Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper
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Читать онлайн книгу Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper страница 4
–Il y a jour à percer à présent pour un homme ambitieux, voisin Homespun, dit-il, puisque Sa Majesté a perdu son plus brave général.
–Oui, oui, répondit l’individu qui, dans sa jeunesse ou dans son âge mûr, s’était si gravement trompé dans le choix d’un état, c’est une chance belle et flatteuse pour celui qui ne compte que vingt-cinq ans. Mais moi, la plupart de mes jours sont écoulés, et je dois en passer le reste ici, où vous me voyez, entre le bougran et l’osnabruck.–Qui a teint votre drap, Pardy? C’est le plus beau en couleur que j’aie manié de cet automne.
–La maman s’y entend, voyez-vous, pour donner une couleur solide à son tissu, et je vous réponds, voisin Homespun, que, pourvu que vous lui laissiez le temps de se retourner, il n’y aura pas dans toute l’île un garçon mieux habillé que le fils de ma mère. Mais, puisque vous ne pouvez pas être général, bonhomme, vous aurez du moins la consolation de savoir qu’on ne se battra plus sans vous. Tout le monde est d’accord que les Français ne tiendront plus longtemps, et que nous allons avoir la paix faute d’ennemis.
–Tant mieux, tant mieux, jeune homme. Quelqu’un qui a vu comme moi les horreurs de la guerre, et, Dieu merci, j’en ai vu de toutes les couleurs, sait quel prix il doit attacher aux douceurs physiques de la paix.
–Vous n’êtes donc pas tout à fait étranger, bonhomme, au nouvel état que vous songez à prendre?
–Moi, j’ai passé par cinq longues et sanglantes guerres, et je puis dire que, grâce à Dieu, je m’en suis tiré assez heureusement, puisque je n’ai pas reçu une égratignure aussi forte que celle que pourrait faire cette aiguille. Oui, ce sont cinq longues,–sanglantes, et, je puis le dire, glorieuses guerres que j’ai traversées sain et sauf!
–C’était un moment bien dangereux pour vous, voisin; mais je ne me rappelle pas avoir entendu parler dans ma vie de plus de deux querelles avec les Français.
–Vous n’êtes qu’un enfant auprès de celui qui a vu la fin de sa soixantième année. Il y a d’abord cette guerre-ci, qui maintenant est si vraisemblablement à son dernier terme.–Le ciel, qui règle tout dans sa sagesse, en soit loué!–Il y eut ensuite l’affaire de1745, quand le brave Warren parcourut nos rivages dans tous les sens, fléau des ennemis de Sa Majesté et défenseur de tous ses fidèles sujets. Ensuite, il y eut une affaire en Allemagne dont on nous a fait de terribles récits, et où les hommes tombaient comme l’herbe sous la faucille maniée par un bras vigoureux. Cela fait trois. La quatrième, ce fut la révolte de1715, dont je ne prétends pas avoir vu grand’chose, car j’étais encore tout jeune à cette époque. La cinquième, c’était un bruit terrible qui s’était répandu dans les provinces d’un soulèvement général parmi les noirs et les Indiens, qui devait plonger tous les chrétiens dans l’éternité, sans leur laisser une minute pour se reconnaître.
–Ma foi! je vous avais toujours regardé comme un homme paisible et sédentaire, reprit le paysan étonné, et il ne m’était jamais venu à l’esprit que vous eussiez vu des mouvements aussi sérieux.
–Je n’ai jamais voulu me vanter, Pardon; sans cela, j’aurais pu ajouter à ma liste d’autres affaires importantes. Il y eut une grande lutte en Orient, pas plus tard qu’en1732, pour le trône de Perse. Vous avez lu les lois des Mèdes et des Perses; eh bien! ce même trône, qui a donné ces lois inaltérables, était alors l’objet d’une querelle terrible où le sang coulait comme de l’eau; mais ce n’était pas dans un pays chrétien, et je ne puis en rendre compte d’après ma propre expérience, quoique j’eusse pu vous parler de l’émeute relative à Porteousavec certitude, puisqu’elle a eu lieu dans une partie du royaume même où je vivais.
–Vous devez avoir beaucoup voyagé et vous être mis en marche de grand matin, bonhomme, pour avoir vu toutes ces choses et n’avoir rien souffert.
–Oui, oui, j’ai tant soit peu été voyageur, Pardy! J’ai été deux fois parterre à Boston, et j’ai traversé une fois le grand détroit de Long-Island pour descendre à la ville d’York. Cette dernière entreprise est bien périlleuse vu la distance, et surtout parce qu’il est nécessaire de passer par un endroit qui ressemble par son nom à l’entrée de Tophett.
–J’ai souvent entendu parler du lieu appelé Porte de l’Enfer, et je puis vous dire aussi que je connais parfaitement un homme qui l’a traversé deux fois, l’une allant à York, l’autre en revenant chez lui.
–Et il en a eu assez, j’en suis bien sûr. Vous a-t-il parlé de la grande Marmite qui bouillonne et frémit comme si Belzébuth attisait au-dessous ses feux les plus violents? Vous a-t-il parlé du Dos de Sanglier par-dessus lequel l’eau se précipite avec plus de fureur qu’elle ne tombe, je le parierais, aux grandes cascades de l’Ouest? Grâce à la sage adresse de nos marins et au rare courage de nos passagers, nous en eûmes bon marché, et cependant, je dois l’avouer, et peu m’importe qui en rira, c’est une rude épreuve pour le courage que d’entrer dans ce terrible détroit. Nous jetâmes l’ancre à certaines îles situées à peu de verges de ce côté de la ville, et nous envoyâmes la chaloupe avec le capitaine et deux vigoureux matelots pour reconnaître l’endroit, afin de voir si tout y était paisible. Le rapport ayant été favorable, les passagers furent mis à terre, et le vaisseau arriva, grâce à Dieu, sain et sauf. Nous eûmes raison de nous féliciter de nous être recommandés aux prières de l’Église avant de quitter la paix et la sécurité de nos demeures.
–Vous traversâtes la Porte d’Enfer par terre? demanda le paysan attentif.
–Certainement: ç’aurait été blasphémer et tenter la Providence d’une manière impie que d’agir autrement, quand nous voyions que notre devoir ne nous appelait pas à un tel sacrifice; mais tout le danger est passé, comme se passera, je l’espère, cette guerre sanglante où nous avons tous deux joué un rôle, et alors, je l’espère humblement, Sa gracieuse Majesté aura le loisir de tourner ses augustes pensées sur les pirates qui infestent la côte, et d’ordonner à quelques-uns de ses braves capitaines de rendre aux coquins le traitement qu’ils aiment tant à infliger aux autres. Ce serait un joyeux spectacle pour mes yeux affaiblis de voir le fameux Corsaire Rouge, si longtemps poursuivi, traîné dans ce même port, à la remorque d’un vaisseau du roi.
–C’est donc un coquin enragé que celui dont vous parlez?
–Lui! Il y en a plus d’un dans ce vaisseau de contrebande, et ce sont tous des brigands altérés de sang et de rapines, jusqu’au dernier des mousses de l’équipage. C’est un véritable chagrin, une vraie désolation, Pardy, d’entendre le récit de leurs méfaits sur les terres du roi!
–J’ai souvent ouï parler du Corsaire, répondit le paysan, mais jamais on n’est entré avec moi dans les détails compliqués de ses pirateries.–
–Comment pourriez-vous, jeune homme, vous qui vivez dans l’intérieur des terres, connaître ce qui se passe sur le vaste Océan, aussi bien que nous, qui habitons un port si fréquenté par les marins? Je crains que vous ne rentriez tard chez vous, Pardon, ajouta t-il en jetant les yeux sur certaines lignes tracées sur les planches de sa boutique, à l’aide desquelles il savait calculer la marche du soleil; cinq heures vont sonner, et vous avez deux fois ce nombre de milles à faire avant de pouvoir, moralement parlant, atteindre le point le plus voisin de la ferme de votre père.
–La route est facile et le peuple honnête, répondit le paysan,