Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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Et l’autre, dis donc, l’Autrichien? Un morceau de craie… quoi? Un vrai sac de farine! Quelle corvée d’avoir cela à blanchir!

      — Voyons, toi qui étais en avant, quand est-ce qu’ils ont dit qu’on se frotterait? Quand? On nous a pourtant bien dit que Bonaparte était ici à Braunau.

      — Bonaparte ici? En voilà une farce! Imbécile qui ne sait pas que le Prussien s’est révolté et que l’Autrichien doit lui marcher dessus… et alors, après qu’il l’aura rossé, il commencera la guerre avec Bonaparte. Va donc conter à d’autres qu’il est ici. Bonaparte à Braunau! On voit bien que t’es bête; ouvre donc tes oreilles, blanc-bec!

      — Ah! Ces diables de fourriers!… Voilà la cinquième compagnie qui tourne dans le village, et ils auront fait la soupe que nous ne serons pas encore là!

      — Voyons, passe-moi une croûte, que diable?

      — Ne t’ai-je pas donné du tabac hier soir… hein, pas vrai? Eh bien, prends-la, ta croûte… tiens!

      — Si au moins on s’arrêtait… mais non… encore cinq verstes à traîner son estomac creux.

      — Cela t’irait, dis donc, si les Allemands nous offraient leurs belles calèches: en voiture ce serait chic… hein?

      — Et le peuple d’ici?… as-tu vu? Ce n’est plus le même; le Polonais, c’était encore un sujet de l’Empereur; mais maintenant des Allemands tout le long… rien que cela.

      — En avant les chanteurs!» s’écria le capitaine, et une vingtaine de soldats sortirent des rangs.

      Le tambour qui dirigeait les chants se tourna vers eux, fit un geste et entonna la chanson commençant par ces mots: «Voilà la diane, voilà le soleil» et finissant par ceux-ci: «Et de la gloire nous en aurons avec Kamensky notre père.» Composée en Turquie, cette chanson était chantée aujourd’hui en Autriche; il n’y avait de changé que le nom de Koutouzow, mis récemment à la place de celui de Kamensky. Après avoir crânement enlevé ces dernières paroles, le tambour, un beau soldat, de quarante ans environ, avec des formes nerveuses, examina sévèrement ses camarades en fronçant les sourcils, pendant que ses mains, allant à droite et à gauche, semblaient lancer à terre un objet invisible. S’étant bien assuré que tous le regardaient, il releva doucement ses bras et les tint pendant quelques secondes immobiles au-dessus de sa tête, comme s’il soutenait avec le plus grand soin cet objet précieux et toujours invisible. Tout à coup, le rejetant brusquement, il entonna: «Mon toit, mon cher petit toit» et une vingtaine de voix le répétèrent en chœur. Un autre soldat s’élança en avant et se mit, sans paraître le moins du monde gêné par le poids de son fourniment, à sauter et à danser à reculons devant ses camarades, en remuant ses épaules et en menaçant le vide avec des cuillères qu’il frappait entre elles en guise de castagnettes. Les autres le suivaient en mesure, d’une allure rapide. Un bruit de roues et de chevaux se fit entendre derrière eux: c’était Koutouzow et sa suite qui revenaient en ville. Il fit un signe pour permettre aux soldats de continuer librement leur marche. Au second rang du flanc droit que rasait la haute calèche, la figure de Dologhow, le soldat aux yeux bleus, attirait l’attention: sa démarche cadencée, gracieuse et hardie à la fois, son regard assuré et moqueur, jeté comme un défi à ceux qui le dépassaient, paraissaient les plaindre de ne point faire leur entrée à pied comme lui et sa joyeuse compagnie, le sous-lieutenant de hussards, Gerkow, le même qui s’était amusé à imiter le général commandant le régiment, modéra l’allure de son cheval pour se rapprocher de Dologhow; bien qu’il eût été, lui aussi, du nombre des viveurs dont ce dernier avait été le chef de file, il s’était pourtant prudemment abstenu jusqu’à ce moment de renouer connaissance avec le disgracié: les quelques mots dits par Koutouzow lui firent changer de tactique, et feignant une véritable joie:

      «Comment cela va-t-il» cher ami? Lui dit-il.

      — Comme tu vois,» répondit froidement Dologhow.

      La chanson toujours vive et légère accompagnait d’une façon étrange la désinvolture comique de Gerkow et les réponses glaciales de son ex-camarade.

      «Eh bien, t’arranges-tu avec tes chefs?

      — Mais oui, pas mal; ce sont de braves gens: tu t’es donc faufilé dans l’état-major?

      — J’y suis attaché, je fais le service.»

      Ils se turent tous les deux: «Le faucon est bien lancé et lancé de la main droite,» reprenait la chanson, et, en l’écoutant, on se sentait involontairement plein de confiance et de résolution.

      Leur conversation aurait certainement changé de ton sans ce joyeux accompagnement:

      «Les Autrichiens sont-ils battus? Est-ce vrai? Demanda Dologhow.

      — On le dit, mais qui diable peut le savoir!

      — Tant mieux, répliqua brièvement Dologhow, en suivant la cadence.

      — Viens chez nous ce soir, veux-tu? Nous aurons un pharaon!

      — Vous avez donc beaucoup d’argent?

      — Viens toujours!

      — Impossible. J’ai fait le vœu de ne jouer ni boire jusqu’à ce que j’aie regagné mon grade.

      — Eh bien, alors ce sera à la première affaire.

      — Eh bien! Alors, on verra!

      — Viens tout de même: si tu as besoin de quelque chose, l’état-major t’aidera.»

      Dologhow sourit:

      «Ne t’occupe pas de moi; je ne demanderai rien, je prendrai ce dont j’aurai besoin.

      — Soit, c’était seulement pour…

      — C’est ça, moi aussi c’était seulement pour…

      — Adieu!

      — Adieu!…»

      Et bien haut et bien loin: «Là-bas, là-bas dans la patrie,» continuait la chanson, pendant que Gerkow éperonnait son cheval; le cheval, couvert d’écume et galopant en mesure au son de la musique, dépassa la compagnie et rejoignit bientôt la haute calèche.

      III

      À peine rentré chez lui, Koutouzow, accompagné du général autrichien, s’était rendu tout droit dans son cabinet de travail: là il se fit donner par son aide de camp, le prince Bolkonsky, des papiers qui se rapportaient à l’état des troupes, et des lettres qui avaient été reçues la veille, de l’archiduc Ferdinand, commandant l’armée d’avant-garde. Une carte était étalée sur la table, devant laquelle s’assirent Koutouzow et son compagnon, un des membres du Hofkriegsrath (conseil supérieur de la guerre). Tout en recevant les papiers de la main de Bolkonsky, et en lui faisant signe de rester auprès de lui, il continua la conversation en français, en donnant à ses phrases, qu’il énonçait avec lenteur, une certaine élégance de tournure et d’inflexion, qui les rendait agréables à l’oreille; il semblait s’écouter lui-même avec un plaisir marqué:

      «Voici mon unique réponse, général: si l’affaire en question n’avait

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