La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер
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III
En effet, en les ordonnant, je m'aperçois que par un phénomène d'ailleurs inconscient, quoique logique, un grand nombre de ces principes se trouvent avoir pénétré déjà, si intimement, toutes les pages, toutes les phrases de cet Avant-Propos, que j'aurais quelque peine à éviter les redites, à l'égard de beaucoup d'entre eux; or, de pareilles redites ne seraient intéressantes qu'à condition d'entrer, cette fois, dans le plus complet détail d'idées auxquelles, en ce cas, une antérieure mention sommaire aurait eu pour but, par exemple, d'éveiller l'esprit du lecteur: et c'est une condition que m'interdisent de remplir les limites restreintes du présent Essai. J'aurai suffisamment atteint mon double but si, d'une part, j'ai contribué (sans avoir la sotte prétention, bien entendu, de leur rien apprendre) à stimuler le zèle, qui languit, des admirateurs compétents de Wagner, les uns vraiment trop satisfaits! les autres trop découragés; si, d'autre part, j'ai su inspirer au Public le désir sincère de s'instruire, de réparer ses graves erreurs, par l'étude des trop rares ouvrages que je crois pouvoir lui signaler[78-1].
Ce n'est pas que, ces ouvrages exceptés, les moyens d'information manquent: mais ces moyens d'information sont les uns trop disséminés, les autres (toute valeur littéraire hors de cause) plus significatifs des hypothèses, des thèses, des interprétations personnelles aux Critiques[78-2], que des principes tout nus de Wagner; d'autres furent excellents qui, tirés à petit nombre, épuisés, introuvables, hélas! ne seront jamais réimprimés[79-1]. De tous je me suis servi, de tous je vais me servir, mais, principalement, des derniers, parce que j'aurais des chances de faire plus mal, non mieux.
Je réclame surtout licence de citer Wagner même, ne revendiquant pour moi d'originalité que celle du choix (souvent difficile) et du classement de ces citations. Ce tri, je l'effectuerai, autant qu'il sera possible, parmi les documents traduits en langue française: ceux qui connaissent l'allemande n'ayant que faire de mon secours; ceux qui ne la connaissent pas n'ayant que faire de renvois, à n'importe quel texte allemand de Richard Wagner. D'autant mieux serai-je à l'aise, pour en agir ainsi, que nul ne pourra l'attribuer, soit à l'ignorance de l'allemand, puisque j'en traduis quatre Drames, soit à celle des écrits théoriques de Wagner, puisque (quand même déjà je ne les saurais par cœur) j'en achève présentement aussi la Traduction. Au surplus, le lecteur perdra-t-il rien au change? J'aurais pu, saturé que je suis par ces écrits, en exprimer l'essence avec trop d'abondance; ou bien, ne partageant pas toutes les idées de Wagner (sans doute en suis-je encore indigne), m'oublier à les discuter. Mieux vaut laisser Wagner se confesser lui-même: au moins sera-t-il prouvé que s'il est si peu compris, ce n'est point faute de s'être expliqué, très explicitement expliqué; et peut-être, à défaut d'aucun autre mérite, m'accordera-t-on celui d'avoir fourni cette preuve, dégagée d'interprétations plus ou moins égoïstement hypothétiques...
Du trio d'œuvres théoriques dont il sied que je m'occupe ici, celle qui semble, au premier coup d'œil, avoir le moins rapport à L'Anneau du Nibelung, et par suite réclamer la moins longue analyse, c'est L'Art et la Révolution[80-1]. Elle s'y rattache pourtant par de si intimes liens, que la sagacité du lecteur les découvrira, j'en suis sûr, lorsqu'il aura pris connaissance et des quatre Drames, et de leur dénouement[80-2].
L'idée générale est que les Grecs ont seuls connu l'Art véritable, c'est-à-dire interprète de la conscience publique; et c'est pourquoi l'Art grec était conservateur; mais le nôtre doit être révolutionnaire: parce qu'il a cessé d'être un tel interprète; parce qu'il ne pourra devenir cet interprète, exprimer la conscience publique, qu'à condition de la réformer[80-3].
«J'avais le temps, dit Richard Wagner, de réfléchir sur les raisons qui ont réduit le théâtre à ce rôle dans notre vie publique; de rechercher d'autre part les principes sociaux d'où résulterait le théâtre tel que je le rêvais[81-1].»—«J'insistai sur la connexité que j'avais reconnue entre l'état de l'art et la situation politique et sociale du monde moderne. La vie des Grecs me servit comme l'exemple le plus concluant et le plus brillant de cette connexité[81-2].»—«J'avais trouvé dans quelques rares créations d'artistes inspirés une base réelle où asseoir mon idéal dramatique et musical; maintenant, l'histoire m'offrait à son tour le modèle et le type des relations idéales du théâtre et de la vie publique.... Je le trouvais, ce modèle, dans le théâtre de l'ancienne Athènes[81-3]:»—«c'était par l'union de toutes les différentes méthodes d'expression artistique dans l'œuvre d'art noble, parfaite, de son drame tragique, que ce peuple avait célébré dans un accord respectueux les rites de sa forte et noble nature hellénique[81-4].»—«Le théâtre n'ouvrait son enceinte qu'à certaines solennités, où s'accomplissait une fête religieuse qu'accompagnaient les jouissances de l'Art; les hommes les plus distingués de l'État prenaient à ces solennités une part directe comme poètes ou directeurs; ils paraissaient, comme les prêtres, aux yeux de la population assemblée de la cité et du pays; et cette population était remplie d'une si haute attente de la sublimité des œuvres qui allaient être représentées devant elle, que les poèmes les plus profonds, ceux d'un Eschyle ou d'un Sophocle, pouvaient être proposés au peuple, et assurés d'être parfaitement entendus. Alors s'offrirent à moi les raisons, douloureusement cherchées, de la chute de cet Art incomparable; mon attention s'arrêta, premièrement, sur les causes sociales de cette chute, et je crus les trouver dans les raisons qui avaient amené celle de l'état antique lui-même[82-1].»—«Je suivis le déclin de l'Art qui accompagna le déclin de l'influence grecque, je montrai comment, dégénérant sous la civilisation romaine et réprimé par l'esprit du christianisme, il ne pouvait plus ensuite, après sa résurrection à l'époque de la Renaissance, être qualifié d'expression libre et naturelle de la vie nationale d'un grand peuple; comment il était obligé de sacrifier sa valeur si noble et sa véritable inspiration populaire, d'abord pour le service des caprices et du faste des princes et des aristocrates, ensuite au profit du commerce et des hypocrisies de la société moderne. Il est vrai que, avec la disparition de l'antique et inhumaine institution de l'esclavage et l'extension de l'idée chrétienne de l'égalité des hommes, le véritable Art vit s'ouvrir devant lui un plus noble et plus large domaine, dans lequel il pourrait, pour la première fois, avoir atteint son apogée en traduisant les idées de l'homme libre dans ses relations vraies et sans entraves de ce genre: mais une telle civilisation, fondée sur la liberté, n'est jamais venue pleinement à l'existence. L'homme moderne n'est un être ni libre ni consistant. Mille intérêts différents divisent sa vie changeante et la remplissent d'une perpétuelle inquiétude, et c'est seulement dans leur commun esclavage, sous l'empire des chimères et des nécessités sociales, que les hommes sont réellement égaux. Il n'y a qu'une grande révolution de l'humanité en général qui pourrait rendre possible la liberté de l'individu, et il n'y a qu'un mouvement révolutionnaire dans un tel sens, avec un tel motif,