Picrate et Siméon. Andre Beaunier
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Picrate observa que la seule connaissance de ces mots révélait un homme instruit: il crut à la véracité de Siméon. Il se sentit en bonne compagnie et s’excusa:
– Je vous demande pardon … Je ne savais pas …
– Pourquoi pardon?.. Est-ce ma philologie qui t’impose? Elle est loin, ma philologie! Mon pauvre Picrate, ta mathématique peut tutoyer mon érudition.
– Si vous voulez, – répondit Picrate, respectueux malgré lui.
Et Siméon tendit à Picrate sa main de cocher, noircie, durcie, gercée par le cuir des guides. Picrate dit:
– Je suis très heureux d’avoir fait votre connaissance.
Haussant les épaules et sifflotant n’importe quoi du bout des lèvres, Siméon remonta sur son siège, fut soigneux de se bien sangler dans sa couverture et de ne pas s’asseoir sur un pli. Puis il parut, en somme, méditer …
Picrate l’admirait. Il eût aimé que la causerie entre eux continuât; mais il n’osait pas en prier Siméon, parce que Siméon, sous sa vieille capote à boutons métalliques et son chapeau de toile cirée dévernie, lui semblait plus majestueux qu’un roi. Il le contemplait.
C’était, ce Siméon prestigieux, un homme d’une quarantaine d’années, aux cheveux châtains qui commençaient à blanchir. Sa barbe, peu fournie, allongeait l’ovale de son visage. Ses traits n’avaient rien de caractéristique. Ils étaient réguliers, ni gros ni très fins, quelconques: nez moyen, bouche moyenne, yeux gris, comme dans les signalements. Mais sa physionomie était singulière. Presque toujours, il souriait. Seulement, on ne savait pas si ce sourire signifiait de la gaieté, de la moquerie, de l’affabilité, ou s’il ne résultait pas de la forme des lèvres, un peu pincées naturellement et relevées au coin. Car, en même temps que ses lèvres souriaient, il y avait dans son regard de la gravité et, dans le pli des longues joues, de la tristesse désespérée. Les gestes qu’il faisait n’avaient ni ampleur ni énergie; il réduisait au minimum l’effort que toute activité réclame, et cela lui donnait un air de judicieux dédain. Sa voix était variée, parfois douce et chantante et parfois rude …
Un vieux «collignon» cramoisi revint de souper et, se léchant encore les babines, adressa la parole à Siméon: d’ineptes jovialités, qu’il accompagnait d’un gros rire. Picrate fut choqué de voir que l’on traitait si familièrement Siméon, déconcerté de voir que Siméon s’y prêtait volontiers.
Siméon, dérangé de son repos, consacrait à l’allumage de ses lanternes ces minutes sacrifiées et, d’ailleurs, se montrait cordial. Il suivait les récits du vieux avec complaisance. Il les approuvait. Le vieux lui tapait sur le ventre, et Siméon plaçait son mot, son mot d’argot, dans ce hideux bavardage. Même, il renchérissait. Et Picrate en était surpris. Il ne savait pas si le Siméon qu’il avait présentement sous les yeux était le vrai Siméon, ou bien si l’autre, l’érudit, le philologue, était réel; mais il ne concevait pas que ces deux Siméon pussent coexister et faire bon ménage … Par moments, le visage de Siméon reprenait son air sérieux et pensif, et puis, soudain, rigolait: Picrate se désolait, dans l’incertitude. Il souffrait aussi de constater que Siméon l’avait si prestement lâché, tout à l’heure, et maintenant s’attardait avec ce camarade imbécile.
Un client se présenta pour le fiacre de Siméon, dit une adresse. Siméon ferma la portière, grimpa sur son siège, assembla les guides. Picrate le regardait avec chagrin qui s’en allait, sans faire attention à lui, qui le laissait au pied de son mur, petit homme ridicule et négligeable surtout.
En fouettant son cheval pour démarrer, Siméon fit à Picrate un signe de tête, gentiment, et dit:
– Au plaisir, Picrate!
Picrate fut si troublé qu’il ne sut répondre …
…Par la suite, ils se retrouvèrent, ici ou là, au hasard des courses que Siméon faisait. Et Siméon ne manquait pas de descendre de son siège pour serrer la main de Picrate, lui demander de ses nouvelles et l’interroger sur le résultat de ses affaires. Picrate eût souhaité causer longtemps à cœur ouvert, s’épancher. Siméon, dès que la causerie allait s’épanouir, devenait soudain moins chaleureux. Picrate s’en affligea d’abord et bientôt espéra comprendre que Siméon l’étudiait en vue d’une amitié véritable. Donc il se surveilla, mais alors parut guindé, prétentieux, et s’affligea d’être timide.
Un jour, Siméon l’aperçut à la porte de Saint-Germain-l’Auxerrois, en dispute avec des mendiants. Chacun de ces pauvres diables avait sa place attitrée, qui à la grille, qui sur les marches, qui auprès d’un pilier. Or, Picrate s’était octroyé la place d’une vieille bossue, qu’on appelait la «mère Millions», à cause d’un réel petit avoir qu’elle accumulait depuis des années, patiemment. Les autres la respectaient, en vertu de ce sortilège qu’exerce toujours la fortune. L’impertinence de Picrate indigna. Peu s’en fallut qu’on ne lui fit un mauvais parti; mais on devait, en présence des paroissiens dont on sollicitait la générosité, garder l’attitude confite et geignarde des miséreux. La vieille n’entendait pas qu’un intrus la dépossédât de son fief: elle fit rage, menaça Picrate de ses pieds, l’insulta. Picrate retroussa ses manches. Elle se sauva vers le refuge, ouvert à tous, de l’église. Il la poursuivit, il l’attrapa, la saisit par sa robe et fut ainsi traîné par elle dans l’église. Il y eut du scandale. Un suisse expulsa le sacrilège; Picrate, dehors, lui secoua sa hallebarde. Un sergent de ville survint qui emmena Picrate au poste, en dépit de ses protestations. Picrate l’aurait, d’ailleurs, traité comme les autres, s’il n’avait vu, tout à coup, Siméon, qui stationnait là, le regarder avec son grand air souverain. Il s’abandonna, fila doux.
Une semonce du commissaire fut le seul châtiment qu’il reçut de la police. Que lui importait, du reste? La grosse affaire était pour lui qu’il avait encouru le mépris de Siméon, qu’il n’oserait plus prétendre à l’amitié de Siméon, qu’il n’oserait plus, s’il le rencontrait, lever les yeux vers lui.
Cependant il le rencontra. Siméon s’approcha, la mine enjouée, et dit à Picrate qui rougissait:
– A propos, Picrate, quelles sont tes opinions politiques?
Picrate hésita d’abord à répondre, tant il avait honte de lui-même en face de Siméon. Puis la joie de constater que Siméon s’intéressait à sa notion de l’État fut telle qu’il ne se put contenir: et il proclama fièrement:
– Je suis socialiste!
– Ça ne m’étonne pas, – dit Siméon, qui souriait.
Ce sourire troubla Picrate. Embarrassé, il risqua:
– Et vous?
– Oh! moi, je ne suis pas socialiste, vois-tu, étant dénué d’optimisme et de naïveté …
Siméon, qu’une dame hélait, partit. Picrate dut se contenter de cette phrase mystérieuse et par trop concise, qu’un petit commentaire eût éclairée utilement.
De ses rapides entrevues avec Siméon qu’un hasard fâcheux venait toujours interrompre, Picrate conservait ainsi des lambeaux de discours, des maximes, des réflexions, hélas! incomplètes. Ces fragments lui étaient, certes, précieux. Il y rêvait; il regrettait leur brièveté … Quelques-uns exprimaient une idée entière: Picrate aimait à se les répéter … Oui, Siméon, un soir, lui avait dit: