tomba de sa machine, regarda la route parcourue; elle s'étendait droite et blanche à travers la sombre forêt et nul être animé n'y était visible. Il se remit en selle et, rebroussant chemin, remonta la colline. Dix minutes plus tard il se retrouva à un endroit où la route se divisait en quatre; là il mit pied à terre et essaya de rassembler ses souvenirs pour découvrir par quel chemin il était venu.

      Tandis qu'il restait ainsi rêveur, un homme passa, assis en amazone sur un cheval. Harris l'arrêta et lui fit comprendre qu'il avait perdu sa femme. L'homme ne sembla ni surpris ni compatissant. Pendant qu'ils causaient, un autre fermier les joignit; le premier présenta au survenant l'affaire, non pas comme un accident, mais comme une histoire plaisante. Ce qui parut surprendre le second fut que Harris manifestât du désespoir. Il ne put rien tirer ni de l'un ni de l'autre: il proféra un juron, enfourcha sa machine et s'engagea au hasard sur la route du milieu. A mi-côte il rencontra deux jeunes femmes accompagnées d'un jeune homme, groupe joyeux. Il leur demanda s'ils avaient aperçu sa femme, Ceux-ci voulurent se faire préciser son aspect. Il ne parlait pas assez bien le hollandais pour en faire une description révélatrice: tout ce qu'il put leur dire fut que sa femme était une très belle femme, de taille moyenne, ce qui ne sembla pas les satisfaire: n'importe qui en aurait pu dire autant et de cette façon entrer en possession d'une femme qui ne serait pas la sienne. Ils lui demandèrent comment elle était habillée; quand il se fût agi pour lui de vie ou de mort, il n'aurait pu se le rappeler.

      Je ne crois pas qu'il existe un homme sur terre capable de décrire une toilette dix minutes après avoir quitté la femme qui la porte. Il se souvenait d'une jupe bleue, puis il y avait un je ne sais quoi qui prolongeait la robe jusqu'au cou: ce pouvait être une blouse et il avait vague souvenance d'une ceinture: mais quel genre de blouse? Etait-elle jaune, verte ou bleue? Avait-elle un col? Etait-elle fermée par un nœud? Sa femme avait-elle des fleurs ou des plumes à son chapeau? Avait-elle seulement un chapeau? Il n'osait pas faire de description trop nette de peur de se méprendre et d'être aiguillé sur une fausse piste à des kilomètres de là. Les deux jeunes femmes ricanaient, ce qui, étant données ses dispositions d'esprit, eut le don de mettre Harris en colère. Le jeune homme, qui paraissait désireux de se débarrasser de lui, lui suggéra de s'adresser à la police de la ville voisine. Harris s'y rendit. Le commissaire lui donna un papier et lui dit d'y écrire un signalement complet de sa femme avec des détails sur le lieu et le moment

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