Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper

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Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper

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donc surprenant qu’un marin qui n’a pas d’emploi examinât un bâtiment qu’il trouve à son goût, peut-être dans l’intention d’y demander du service?

      –Son commandant aurait perdu la tête s’il refusait une pareille offre; mais vous semblez trop instruit pour occuper un berth secondaire.

      –Berth! répéta le jeune homme en fixant de nouveau ses yeux, avec une expression singulière, sur l’étranger.

      –Oui, berth. N’est-ce pas votre terme de marine pour poste ou rang? Nous ne connaissons pas beaucoup votre vocabulaire, nous autres avocats; mais pour ce mot-là, je crois pouvoir le risquer en toute assurance. Ai-je le bonheur d’avoir votre assentiment?

      Le jeune marin sourit, et comme si cette saillie avait rompu la glace, ses manières perdirent beaucoup de leur contrainte pendant le reste de l’entretien.

      –Il est tout aussi évident, répondit-il, que vous avez été sur mer, qu’il l’est que j’ai été à l’école. Puisque nous avons eu l’un et l’autre ce bonheur, soyons généreux et cessons de parler par paraboles. Par exemple, à quoi pensez-vous que servait cette tour, avant qu’elle fût tombée en ruine?

      –Pour en juger, répondit l’étranger en vert, il est nécessaire de l’examiner de plus près. Montons.

      En disant ces mots, l’avocat monta en effet par une méchante échelle, et passant par une trappe ouverte, il se trouva sur un plancher qui reposait sur les colonnes cintrées. Son compagnon hésitait à le suivre; mais voyant que l’autre l’attendait au haut de l’échelle, et qu’il avait l’attention de lui indiquer un échelon qui ne tenait plus, il s’élança à son tour, et grimpa avec l’agilité et l’assurance particulières à sa profession.

      –Nous y voici! s’écria l’étranger en examinant les murs, qui étaient composés de pierres si petites et si irrégulières qu’ils semblaient ne tenir à rien; un bon plancher en chêne pour tillac, comme vous disiez, et le ciel pour toit, comme nous appelons le haut d’une maison dans nos universités. Maintenant parlons des choses de ce bas monde. A… A… J’oublie le nom que vous m’avez dit que vous portiez.

      –Cela peut dépendre des circonstances. J’ai porté différents noms dans des positions différentes. Cependant, si vous m’appelez Wilder, je ne manquerai pas de répondre.

      –Wilder! voilà un nom qui, je l’espère, ne peint pas votre caractère. Vous autres enfants de la mer, vous n’êtes ordinairement rien moins que sauvages, quoique vous ayez la réputation d’être parfois un peu inconstants dans vos goûts. Combien de belles avez-vous laissées soupirant au milieu de berceaux touffus et déplorant votre ingratitude, tandis que vous labouriez,-c’est le mot, je crois, –que vous labouriez le vaste Océan aux flots salés?

      –Il est peu de personnes qui soupirent pour moi, répondit Wilder d’un air pensif, quoiqu’il commençât à trouver un peu long un interrogatoire fait aussi librement. Continuons, si vous voulez bien, notre examen de la tour. A quoi pensez-vous qu’elle ait servi?

      –Voyons d’abord à quoi elle sert maintenant, et nous découvrirons facilement ensuite quel était son usage autrefois. Dans ce moment elle renferme deux cœurs assez légers, et, si je ne me trompe, deux têtes tout aussi légères, qui ne sont pas surchargées d’un approvisionnement de raison. Autrefois elle avait ses greniers de blé, et, je n’en doute pas, certains petits quadrupèdes qui avaient les pattes aussi légères que nous avons la tête et le cœur. En bon anglais, c’était un moulin.

      –Il y en a qui pensent que c’était une forteresse.

      –Hemm! la place pourrait tenir au besoin, reprit l’étranger en jetant un coup d’œil rapide et particulier autour de lui. Mais c’était un moulin, quelque désir qu’on puisse avoir de lui trouver une plus noble origine. L’exposition au vent, les piliers pour préserver l’intérieur du bâtiment des invasions de la vermine, la forme de la construction, tout le prouve. Tic-tac, tic-tac; il s’est fait assez de bruit ici du temps passé, sur ma parole.–Chut! on dirait qu’il s’en fait encore.

      S’approchant d’un pas léger de l’une des petites ouvertures qui servaient autrefois de fenêtres à la tour, il y passa doucement la tête, et ne la retira qu’au bout d’une demi-minute, en faisant signe à Wilder de garder le silence. Celui-ci obéit, et il ne fut pas longtemps à apprendre la cause de cette recommandation.

      La voix douce d’une femme se fit d’abord entendre à peu de distance, et bientôt les sons approchèrent de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils parussent partir du pied même de la tour. Wilder et l’avocat choisirent chacun un endroit favorable pour leur projet, et tant que les deux personnes qui causaient ensemble restèrent près des ruines, ils demeurèrent immobiles à la même place, les examinant à leur aise sans être vus, et nous devons le dire à la honte de deux personnages aussi importants de notre histoire, écoutant avec autant de plaisir que d’attention.

       Table des matières

      Ils font tout ce qu’ils peuvent pour me rendre fou.

      SHAKSPEARE. Hamlet.

      Les personnes qui se trouvaient en bas étaient au nombre de quatre, et c’étaient quatre femmes: l’une était une dame sur le déclin de l’âge; l’autre avait passé le milieu de la vie; la troisième était dans l’âge qui lui donnait le droit d’entrer dans le monde, dans le sens qu’on donne à ce mot en société; la quatrième était une négresse qui pouvait avoir vu vingt-cinq révolutions des saisons. Celle-ci, à cette époque et dans ce pays, ne pouvait avoir d’autre condition que celle d’une domestique humble, quoique peut-être privilégiée.

      –Et maintenant, mon enfant, que je vous ai donné tous les avis que demandaient les circonstances et votre excellent cœur, disait la dame plus âgée (ce furent les premiers mots qui parvinrent distinctement à l’oreille des auditeurs), je vais passer de ce devoir fâcheux à un autre plus agréable. Vous assurerez votre père de l’amitié que je lui porte toujours, et vous lui rappellerez que, suivant sa promesse, vous devez encore revenir une fois avant que nous nous séparions pour jamais.

      Ce discours était adressé du ton le plus affectueux à la plus jeune des femmes, qui semblait l’écouter avec attendrissement. Lorsqu’il fut terminé, elle leva ses yeux brillant de larmes qu’elle s’efforçait évidemment de cacher, et répondit d’une voix qui résonna aux oreilles des deux jeunes auditeurs comme les chants d’une sirène, tant les accents en étaient doux et harmonieux:

      –Il est inutile, ma chère tante, de me rappeler une promesse dont j’ai tant d’intérêt à me souvenir; j’espère beaucoup plus que vous n’avez peut-être osé souhaiter. Si mon père ne revient pas avec moi au printemps, ce ne sera pas faute de sollicitations de ma part.

      –Notre bonne Wyllys nous prêtera son aide, répondit la tante en souriant et en regardant la troisième femme avec ce mélange de douceur et de gravité qui caractérisaient les manières cérémonieuses d’alors, et qu’on manquait rarement d’employer toutes les fois qu’un supérieur adressait la parole à un inférieur. Elle a droit d’avoir quelque empire sur le général Grayson, pour sa fidélité et pour ses services.

      –Elle a droit à tout ce

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