Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером
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D'accord sur les machines, nous entamâmes l'éternelle question des bagages.
—La liste habituelle, je suppose, dit George en se préparant à écrire.
C'était là le fruit de mes conseils. Mon oncle Podger, il y a des années, me l'avait enseigné.
—Ayez soin, avait coutume de dire mon oncle Podger, avant de vous mettre à emballer, de faire une liste.
C'était un homme très méthodique.
—Prenez une feuille de papier (il avait coutume en tout de commencer par le commencement). Inscrivez-y tout ce dont vous pourriez avoir besoin; après cela revisez votre liste pour voir s'il n'y aurait pas moyen de biffer un objet inscrit. Vous êtes au lit: quel est votre habillement? Très bien, inscrivez-le. Ajoutez-en un de rechange. Vous vous levez: que faites-vous? Vous vous débarbouillez. Avec quoi vous lavez-vous? Avec du savon. Ecrivez: savon. Et ainsi de suite. Prenez maintenant vos vêtements. Commencez par les pieds. Que portez-vous aux pieds? Bottines, souliers, chaussettes: inscrivez-les. Remontez jusqu'à la tête. Que vous faudra-t-il en dehors de l'habillement? Un peu de cognac? Inscrivez-le. Un tire-bouchon? Inscrivez-le. Inscrivez tout. Ainsi vous n'oublierez rien.
C'est d'après ce plan-là qu'il procédait toujours. Une fois la liste achevée, il la parcourait soigneusement, ce qu'il recommandait également toujours, pour voir s'il n'avait rien oublié. Ensuite il la revoyait et biffait tout ce dont il était possible de se passer.
Après quoi il égarait la liste.
George observa:
—Nous pourrions emporter sur nos machines le strict nécessaire pour un jour ou deux. Nous ferions suivre le gros des bagages de ville en ville.
—Soyons prudents, commençai-je, j'ai connu un homme qui...
Harris tira sa montre:
—Vous nous raconterez cela sur le bateau. J'ai rendez-vous avec Clara à la gare de Waterloo dans une demi-heure.
—Il ne me faudra pas une demi-heure, protestai-je; c'est une histoire vraie et...
—Conservez-la soigneusement, dit George: je me suis laissé dire qu'il y a bien des soirées pluvieuses dans la Forêt Noire. Nous vous en serons alors très reconnaissants. Ce que nous devrions faire tout de suite serait de terminer cette liste.
Maintenant que j'y pense, jamais je n'ai eu l'occasion de leur raconter cette histoire: toujours un événement quelconque venait nous interrompre. Et cependant c'est une histoire vraie.
CHAPITRE TROISIÈME
L'unique défaut de Harris. Harris et son ange gardien. Histoire d'une lanterne à bicyclette brevetée. La selle idéale. Celui qui vérifie les machines. Son œil d'aigle. Sa méthode. Sa sereine confiance en lui. Ses goûts simples et peu coûteux. Son aspect. Comment on s'en débarrasse. George prophète. La manière de se rendre désagréable par l'emploi d'une langue étrangère. George psychologue. Il propose une expérience. Sa prudence. Harris lui promet son aide, mais y met des conditions.
Harris vint me voir le lundi après-midi. Il tenait à la main un catalogue de bicyclettes.
Je lui criai de loin:
—Si vous suivez mon conseil, vous laisserez cela tranquille.
Harris répliqua:
—Qu'est-ce qu'il faut laisser tranquille?
—Cette folie nouvelle et brevetée qui doit révolutionner le monde cycliste, battre tous les records et dont vous tenez le prospectus à la main.
Il repartit:
—Hum! J'hésite. Nous aurons des montées difficiles; il est indispensable que nous ayons de bons freins.
—Je suis de votre avis: il nous faudra de bons freins; mais ce qu'il ne nous faut pas, c'en est un qui nous réserve des surprises, dont nous ne comprendrons pas le mécanisme et qui ne fonctionnera jamais au moment voulu.
—Celui-ci, affirma-t-il, est automatique.
—Inutile de me le dire, répliquai-je. Je sais par intuition exactement de quelle manière il va marcher. Aux montées il bloquera tellement que nous serons obligés de pousser les machines à la main. Une fois là-haut, l'air lui fera du bien et lui rendra subitement sa souplesse primitive. Il se mettra à réfléchir à la descente et se dira qu'il nous a beaucoup ennuyés. Il arrivera à le regretter et ensuite à être au désespoir. Il s'adressera des reproches, il se dira: «Je ne suis qu'un mauvais frein; je n'aide pas ces jeunes gens, je les gêne plutôt. Je ne suis qu'un fléau, voilà tout mon rôle.» Et sans crier gare il faussera toute la machine. Vous verrez que c'est ce que fera votre frein. Laissez-le tranquille. Vous êtes un bon garçon, mais vous avez un défaut.
—Lequel? demanda-t-il indigné.
—Vous êtes trop confiant. Il vous suffit de lire une réclame et vous avez la foi. Vous avez essayé chaque nouvelle invention que des idiots ont lancée pour le plus grand bien des cyclistes. Votre ange gardien me semble être un esprit capable et consciencieux: il a pu vous protéger jusque-là; suivez mon conseil, ne le surmenez pas. Il n'a pas dû chômer beaucoup depuis que vous faites de la bicyclette. Ne le rendez pas fou!
—Si tout le monde pensait comme vous, on ne réaliserait plus aucun progrès dans aucune branche de la science. Si jamais personne ne mettait à l'essai les inventions nouvelles, le monde finirait dans la stagnation. C'est justement par...
—Je connais tous les arguments pour, interrompis-je. Soit, je ne vous désapprouve pas entièrement: expérimentez des inventions jusqu'à l'âge de trente-cinq ans: mais après trente-cinq ans, l'homme doit penser à lui-même. Vous et moi, nous avons fait notre devoir de ce côté-là; vous spécialement. Vous avez été projeté en l'air par une lanterne à gaz brevetée.
—Je crois vraiment, objecta-t-il, que c'est arrivé par ma faute: j'aurai trop serré la vis.
—Je veux admettre que, s'il existe un moyen de maltraiter un objet, c'est bien votre manière de vous en servir: vous n'avez pas la main heureuse, vous embrouillez les choses. Vous devriez tenir compte de votre fâcheuse habitude, elle donne du poids à mon argument. Moi, je n'avais pas prêté attention à vos gestes; je me rappelle seulement que nous étions en train de pédaler tranquillement et agréablement sur la route de Whitby, tout en discutant de la guerre de Trente ans, quand votre lanterne explosa avec le bruit d'un pistolet. Le coup me fit rouler dans le fossé, et je n'oublierai jamais la tête de votre femme quand