L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand
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Dans la séance même où Mairan donna lecture de cette lettre, Leroy fut nommé adjoint de la section de géométrie. Fidèle à sa promesse, il renonça à l’horlogerie mais ne s’occupa guère de mathématiques, et l’Académie n’eut en lui ni un horloger qui lui aurait été souvent utile ni un géomètre.
Désireuse d’assurer l’équité des élections, l’Académie s’y appliqua plus d’une fois. Mécontente de ses propres faiblesses, on la voit à plusieurs reprises pour en rechercher les causes et pour les réprimer, retracer en vain dans des rapports soigneusement travaillés les maximes et les principes d’impartialité et d’exacte droiture qui n’apprenaient rien à personne, et s’élever contre des abus qui renaissaient aussitôt. Le 1er avril 1778, Darcy, Montigny et d’Alembert font le rapport suivant:
«Nous avons observé deux sortes d’abus dans les élections: l’intrigue et l’autorité. Toutes deux peuvent remplir l’Académie de sujets médiocres, si elle n’y met ordre. Le plus sûr moyen de bannir l’intrigue est de ne pas laisser le temps d’intriguer et de diminuer le nombre des intrigants, c’est-à-dire ceux qui doivent être proposés. Le seul moyen de prévenir les abus d’autorité est de ne présenter jamais au Ministre que les sujets dont les talents soient bien connus et qui puissent faire honneur à l’Académie. Il est très-rare que quatre sujets aient en même temps le même droit aux places vacantes dans l’Académie. En conséquence de ces principes, nous proposons le règlement qui suit pour le choix des associés libres et pour le choix des associés étrangers qui peuvent appartenir indistinctement aux différentes classes: Le jour même qui aura été indiqué pour l’élection, l’Académie fera tirer au sort les noms de six académiciens pensionnaires ou associés, un de chaque classe: trois mathématiciens et trois physiciens, lesquels s’assembleront aussitôt pour proposer à l’Académie quatre sujets bien connus pour la supériorité de leurs talents s’ils sont régnicoles et par une grande célébrité s’ils sont étrangers. De ces quatre sujets, l’Académie en élira deux au scrutin pour les présenter au roi en la manière accoutumée. Rarement on présenterait à l’Académie un plus grand nombre de concurrents sans mettre des sujets médiocres à côté des bons. Au moyen de ce règlement, s’il est régnicole, personne n’aura le temps de faire écrire les ministres, les gens puissants, de faire agir ses amis, les amis de ses amis, les femmes mêmes auprès des académiciens qui se croient souvent obligés de donner leur voix contre leur avis pour ne pas manquer soit à leurs protecteurs, soit à leurs amis.»
Entre la plupart des candidats, le temps, il faut le dire, efface pour nous toute différence, et des hommes considérables alors et de grande réputation tombés depuis longtemps dans la foule et dans l’obscurité sont devenus les égaux les plus humbles devant l’oubli commun de la postérité.
Presque toujours d’ailleurs, on voit l’Académie favorable et sympathique aux véritablement grands hommes, applaudir à leurs premiers essais, leur ouvrir ses rangs au plus vite et les élever sans trop tarder au plus haut degré de sa hiérarchie. De regrettables exceptions existent cependant et pour n’en citer qu’une seule, je rapporterai simplement et sans commentaires l’histoire des candidatures académiques de Laplace.
Laplace, qui brilla plus tard dans la première classe de l’Institut comme le représentant le plus illustre et le plus respecté de l’ancienne Académie des sciences, n’avait pas rencontré d’abord autant d’empressement et de bienveillante justice que ses prédécesseurs d’Alembert et Clairaut, et les louanges sont mesurées à ses premiers et excellents travaux avec une circonspection presque défiante.
Laplace, âgé de vingt ans, inspiré par la lecture de Lagrange et d’Euler, avait voulu dans une première communication à l’Académie expliquer, confirmer et perfectionner, pour les fondre dans un ensemble nouveau, plusieurs beaux mémoires de ceux qu’il devait bientôt égaler. Les rapporteurs de l’Académie signalent le mérite d’un tel travail sans en dissimuler les défauts. «Il nous paraît, disent-ils, que le mémoire de M. Laplace annonce plus de connaissances mathématiques et plus d’intelligence dans l’usage du calcul qu’on n’en rencontre ordinairement à cet âge dans ceux qui n’ont pas un vrai talent. Nous jugeons que les remarques nouvelles dont nous avons parlé méritent l’approbation de l’Académie et qu’ainsi le mémoire doit être imprimé dans le recueil des savants étrangers, en priant seulement M. Laplace d’abréger ce qui n’est pas à lui et de se servir des notations plus communes et plus commodes de M. Euler et de M. Lagrange.»
Dans un rapport sur un second mémoire, Condorcet et Bossut, sans produire aucune objection ni lui imputer aucune erreur précise, affaiblissent leurs louanges par un doute formel sur l’exactitude de sa méthode. «Ce mémoire, disent-ils, prouve que M. de Laplace réunit des talents à beaucoup de connaissances, qu’il a approfondi les matières les plus épineuses de l’astronomie physique, et l’on doit l’exhorter à continuer le travail qu’il a annoncé et où il donnera les résultats de celui-ci. Nous craignons cependant que sa méthode ne soit pas suffisante pour résoudre complétement et sûrement par la théorie de la gravitation le problème de la variation de l’obliquité de l’écliptique et pour décider irrévocablement cette grande question. Mais malgré ce qui peut rester d’incertitude, son mémoire nous paraît mériter l’approbation de l’Académie.»
Et à l’occasion des mémoires suivants où se révèle clairement déjà la grandeur et l’excellence de la fin qu’il se propose: «L’impression du mémoire de M. de Laplace sera très-agréable aux géomètres, mais le temps et la réunion de leurs suffrages pourront seuls apprendre à quel point de précision M. de Laplace a porté la solution de ces problèmes.»
Ces trois rapports sont signés de Condorcet et de Bossut. D’Alembert, à son tour, à l’occasion d’un beau et grand travail, mêle froidement à de justes louanges des témoignages de doute et de défiance. Commençant par applaudir aux efforts du jeune géomètre, il le loue d’avoir montré une constance peu commune dans le travail et un grand savoir dans l’analyse infinitésimale et dans l’astronomie physique, mais il ajoute un peu sèchement: «Quant aux points sur lesquels il n’est pas d’accord avec les géomètres qui l’ont précédé, nous ne pouvons pas prononcer s’il a raison ou tort; il faudrait, pour juger le procès, vérifier une longue suite de calculs, discuter les méthodes d’approximation qu’on a employées jusqu’ici dans cette théorie, peser le degré de préférence qu’elles peuvent mériter les unes sur les autres, ce qui demanderait un travail que nous ne croyons pas que l’Académie veuille exiger de nous. Le moyen le plus simple que M. de Laplace puisse employer pour justifier l’exactitude de sa méthode est de nous donner, d’après elle, de bonnes tables astronomiques. Il le promet et l’Académie le verra avec intérêt.»
Lors même que, sans descendre des hauteurs de la science, Laplace, comme pour se délasser des calculs approximatifs, mêle à ses fermes ébauches de mécanique céleste la solution rigoureuse et parfaite de problèmes d’analyse pure, ou se joue avec l’aisance la plus subtile dans les ingénieuses théories du calcul des chances, l’Académie, par ses louanges embarrassées et ambiguës, persiste à le traiter comme un apprenti qui n’a pas encore donné le coup de maître. «Nous nous bornons à observer et conclure, disent les commissaires de l’Académie en rendant compte de l’une de ses découvertes, que ce mémoire est savant, que l’auteur résout par une méthode uniforme plusieurs équations difficiles et que ces recherches ne peuvent que tendre à perfectionner la théorie des suites et cette branche de l’analyse.»
Malgré toutes ces réserves et ces atténuations, ce n’est pas sans étonnement qu’on lit au procès-verbal