Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper
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–Que vous êtes bon! Monsieur, et que c’est une grande preuve de charité de la part de votre noble personne de vouloir bien m’écouter! Vous voyez ce grand vaisseau, là-bas, dans le havre extérieur de ce loyal port de mer?
–Je le vois; et ce paraît être l’objet de l’attention générale parmi les dignes habitants de l’endroit.
–Eh bien! Monsieur, vous faites trop honneur à la sagacité de mes compatriotes: voilà plusieurs jours que ce vaisseau est là où vous le voyez, et je n’ai pas encore entendu proférer une seule syllabe sur le louche qu’il y a là-dessous par âme qui vive, excepté moi.
–En vérité! dit l’étranger en mordant le bout de sa badine et en fixant son regard étincelant sur les traits du brave homme, qui étaient à la lettre tout gonflés de l’importance de son secret; et quelle peut être la nature de vos soupçons, à vous?
–Écoutez, Monsieur, je puis avoir tort, et que Dieu me pardonne dans ce cas! mais voici, ni plus ni moins, ce qui m’est venu dans l’esprit à ce sujet: ce vaisseau et son équipage passent, parmi les bonnes gens de Newport, pour s’occuper innocemment et sans malice de la traite des nègres; et ils sont tous reçus à merveille, le vaisseau dans un bon ancrage, et les autres dans toutes les tavernes et chez tous les marchands. N’allez pas croire au moins que jamais gilet ou pantalon soit sorti de mes mains pour un de ces gens-là; non, non! Pour que vous le sachiez, ils n’ont eu affaire qu’au jeune tailleur nommé Tape, qui attire toutes les pratiques en disant toutes sortes d’horreurs de ceux qui savent mieux que lui leur métier; non, retenez bien que je n’ai pas fait un point même pour le dernier mousse de l’équipage.
–Vous avez du bonheur de n’avoir rien à démêler avec ces drôles, répondit l’étranger; mais vous avez oublié de me signaler l’offense particulière dont je dois les accuser à la face de Sa Majesté.
–J’en viens, aussi vite que possible, au point important. Vous devez savoir, digne et respectable personne, que je suis un homme qui ai beaucoup vu et beaucoup souffert au service de Sa Majesté. J’ai passé par cinq longues et sanglantes guerres, sans parler d’autres aventures et d’autres épreuves, telles qu’il convient à un humble sujet d’en supporter patiemment et en silence.
–Tous ces services seront rapportés fidèlement aux oreilles royales. Maintenant, mon digne ami, soulagez votre esprit en me communiquant franchement vos soupçons.
–Merci, très-honorable personne: je n’oublierai jamais votre bonté vis-à-vis de moi; mais il ne sera pas dit que l’empressement à chercher le soulagement dont vous parlez m’ait troublé au point de me faire oublier la manière juste et convenable de me décharger l’âme. Vous saurez, respectable gentilhomme, qu’hier, comme j’étais assis, seul, à cette même heure, sur mon établi, réfléchissant à part moi… par la raison toute simple que mon envieux de voisin avait attiré toutes les pratiques nouvellement arrivées, à sa boutique; car, Monsieur, la tête travaille lorsque les mains restent oisives… J’étais donc assis là, comme je vous l’ai dit brièvement, réfléchissant à part moi, ainsi qu’un être raisonnable, aux calamités de la vie et à la grande expérience que j’ai acquise dans la guerre; car il faut que vous sachiez, vaillant gentilhomme, que, sans parler de l’affaire dans le pays des Mèdes et des Perses, et de l’émeute au sujet de Porteous à Édimbourg, j’ai passé par cinq longues et sanglantes…
–Il y a, en effet, dans votre allure quelque chose de militaire, interrompit l’étranger, qui faisait des efforts évidents pour réprimer son impatience toujours croissante, mais, comme mon temps est très-précieux, je désirerais plus particulièrement savoir à présent ce que vous avez à dire sur ce vaisseau.
–Oui, Monsieur, on prend une allure militaire à force de voir des combats. Or çà, heureusement pour nous deux, me voici arrivé à la partie de mon secret qui regarde plus spécialement ce navire. J’étais assis là, réfléchissant à la manière dont les matelots étrangers avaient été ensorcelés par mon voisin avec son ton mielleux; car, afin que vous le sachiez, ce Tape parle, parle… Un jeune drôle qui n’a vu qu’une seule guerre tout au plus!… Je réfléchissais donc à la manière dont il m’a dérobé mes pratiques légitimes, lorsque… une idée en amène toujours une autre,–cette conclusion naturelle,–comme dit toutes les semaines notre révérend prêtre dans ses sermons, qui sont à fendre le cœur,–se présenta tout à coup à mon esprit:–Si ces marins étaient d’honnêtes et consciencieux négrierts, planteraient-ils là un pauvre diable qui a une nombreuse famille, pour aller jeter leur or légitimement gagné à la tête d’un méchant bavard? Je me fis sur-le-champ la réponse à moi même; oui, Monsieur, je n’hésitai pas à me la faire, et je me dis que non. Alors j’adressai ouvertement cette question à mon intelligence: –S’ils ne sont pas négriers, que sont-ils? Question que, le roi lui-même en conviendrait dans sa sagesse royale, il était plus facile de faire qu’il ne l’était d’y répondre. A quoi je répondis: Si le vaisseau n’est ni un franc négrier ni un des croiseurs ordinaires de Sa Majesté, il est aussi clair que le jour que ce ne peut être ni plus ni moins que le vaisseau de cet infâme pirate, le Corsaire Rouge.
–Le Corsaire Rouge! s’écria l’étranger en vert en tressaillant de manière à prouver que son attention, qui commençait à se lasser des digressions interminables du tailleur, était tout à coup fortement excitée: ce serait en effet un secret qui vaudrait son pesant d’or!–Mais qui vous fait supposer cela?
–Une foule de raisons que je vais vous détailler dans leur ordre respectif. En premier lieu, c’est un vaisseau armé; en second lieu, ce n’est pas un croiseur légitime, autrement on en serait instruit, et moi tout le premier, attendu qu’il est bien rare qu’il ne me revienne pas quelque argent des vaisseaux du roi; en troisième lieu, la conduite brutale et désordonnée du petit nombre de matelots qui sont venus à terre tend à le prouver; et enfin, ce qui est bien prouvé peut être regardé comme substantiellement établi. Telles sont, Monsieur, ce que j’appellerai les prémisses de mes inductions, que je vous prie de vouloir bien soumettre à l’attention royale de Sa Majesté.
L’avocat en vert écouta les conjectures un peu longuement déduites d’Homespun avec beaucoup d’attention, malgré la manière obscure et confuse dont il les exposait. Son œil perçant regardait tour à tour rapidement le vaisseau et la figure de son compagnon; mais il se passa quelques minutes avant qu’il jugeât convenable de faire aucune réponse. L’air de gaieté et d’insouciance avec lequel il s’était présenté, et qu’il avait continué à montrer jusqu’alors dans le cours de la conversation, fit place à un air abstrait et rêveur, qui montrait assez que, quelque léger qu’il pût paraître ordinairement, il était loin d’être incapable de mûres et de profondes réflexions. Néanmoins, sa figure quitta tout à coup cette expression de gravité, pour en prendre une qui offrait un singulier mélange de sincérité et d’ironie, et, posant familièrement la main sur l’épaule du tailleur, qui était tout oreilles, il répondit:
–Vous venez de remplir le devoir d’un loyal et fidèle serviteur du roi, et vos remarques sont en effet d’une haute importance. Il est bien connu qu’une forte somme est promise à qui livrera un seul des compagnons du Corsaire, et que des récompenses magnifiques et tout à fait royales attendent celui qui parviendra à remettre toute cette troupe de mécréants entre les mains du bourreau; il serait même très-possible que quelque témoignage signalé de la satisfaction royale suivît un pareil service: il y eut Phipps, homme de basse origine, qui reçut le titre de chevalier…
–De chevalier! répéta le tailleur dans une sorte d’extase.
–Oui,