Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper

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Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper

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être un excellent juge sur ces sortes de matières, dit derrière lui une voix inconnue.

      Le jeune homme se retourna vivement, et s’aperçut, pour la première fois, de la présence de nouveaux venus. La surprise cependant ne fut pas pour lui seul, car le tailleur babillard avait été trop occupé jusqu’alors à épier les moindres mouvements des deux interlocuteurs pour avoir remarqué l’approche d’un homme qui lui était encore entièrement inconnu.

      Cet homme avait de trente à quarante ans, et son air, ainsi que son costume, était de nature à exciter la curiosité déjà aux aguets du bonhomme Homespun. Sa taille, quoique mince, annonçait une grande vigueur, bien qu’elle s’élevât à peine au-dessus de la moyenne. Sa peau avait eu la blancheur de celle d’une femme; mais des lignes d’un rouge foncé, qui se dessinaient sur le bas de sa figure, et qui se faisaient surtout remarquer sur les contours d’un beau nez aquilin, empêchaient qu’elle ne parût efféminée. Ses cheveux étaient blonds et tombaient en grosses et belles boucles autour de ses tempes. Sa bouche et son menton étaient d’une beauté régulière; mais peut-être y avait-il dans l’une un certain caractère de dédain, et dans tous les deux une expression assez prononcée de volupté. Ses yeux étaient bleus, pleins sans être saillants, et quoique ordinairement doux, on eût dit par moment qu’ils avaient quelque chose de hagard. Son chapeau, haut de forme et s’élevant en cône, était mis un peu de côté, de manière à donner une légère expression de crânerie à sa physionomie. Une redingote vert-pâle, des culottes de peau de daim, de grandes bottes et des éperons, complétaient son accoutrement. Il avait à la main une petite badine dont il fendait l’air au moment où il fut aperçu pour la première fois, sans paraître s’inquiéter en aucune manière de la surprise occasionnée par son apparition soudaine.

      –Je dis, Monsieur, que vous semblez être un excellent juge sur ces sortes de matières, répéta-t-il après avoir enduré le regard froid et sévère du jeune marin, aussi longtemps qu’il était compatible avec la dose de patience dont il était pourvu; vous parlez en homme qui sent qu’il a le droit d’émettre une opinion!

      –Trouvez-vous extraordinaire qu’on n’ignore pas une profession qu’on a exercée avec soin pendant toute sa vie?

      –Hem! je trouve assez extraordinaire d’entendre donner le nom pompeux de profession à un métier que je pourrais appeler purement mécanique. Nous autres gens de loi, sur qui s’arrêtent les sourires particuliers des universités savantes, nous n’en pourrions dire davantage.

      –Eh bien! appelez-le métier, soit, car un marin n’aime pas à avoir rien de commun avec des érudits de votre espèce, repartit le jeune homme en lui tournant le dos d’un air de dégoût qu’il ne chercha pas à cacher.

      –Voilà à un garçon qui a de la tête! murmura l’autre d’un ton rapide et avec un sourire significatif. Ami, ne nous brouillons pas pour un mot, pour une vétille. J’avoue mon ignorance complète sur tout ce qui a rapport à la marine, et je prendais volontiers quelques leçons d’un homme aussi versé que vous dans la noble profession. Il me semble que vous parliez de la manière dont ce vaisseau là-bas a jeté l’ancre, et de l’état dans lequel tout y est tenu, en bas comme en haut.

      –En bas comme en haut! s’écria le jeune marin en regardant en face celui qui l’interrogeait d’un air tout aussi expressif que celui qu’il avait pris l’instant d’auparavant.

      –En bas comme en haut, répéta l’autre avec calme.

      –J’admirais le haut du bâtiment où tout me semble parfaitement tenu; mais je ne me pique pas de pouvoir juger du bas à cette distance.

      –J’étais donc dans l’erreur; mais vous excuserez l’ignorance d’un novice, car je suis dans la profession. Je ne suis, comme je vous l’ai dit, qu’un indigne avocat au service de Sa Majesté, envoyé dans ces parages pour une mission toute particulière. Si ce n’était pas un véritable jeu de mots, je pourrais ajouter que je ne suis pas juge.

      –Point de doute que vous n’arriviez bientôt à ce poste honorable, reprit l’autre, si les ministres de Sa Majesté savent apprécier dignement le mérite modeste, à moins, il est vrai, qu’il ne vous arrive d’être prématurément.

      Le jeune homme se mordit la lèvre, leva la tête très-haut, et se mit à se promener le long du quai, suivi des deux matelots qui l’avaient accompagné, et qui montraient le même sang-froid. L’étranger à la redingote verte suivit de l’œil tous leurs mouvements avec calme, et même, en apparence, avec un certain plaisir, caressant sa botte avec sa badine, et semblant réfléchir comme quelqu’un qui cherche à renouer la conversation.

      –Pendu! dit-il enfin entre ses dents, comme pour finir la phrase que l’autre avait laissée imparfaite. Il est assez bizarre que ce jeune drôle ose me prédire une pareille élévation, à moi!

      Il se préparait évidemment à les suivre, lorsqu’il sentit une main qui se posait assez familièrement sur son bras, et il fut obligé de s’arrêter. C’était celle de notre ami le tailleur.

      –J’ai un mot à confier à votre oreille, dit celui-ci–en faisant un signe expressif pour indiquer qu’il avait un secret d’importance à communiquer, un seul mot, Monsieur, puisque vous êtes au service particulier de Sa Majesté.–Voisin Pardon, ajouta-t-il en s’adressant au paysan d’un air noble et protecteur, le jour commence à baisser, et je crains que vous n’arriviez bien tard chez vous. La fille vous donnera vos habits, et le ciel vous conduise! Ne dites rien de ce que vous avez vu et entendu que vous n’avez reçu de mes nouvelles à cet effet; car il ne serait pas séant que deux hommes qui ont acquis tant d’expérience dans une guerre comme celle-ci manquassent de discrétion. Adieu, mon garçon; mes amitiés au papa, ce brave fermier, sans oublier l’honnête ménagère qui est votre mère. Au revoir, mon digne ami, au revoir; portez-vous bien.

      Homespun, ayant ainsi congédié son compagnon, attendit, dans une noble attitude, que le campagnard tout ébahi eût quitté le quai avant de tourner de nouveau les yeux sur l’étranger en vert. Celui-ci était resté immobile à la même place, conservant un sang-froid imperturbable, jusqu’au moment où il se vit adresser une seconde fois la parole par le tailleur, dont il semblait avoir pris les dimensions, et avoir mesuré en quelque sorte le caractère d’un seul de ses regards rapides.

      –Vous dites, Monsieur, que vous êtes un serviteur de Sa Majesté, demanda Homespun, bien décidé à s’assurer des droits que l’étranger pouvait avoir à sa confiance, avant de se compromettre en lui faisant des révélations précipitées.

      –Je puis dire plus, Monsieur: son confident intime.

      –C’est à son confident intime que j’ai l’honneur de parler! C’est un bonheur dont je suis pénétré jusqu’au fond de l’âme, répondit l’artisan en passant la main sur ses cheveux et en s’inclinant presque jusqu’à terre; un bonheur vraiment excessif, un privilége tout gracieux!

      –Quel qu’il soit, mon ami, je prends sur moi, au nom de Sa Majesté, de vous dire que vous êtes le bienvenu.

      –Une condescendance aussi magnifique ouvrirait tous les replis de mon cœur, quand même il ne renfermerait que trahison et qu’infamies de toute espèce. Je suis heureux, très-honoré, et, je n’en doute pas, très-honorable personne, d’avoir cette occasion de faire preuve de mon dévouement pour le roi devant quelqu’un qui ne manquera pas de redire mes faibles efforts aux oreilles de Sa Majesté.

      –Parlez librement, interrompit l’étranger avec

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