L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand

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L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand

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l’auteur attire l’attention sur la situation précaire de l’Académie des sciences.

      «L’Académie, dit-il, dans l’état où elle est aujourd’huy, fait beaucoup d’honneur au royaume. Les étrangers en ont une grande idée, aussy a-t-elle découvert nombre de choses curieuses et utiles. Mais nous osons avouer qu’il s’en faut bien que le royaume n’ayt retiré de cette compagnie tous les avantages qu’il aurait pu en tirer. Nous osons dire plus, c’est que cette Académie, en si grande réputation parmy les étrangers, semble près de sa chute, si elle n’est soutenue par quelque grand changement fait en sa faveur, pareil à ceux qui ont été faits pour d’autres parties de l’État. On a cherché à ranimer sa langueur par de nouveaux règlements dont elle avoit besoin, mais la vraye source du mal n’étoit pas seullement dans le deffaut des règlements. Il ne la faut chercher, la vraye source du mal, que dans la propre constitution de l’Académie; une grande moitié de ceux qui la composent ne peuvent prendre les occupations académiques que comme des amusements; ils ont des professions qui les obligent de donner leurs soins à toutte autre chose que ce qui fait l’objet de l’Académie. Les uns sont obligés d’être médecins, les autres chirurgiens, les autres apoticaires. Quels ouvrages peut-on attendre de sçavants contraints à passer sur le pavé de Paris des jours qu’ils devraient employer dans leurs cabinets? Un homme qui arrive chez soy las et distrait est-il en état de travailler à ce qui le demande tout entier? Employera-t-il les nuits à des expériences? Malgré pourtant cette diversion, plusieurs académiciens de ces classes ont donné des choses excellentes, mais qui doivent nous faire regretter celles que nous eussions eues, s’il leur eust été permis de se livrer aux recherches où leur inclination les portoit. De l’autre moitié des académiciens, une partie est obligée à enseigner les mathématiques pour subsister. Enfin, il en reste très-peu qui soient en état de faire des expériences et de vivre avec cette aysance qui met l’esprit en repos et en état de se livrer à des recherches utilles. Entre quarante-huit académiciens destinés au travail, l’Académie ne sauroit compter qu’un petit nombre de travailleurs. Le seul remède à apporter seroit d’obliger tous les académiciens, ou au moins le plus grand nombre, à n’être qu’académiciens, de les mettre en état de n’avoir d’autres occupations que celles qui ont un rapport direct aux objets de l’Académie. Une autre cause de la décadence de l’Académie, qui tient à celle dont nous venons de parler, c’est qu’il ne se forme plus de sujets; on en fait l’expérience toutes les fois qu’on a des places vaccantes à remplir. Il faut être né avec des talents rares pour réussir dans les sciences, et, parmy ceux qui naissent avec ces talents, combien y en a-t-il qui en puissent profiter? Un jeune homme qui veut suivre ses heureuses dispositions se trouve arresté par les clameurs de toutte sa famille et de tous ses amis; on ne veut point consentir qu’il s’abandonne à des recherches qui peut-estre luy donneroient quelque gloire en le conduisant à mourir de faim. L’Académie fournit des exemples de cette nature: un de ses membres, habile anatomiste, mourut il y a quelques années à l’Hostel-Dieu. Si l’Académie a pu, pendant quelque temps, se fournir de sujets, elle le devoit à la protection que l’illustre M. Colbert avoit donnée aux sciences; quand elle est venue à manquer, on ne s’est plus tourné de leur costé; la pépinière s’est épuisée et il ne s’en forme point de nouvelle. A la vérité, M. l’abbé Bignon a fait, pour l’Académie et pour les sciences en général, tout ce qu’on peut attendre du zelle le plus ecclairé, mais les trésors n’étoient pas entre ses mains. Il y a peu d’apparence aussy que le royaume puisse se repeupler de vrays sçavants, tant que la condition, de touttes la plus laborieuse, ne mènera à rien. Y a-t-il de la justice que celui qui s’applique à des recherches importantes au bien de l’État, ne puisse espérer de parvenir à quelque fortune? L’homme de guerre, le magistrat, le marchand, peuvent se promettre des récompenses de leurs travaux; le sçavant seul n’a rien à en espérer; peut-estre que le cas que les Chinois font des lettrés n’est pas à la gloire de la France.»

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      L’auteur, qui bien vraisemblablement est Réaumur, cherche ensuite les moyens de relever l’Académie suivant lui prête à périr; il propose d’appliquer le savoir et l’esprit inventif des académiciens au perfectionnement des arts et métiers et de l’agriculture, et, descendant même au détail des questions que l’on pourrait proposer à chacun: «Qu’on se fasse, par exemple, dit-il, une loy de donner toujours à des académiciens la direction des monnoyes, comme le célèbre M. Newton l’a en Angleterre, et qu’on leur donne les inspections des différentes manufactures, les inspections généralles des chemins, ponts et chaussées. Croiroit-on trop faire, si on accordoit des entrées dans le conseil du commerce ou dans ceux des compagnies qui l’ont pour objet, aux sçavants qui ont fait des études particulières des matières que les arts et la médecine nous engagent à tirer des pays étrangers; à ceux qui se sont appliqués à s’instruire à fond des manufactures du royaume, de ses productions qui se sont négligées et qu’on pourroit mettre à proffit? Un gouvernement qui a les eaux pour objet, tel qu’est celuy de la Samaritaine, ne devroit-il pas entrer dans le partage des académiciens? Ce seroit une récompense pour un de ceux qui se seroit le plus appliqué aux hydrauliques; un pareil gouvernement l’engageroit à faire une étude particulière de tout ce qui a rapport à la conduitte des eaux; ce même gouvernement seroit un appas qui excitteroit un grand nombre d’autres sujets à travailler sur la même matière; au moins semble-t-il qu’il seroit mieux dans les mains d’un sçavant que dans celles d’un vallet de chambre d’un grand seigneur; à la Pépinière, il y a une place de quelque revenu qui conviendroit à un botaniste. On pourroit même donner à l’Académie une espèce d’inspection sur tous les arts mécaniques qui, sans leur être à charge, contribueroit extrêmement à leur progrez; un expédient assez simple rendroit nos ouvriers incomparablement plus habiles qu’ils ne sont, leur donneroit de l’émulation pour la perfection de leurs arts et augmenteroit par conséquent le débit de tous nos ouvrages d’industrie, car on se fournit des ouvrages de chacque espèce dans les pays où les ouvriers sont en réputation de mieux travailler; de là est venu le grand débit des montres d’Angleterre. L’expédient seroit que l’Académie proposast chaque année des prix pour ceux des ouvriers de chaque profession qui auroient inventé ou mieux fini quelque ouvrage; que ces prix fussent distribués aux arts mesmes qui semblent les plus grossiers, comme coutelliers, taillandiers, serruriers; on proposeroit par exemple aux taillandiers de chercher la manière la plus simple de faire une excellente faulx et à bon marché. Le succez de ce prix nous empêcheroit peut-estre d’avoir besoin à l’avenir des faulx d’Allemagne. Le royaume se trouveroit bien indemnisé de ce qu’il luy en coûteroit pour le prix.

      «Mais, à vray dire, ajoute-t-il, on ne sçauroit attendre l’exécution de si grands projets d’une compagnie qui n’a que 30,000 livres à distribuer entre plus de vingt particuliers, et qui en a une trentaine d’autres à soutenir seullement par l’espérance d’entrer un jour en partage de cette petite somme. Les pensions n’étoient guères plus fortes du temps de M. Colbert; communément, elles étoient de 1,500 livres; mais 1,500 livres alors valloient plus que quatre ou cinq mille aujourd’huy. Celle de feu M. Cassini était de 9,000 livres, et a seulle produit bien des sçavants; des gratifications vinrent souvent au secours de la modicité des pensions; si ce grand ministre eust été plus longtemps conservé à la France, il eust apparemment mis sur un autre pied l’Académie dont il étoit le père; depuis qu’elle l’a perdu, elle a eu le temps d’apprendre combien on doit peu compter sur de petittes pensions, dont les payements peuvent estre suspendus par une infinité d’événements.

      «Pour faire fleurir l’Académie, il faudroit donc luy donner des fondements inébranslables, luy assigner des fonds à l’épreuve de toutte révolution, comme sont les fonds en terre possédés par l’université d’Oxfort et de Cambridge; que ces fonds fussent suffisans pour faire vivre les académiciens d’une manière commode, leurs montrer des places distinguées où ils pussent se promettre d’arriver.

      «Quelques considérables que fussent les fonds assignés, l’Académie ne seroit peut-estre pas un

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