Christine. Enault Louis

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Christine - Enault Louis

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j'abrège; donc, M. le comte de Rudden était un assez piètre sire, pour ne pas dure plus, et il mérita… tous les malheurs qu'il n'a pas eus. Enfin, après cinq ou six ans de cet enfer anticipé qu'on appelle un mariage mal assorti, le comte mourut. Ce fut la première politesse qu'il eût jamais faite à sa femme. Il la laissait jeune, riche et belle, et avec un passé de malheur que beaucoup d'hommes auraient bien voulu lui faire oublier.

      «La comtesse est la franchise même. Elle ne feignit donc point une douleur à laquelle d'ailleurs personne n'aurait crû. Mais elle porta sévèrement son deuil, et, avec ce sentiment des convenances qui ne l'abandonne jamais, elle quitta Stockholm, passa dix-huit mois dans ses terres, puis revint ici, et ouvrit ses salons, qui furent bientôt les plus agréables de la ville. M. de Rudden eût été assez étonné de la métamorphose; mais il eut le bon esprit de ne pas revenir. Cependant sa veuve fut demandée en mariage par tous ceux qui avaient quelque raison de se mettre sur les rangs, et même par d'autres. Celui-ci convoitait sa fortune; cet autre, sa beauté; un troisième, l'appui naturel qu'il trouverait dans ses alliances, car elle est des Oxen-Stjerna, et tient à tout ce qu'il y a de grand dans ce pays. Christine n'accepta personne: elle n'aimait point. Mais les amants repoussés devinrent pour elle les plus dévoués des amis. Que ceci soit dit à leur louange et à la sienne.

      – Et vous chevalier?

      – Moi, mon cher comte, sans doute j'aurais fait comme les autres; mais j'étais en France quand Mme de Rudden revint à Stockholm, et, à mon retour, je la trouvai si fortement retranchée dans sa position de veuve inexpugnable, que je résolus de commencer comme les autres avaient fini.

      – Et de finir comme ils avaient commencé?

      – Point, mais de me résigner tout d'abord à l'amitié sans passer par l'amour.

      – C'est pourtant le chemin le plus court et le plus sûr, à ce qu'on prétend. La belle veuve ne vous aura pas su gré de votre discrétion rare… croyez-en ma vieille expérience.

      – Quel âge avez-vous, mon cher Georges?

      – Vingt-six ans, mon cher Axel.»

      Axel se mit à rire.

      «Mais les années de campagne comptent double! reprit le comte. Oui, continua-t-il, les femmes qui se défendent le mieux aiment cependant à être attaquées, ne fût-ce que pour se défendre! Elles veulent se refuser, mais elles ne veulent pas qu'on ne les demande point.

      – Ceci peut être vrai à Paris; mais c'est un manège de coquette, et nous ne comprenons guère toutes ces subtilités. Soyez certain que vous jugez mal Mme de Rudden. Elle est exempte d'artifice. Je vous l'ai déjà dit: c'est la simplicité même. Elle est trop bonne pour se complaire au spectacle du mal qu'elle aurait fait, et elle est trop étrangère à tout calcul de vanité pour traîner après elle un cortège de cœurs captifs. Je vous le répète: vous ne la connaissez point. Ce n'est pas une nature tout à fait comme une autre. Le jour où elle aimera, elle est femme à le dire la première et à mettre loyalement sa main dans la main de l'homme qu'elle aura choisi. Oh! celui-là sera un homme heureux, et je bois à sa santé!» continua le chevalier en choquant son verre contre celui du comte.

      Georges était devenu très-sérieux. Il trinqua sans boire.

      «Et ce major, ce baron de Vendel, reprit-il au bout d'un instant, qu'est-ce donc?

      – C'est le meilleur ami de la comtesse; il a pour elle, depuis tantôt dix ans, une amitié passionnée; ou plutôt il a de l'amour. – Allons! ne vous emportez pas: vous avez des yeux qui flambent! Cependant le choix d'un homme comme le major ne peut que vous flatter; il justifie vos préférences. Le baron ne cache pas ses sentiments; il s'en vanterait presque, et le monde les respecte, tant il les croit sincères. Christine est sa dame, comme disaient nos pères, et nos pères disaient bien. Il a pour elle le culte chevaleresque des preux du moyen âge; il irait se faire tuer, avec ses couleurs sur la poitrine, sa pensée au cœur et son nom sur les lèvres. Saluez, mon cher comte! on ne rencontre pas des amours comme celui-là tous les soirs! Christine le sait et s'en montre profondément reconnaissante. Mais il a cinquante ans et relâche tous les six mois un cran de son ceinturon. Ce n'est ni l'âge ni la taille qu'il faut pour aller chanter: Je suis Lindor! sous les fenêtres de Rosine. Du reste, le baron ne s'en fait point accroire, et il n'a aucun des ridicules d'un prétendant suranné. Il désire assez, n'espère pas beaucoup, et ne demande rien. «Aujourd'hui, lui dit-il parfois, vous êtes plus jeune que moi… mais, dans dix ans, nous serons à peu près du même âge.» Ce brave major calcule à sa manière. «Je n'ai pas le droit d'être impatient; je n'aurais pas d'excuse. J'attendrai tant que vous voudrez, – toujours! si vous ne voulez jamais. Enfin, me voilà! vous savez où je suis… j'y reste; vous n'avez qu'à me faire un signe, et même c'est inutile, je crois que je devinerai sans cela!

      – En attendant, soyons amis! répond Christine, car je ne fais cas de personne plus que de vous.»

      «Et ainsi vivent-ils dans ce clair de lune de l'amitié qu'aucun nuage n'a jamais obscurci. On assure que Christine lui a promis de ne pas se remarier ou de n'épouser que lui. Ce n'est pas le major qui l'a dit; mais on l'a répété devant lui, et il s'est contenté de répondre par un gros soupir. Voici, monsieur l'ambassadeur, à quel point nous en sommes, et il est fort possible que tout ceci vous donne à penser.

      – Je pense que la comtesse est une femme ravissante et que le major sera quelque jour le plus heureux des maris.

      – Et moi je crois que vous ne croyez que la moitié de ce que vous dites; mais c'est déjà beaucoup, et le temps nous apprendra la fin de l'histoire. Il est quatre heures; je n'entends plus de bruit nulle part: tous les soupeurs ont disparu; peut-être serez-vous bien aise de rêver tout seul: partons!»

      Norra, dormant debout, vint apporter la note avec un geste de somnambule: les deux jeunes gens quittèrent les derniers le bel établissement de Hans-Bamberg; Axel conduisit Georges jusqu'à sa porte, sur la grande place du Stortorget, la plus belle de Stockholm, et, après lui avoir souhaité des songes d'or, il reprit le chemin des quais en fredonnant un air d'opéra.

      III

      Le vin de Champagne, après un bal, n'a pas les vertus narcotiques de l'opium ou du hatchisch. Georges dormit peu, et, s'il fit des rêves, ce furent des rêves à demi éveillés. Ses yeux mal fermés revoyaient toujours la belle image de Christine, passant et repassant devant lui; il entendait encore les préludes de la valse de Weber; il pressait contre sa poitrine une taille fine, souple, frémissante; il respirait ce doux parfum de mimosa qui s'exhalait, quelques heures auparavant, de l'éventail et du mouchoir de la comtesse: son front brûlait. Puis, tout à coup, il éprouvait comme une sensation de froid: il se retrouvait sur le Mélar, la neige étendait devant lui sa nappe blanche sans fin. Les poneys noirs passaient comme le vent, emportant Christine, qui lui tendait les bras. Il s'élançait vers elle, et, au moment où il allait l'atteindre, les épaulettes du major lui barraient le chemin.

      Le réveil prolongea ces agitations de la nuit: le valet de chambre allait et venait dans l'appartement, faisant le feu, apportant le sucre, préparant le thé, attendant des ordres qu'il ne recevait pas. Le soleil était paresseux comme Georges; il oubliait de se lever: à midi, il ne faisait jour nulle part; Stockholm demeura enseveli dans un brouillard sombre. M. de Simiane passa le reste de sa journée à ranger ses papiers et à s'installer un peu: il ne sortit pas.

      Le lendemain, la matinée était souriante, le ciel bleu: Georges fit atteler deux beaux chevaux dalécarliens que le chevalier de Valborg lui avait cédés, et il fit une promenade sur la route de Haga; Haga est comme le Saint-Cloud de la Suède, et l'on y va par des routes charmantes, que fréquentent assez les gens du bel air. Comme il rentrait

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