La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер
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Читать онлайн книгу La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер страница 19
Aussi me garderai-je bien, retenu que je suis, d'ailleurs, par de certaines raisons de convenances particulières, d'écrire tout le mal que je pense de la seule traduction, qui ait été chez nous tentée[107-3]: la seule, sans doute est-ce là son principal mérite, car qui l'oserait appeler musicale, ni française? Excellent critique musical, homme de grand cœur si l'on en juge par ses livres sur Beethoven et sur Mozart, l'auteur de cette version, M. Victor Wilder, n'était, en poésie, qu'un fâcheux librettiste, perverti, le plus consciencieusement, le plus inconsciemment du monde, par trop d'adaptations, plutôt franco-gantoises, des paroles de trop d'Oies du Caire. Si encore, s'attaquant aux poèmes de Wagner, il se fût contenté de n'en pas approprier tous les détails à leur Musique! S'il n'avait, à ce Verbe sévère, substitué le belgimatias le plus conventionnel qui soit, une sorte de musée rimé,—à la flamande,—de tous les ponts-neufs de notre Opéra! S'il ne s'était pas avisé de modifier, à sa fantaisie mal opportune, les sobres, saisissantes indications scéniques! Mais à quoi bon des reproches? M. Wilder est mort, sans s'être rendu compte une heure, cet honnête homme, de la profanation qu'il avait perpétrée[108-1]. A quoi bon des critiques? «Vous qui blâmez si bien, puisque cette traduction musicale vous déplaît, pourquoi n'en faites-vous pas une autre?»—Hé! je ne m'en suis pas dit capable. Et pourtant, quoique j'aie, après tout, quelque œuvre personnel à terminer tout bas, peut-être aurais-je eu la piété, ou, si l'on veut, la présomption de me vouer à cette aventure, s'il n'y avait, provisoirement, impossibilité légale[108-2]; et je dirais même comment j'aurais conçu l'essai, si cette impossibilité (jusqu'au moment où le cri public, grâce au présent volume, j'espère, l'aura détruite) ne rendait superflue toute autre explication.
N'importe! en attendant, les libretti Wilder, tout antiwagnériens qu'ils soient, permettraient toujours à quiconque aurait pris connaissance, ici, et de L'Anneau du Nibelung, et du but de Wagner, de se faire, à la représentation, une pâle image de l'Art que l'Artiste a voulu.—«A la représentation? Fort bien! nous y courons: mais où se donne-t-elle?»—Nulle part en France. Hors de France, nulle part en français. Je n'oublie point que l'Opéra nous joue La «Valkyrie»! mais je n'oublie pas, non plus, que c'est un acte, sur quatre, d'un Drame INDIVISIBLE EN SOI[109-1]; et je me demande pourquoi, dans l'Œuvre de Wagner, on est allé choisir, justement, l'un de ces actes; et je me demande encore pourquoi, l'ayant choisi, l'ayant ainsi dénaturé quand à sa substance poétique, on n'a pas la pudeur, au moins, de l'exécuter comme il doit l'être.
Mon Dieu! je ne réclame pas des «festivals scéniques», périodiquement solennels: je sais trop que l'Œuvre de Wagner n'est nationale que pour l'Allemagne, et que de telles fêtes, en France, n'auraient pas de raison d'être, au moins à l'occasion de cette Œuvre. Je ne réclamerais pas même une salle particulière, ou particulièrement construite. Mais je voudrais qu'on se souvînt, dans une certaine mesure, lorsqu'on monte un Drame de Richard Wagner, des conditions spéciales d'acoustique et d'optique[110-1] pour lesquelles seules ce Drame est fait: sans lesquelles sa beauté, son intrinsèque beauté, n'apparaît plus que dénaturée, déconcertante et monstrueuse, puisqu'on la rend sensible au moyen d'un organe destiné à des fins radicalement contraires[111-1]. Il serait si simple de faire mieux!
J'entends bien qu'on répond: «Faire mieux?... Voyez l'Allemagne!»—La défaite est spécieuse, mais quoi! c'est une défaite. Méditez ce qu'écrivait Wagner il y a quinze ans: «Le public, en général, sembla très satisfait quand les Nibelungen passèrent de scène en scène sur les théâtres des villes allemandes, joués sans la moindre conception des véritables exigences de l'œuvre. Là, généralement défiguré par des coupures et représenté dans des milieux auxquels il n'avait jamais été destiné, l'ouvrage gagna bientôt de si chaleureux applaudissements, qu'il sembla incompréhensible que personne songeât encore à le répéter spécialement à Bayreuth... au moment où l'on m'enviait généralement pour le résultat brillant de mon énergie, et quand le monde, ne prenant pas garde à mon but, que j'avais si soigneusement expliqué depuis si longtemps, se disait avec surprise qu'alors, au moins, on devait supposer que je pouvais être content de tout ce que j'avais réalisé[112-1]!»
Les choses ont-elles changé depuis ces quinze ans? Non pas! Plutôt s'aggraveraient-elles chaque jour, s'il est possible. Et après? Nous irons à Bayreuth, voilà tout: là, du moins, la piété d'une admirable femme, la ferveur de quelques amis de Richard Wagner, perpétuent, en dépit de toutes les hostilités, la tradition sacrée du mort, jusqu'en ses plus minimes détails; là, quoiqu'on y chante en allemand, quiconque possédera bien les Drames, dans une suffisante traduction française, pourra se faire de cet Art une authentique idée. Oui donc! c'est à Bayreuth que nous irons: qui,—nous? Qu'on réponde: combien,—parmi nous? La France a trente-huit millions d'âmes... J'admire, en vérité, ceux des privilégiés qui, depuis des années, nous répètent: «Vous vous dites wagnériens, jeunes gens? Soit: vous n'avez que deux choses à faire: répandre les idées de Wagner,—soutenir Bayreuth[114-1]». C'est très bien, c'est facile à dire; nous voulons bien: notre plume, qu'on y compte!—Et votre bourse?—De même! Mais, pour ce qui est des «idées»: les écrits théoriques n'étaient pas même traduits; et ils l'auraient été que, sans exemples directs, ils auraient risqué de provoquer, en France, d'aussi niais malentendus qu'ils en provoquèrent en Allemagne, jadis. Quant au Théâtre de Bayreuth: les fêtes y sont rares; et c'est loin.
—Et après tout (s'écrie, non sans quelque raison, plus d'un sincère amoureux d'Art), si les Drames de Wagner font partie, comme vous dites, de l'inaliénable patrimoine moral de l'Humanité tout entière, n'est-il pas vrai qu'il en est de même des œuvres—choisissons un dieu—de Michel-Ange? Si je tiens à pénétrer le génie d'un Michel-Ange, il est bien évident que je dois courir à Rome: seulement, qui m'imputerait à crime, sans injustice, les fatalités matérielles qui m'empêcheraient de faire ce voyage? Qui m'imputerait à crime, en ce cas, mon torturant désir de me former un jugement, mes tentatives pour le former par l'étude de fragments plastiques dans les Musées? par des copies, si je n'ai pas mieux? par des gravures, faute de copies? que dis-je! par des volumes, si les gravures me manquent? Cet Œuvre est pourtant de ceux qui n'existent, je pense, qu'à l'instant—pour vous rétorquer votre argument—de sa «réalisation sensuelle intégrale!» Hé bien, que voulez-vous? ce que je ferais pour Michel-Ange, je le fais, exactement, pour les Drames de Wagner: des fragments? les concerts publics m'en rendent sensibles! Des copies? bonnes ou non, les théâtres m'en donnent! Des gravures? dépourvues de la couleur musicale, les traductions y correspondent. Des volumes? la lecture n'en serait-elle pas logique,—plus, même, qu'à propos de Michel-Ange?—«Fuyez au moins», dites-vous, «toute représentation! Evitez tout concert public!»—Pourquoi vous y voit-on, vous qui nous en chassez?—«C'est que nous», répondez-vous, «nous autres, nous savons! A Bayreuth, nous y sommes allés: il n'y a plus nul danger que nous nous trompions, ici, sur le but réel de Richard Wagner. Nous souffrons de l'y voir incompris et morcelé; mais nous n'en sommes pas moins heureux de pouvoir entendre sa Musique: n'avons-nous pas la ressource de fermer les yeux? Ne revivons-nous pas le Drame tel que nous le vîmes ailleurs? A quelle phrase, à quel geste correspond chaque note, ne le savons-nous pas—depuis Bayreuth?»—Vous savez? Superbe égoïsme! Hé! alors, faites savoir aux autres! Admettons que plus de silence eût mieux valu naguère; maintenant, le silence n'est plus possible: trop de malentendus artistiques ont succédé, n'est-il pas vrai? à trop de malentendus soi-disant politiques ou soi-disant patriotiques. Il n'y a rien à tenter en France, affirmez-vous?—C'est à force de n'y rien faire, à force d'y laisser faire, plutôt, que, si nous ne connaissions votre absolue bonne foi, vous nous paraîtriez complices, entendez-vous! des profanations dont vous gémissez. Car, si vous vous refusiez à traduire les poèmes, sous le prétexte, vraiment commode, de «réalisation sensuelle intégrale», vous auriez pu, afin de «répandre les idées», traduire les œuvres théoriques! Je le demande: qui a eu ce courage? Et si nul ne l'a eu pour ces œuvres pourtant (j'en