Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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souvent nos volontés.»

      Le sourire qui accompagnait ces derniers mots justifiait pleinement la visible incrédulité de l’Autrichien. Quant à Koutouzow, assuré de ne pas être contredit en face, et c’était là pour lui le point principal, peu lui importait le reste!

      Force fut donc à son interlocuteur de répondre sur le même ton, tandis que le son de sa voix trahissait sa mauvaise humeur et contrastait plaisamment avec les paroles flatteuses, étudiées à l’avance, qu’il laissait échapper avec effort.

      «Tout au contraire, Excellence, l’Empereur apprécie hautement ce que vous avez fait pour nos intérêts communs; nous trouvons seulement que la lenteur de votre marche empêche les braves troupes russes et leurs chefs de cueillir des lauriers, comme ils en ont l’habitude.»

      Koutouzow s’inclina, ayant toujours son sourire railleur sur les lèvres.

      «Ce n’est pas mon opinion; je suis convaincu, au contraire, en me fondant sur la lettre dont m’a honoré S. A. I. L’archiduc Ferdinand, que l’armée autrichienne, commandée par un général aussi expérimenté que le général Mack, est en ce moment victorieuse et que vous n’avez plus besoin de notre concours.»

      L’Autrichien maîtrisa avec peine une explosion de colère. Cette réponse s’accordait peu, en effet, avec les bruits qui couraient sur une défaite de ses compatriotes, et cette défaite, les circonstances la rendaient d’ailleurs probable; aussi avait-elle l’air d’une mauvaise plaisanterie, et pourtant le général en chef, calme et souriant, avait le droit d’émettre ces suppositions, car la dernière lettre de Mack lui-même parlait d’une prochaine victoire et faisait l’éloge de l’admirable position de son armée au point de vue stratégique.

      «Passe-moi la lettre, dit-il au prince André. Veuillez écouter…»

      Et il lut en allemand le passage suivant:

      «L’ensemble de nos forces, 70000 hommes environ, nous permet d’attaquer l’ennemi et de le battre, s’il tentait le passage du Lech. Dans le cas contraire, Ulm étant à nous, nous pouvons ainsi rester maîtres des deux rives du Danube, le traverser au besoin pour lui tomber dessus, couper ses lignes de communication, repasser le fleuve plus bas, et enfin l’empêcher de tourner le gros de ses forces contre nos fidèles alliés. Nous attendrons ainsi vaillamment le moment où l’armée impériale de Russie sera prête à se joindre à nous, pour faire subir à l’ennemi le sort qu’il a mérité.»

      En terminant cette longue phraséologie, Koutouzow poussa un soupir et releva les yeux.

      «Votre Excellence n’ignore point que le sage doit toujours prévoir le pire, reprit son vis-à-vis, pressé de mettre fin aux railleries pour aborder sérieusement la question; il jeta malgré lui un coup d’œil sur l’aide de camp.

      — Mille excuses, général…»

      Et Koutouzow, l’interrompant, s’adressa au prince André:

      «Veux-tu, mon cher, demander à Kozlovsky tous les rapports de nos espions. Voici encore deux lettres du comte Nostitz, une autre de S. A. I. L’archiduc Ferdinand, et de plus ces quelques papiers. Il s’agit de me composer de tout cela, en français et bien proprement, un mémorandum qui résumera toutes les nouvelles reçues dernièrement sur la marche de l’armée autrichienne, pour le présenter à Son Excellence.»

      Le prince André baissa la tête en signe d’assentiment. Il avait compris non seulement ce qui lui avait été dit, mais aussi ce qu’on lui avait donné à entendre et, saluant les deux généraux, il sortit lentement.

      Il y avait peu de temps que le prince André avait quitté la Russie, et cependant il était bien changé. Cette affectation de nonchalance et d’ennui, qui lui était habituelle, avait complètement disparu de toute sa personne; il semblait ne plus avoir le loisir de songer à l’impression qu’il produisait sur les autres, étant occupé d’intérêts réels autrement graves. Satisfait de lui-même et de son entourage, il n’en était que plus gai et plus bienveillant. Koutouzow, qu’il avait rejoint en Pologne, l’avait accueilli à bras ouverts, en lui promettant de ne pas l’oublier: aussi l’avait-il distingué de ses autres aides de camp, en l’emmenant à Vienne et en lui confiant des missions plus sérieuses. Il avait même adressé à son ancien camarade, le vieux prince Bolkonsky, les lignes suivantes:

      «Votre fils deviendra, je le crois et je l’espère, un officier de mérite, par sa fermeté et le soin qu’il met à accomplir strictement ses devoirs. Je suis heureux de l’avoir auprès de moi.»

      Parmi les officiers de l’état-major et parmi ceux de l’armée, le prince André s’était fait, comme jadis à Pétersbourg, deux réputations tout à fait différentes. Les uns, la minorité, reconnaissant en lui une personnalité hors ligne et capable de grandes choses, l’exaltaient, l’écoutaient et l’imitaient: aussi ses rapports avec ceux-là étaient-ils naturels et faciles; les autres, la majorité, ne l’aimant pas, le traitaient d’orgueilleux, d’homme froid et désagréable: avec ceux-là il avait su se poser de façon à se faire craindre et respecter. En sortant du cabinet, le prince André s’approcha de son camarade Kozlovsky, l’aide de camp de service, qui était assis près d’une fenêtre, un livre à la main:

      «Qu’a dit le prince? Demanda ce dernier.

      — Il a ordonné de composer un mémorandum explicatif sur notre inaction.

      — Pourquoi?»

      Le prince André haussa les épaules.

      «A-t-on des nouvelles de Mack?

      — Non.

      — Si la nouvelle de sa défaite était vraie, nous l’aurions déjà reçue.

      — Probablement…»

      Et le prince André se dirigea vers la porte de sortie; mais au même moment elle s’ouvrit avec violence pour livrer passage à un nouvel arrivant, qui se précipita dans la chambre. C’était un général autrichien de haute taille, avec un bandeau noir autour de la tête, et l’ordre de Marie-Thérèse au cou. Le prince André s’arrêta.

      «Le général en chef Koutouzow? Demanda vivement l’inconnu avec un fort accent allemand et, ayant jeté un rapide coup d’œil autour de lui, il marcha droit vers la porte du cabinet.

      — Le général en chef est occupé, répondit Kozlovsky, se hâtant de lui barrer le chemin… Qui annoncerai-je?»

      Le général autrichien, étonné de ne pas être connu, regarda avec mépris de haut en bas le petit aide de camp.

      «Le général en chef est occupé,» répéta Kozlovsky sans s’émouvoir.

      La figure de l’étranger s’assombrit et ses lèvres tremblèrent, pendant qu’il tirait de sa poche un calepin. Ayant à la hâte griffonné quelques lignes, il arracha le feuillet, le lui tendit, s’approcha brusquement de la fenêtre et, se laissant tomber de tout son poids sur un fauteuil, il regarda les deux jeunes gens d’un air maussade, destiné, sans doute, à réprimer leur curiosité. Relevant ensuite la tête, il se redressa avec l’intention évidente de dire quelque chose, puis, faisant un mouvement, il essaya avec une feinte nonchalance de fredonner à mi-voix un refrain qui se perdit en un son inarticulé. La porte du cabinet s’ouvrit, et Koutouzow parut sur le seuil. Le général à la tête bandée, se baissant

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