L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand

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L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand

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avec le vitriol. La troisième a fait couleur de minium en mettant une portion de vitriol sur sept de cette liqueur. La quatrième, d’odeur de cumin austère et amère, a rendu laiteuse la solution du sublimé. Une partie de vitriol sur deux a fait couleur de minium. La cinquième partie fort acide et mêlée de sulfuré, a précipité le sublimé. Une partie de cette liqueur avec deux de vitriol a fait couleur de minium fort foncée. La sixième de 3 onces a fait effervescence avec l’esprit de sel, et il reste 8 onces 2 gros figés. La tête morte avait plus de volume que le café.»

      Une telle analyse échappe à la classification de Louvois; elle n’est ni curieuse ni utile. «Bourdelin, dit Fontenelle, aimait tant le café que sur la fin de sa vie quand les médecins le lui interdirent, il se flatta longtemps d’être désespéré pour pouvoir sans scrupule en prendre tant qu’il voudrait.» Son analyse, s’il en est ainsi, ne peut suggérer qu’une réflexion: puisque le café était excellent, il aurait mieux fait de le boire.

      L’Académie reprit plus d’une fois sans succès l’étude du café. Dans un mémoire lu en 1715, on y signale des principes salins et sulfureux, en terminant par quelques indications plus pratiques. «L’expérience, dit l’auteur qui n’est autre que le premier académicien de la célèbre famille de Jussieu, a introduit quelques précautions que je ne saurais blâmer touchant la manière de prendre cette infusion. Telles sont celles de boire un verre d’eau auparavant de prendre le café, de corriger par le sucre l’amertume qui pourrait le rendre désagréable, et de le mêler de lait ou de crème pour en étendre le soufre, embarrasser les principes salins et le rendre nourrissant.» M. Purgon n’aurait pas mieux dit.

      Perraut affecta plus de déférence encore aux vues de Louvois en apportant à l’Académie une invention fort bizarre pour doubler la vitesse d’un boulet de canon. Le projectile ordinaire, dans le projet de Perraut, serait remplacé par un second canon qui doit lancer le boulet pendant son trajet dans l’intérieur de la grande pièce, en lui imprimant outre sa vitesse propre celle que lui communique l’action de la poudre. Pour ne rien perdre enfin, on doit disposer à petite distance un anneau assez fort pour retenir le petit canon au passage, sans être endommagé par le choc. Malgré la juste considération qui entourait Perraut dans l’Académie, on n’ordonna pas la réalisation d’un projet dont la naïve hardiesse, en faisant sourire plus d’un homme de guerre, dut montrer à Louvois que les académiciens ne sont pas des artilleurs et que le mieux est de laisser chacun à ses travaux naturels.

      Le départ d’Huyghens après la révocation de l’édit de Nantes, la mort de Picard et la retraite de Rœmer en Danemark furent pour l’Académie des pertes irréparables. Elle se trouva privée tout à coup de ses lumières les plus précieuses. Quoique pour la chimie la stérile abondance de Duclos eût été heureusement remplacée par l’activité plus fructueuse de Homberg, le zèle des autres membres s’affaiblissait; le travail en commun devenu une gêne pour tous était abandonné peu à peu, et l’on avait peine bien souvent à occuper les deux heures de la séance. Les procès-verbaux qui naguère remplissaient chaque année deux volumes, l’un pour les samedis, l’autre pour les mercredis, se réduisirent au point que les comptes rendus des années 1688 à 1691, toujours écrits par Duhamel avec la même exactitude, n’occupent plus ensemble qu’un seul volume qui les réunit sans distinction. L’activité renaît ensuite, il est vrai, mais elle se déplace; chacun veut user de son initiative et déserte les routes tracées à l’avance.

      La lutte entre les deux systèmes, commencée dès les premières années de l’Académie, s’était renouvelée à plusieurs reprises et se déclarait de plus en plus. L’Académie, dans l’intention des fondateurs, devait absorber complétement en elle l’individualité de ses membres, produire l’unité des esprits dans la science et dans la doctrine et paraître seule au dehors, non-seulement pour prendre part aux découvertes de chacun et s’en glorifier, mais en se les appropriant sans citer aucun nom.

      Avant de publier pour la première fois ses travaux, la Compagnie se demanda si elle devait nommer dans la préface les particuliers qui avaient fait quelques découvertes; on fut d’avis de ne les point nommer, et il fut décidé qu’on se contenterait de dire que les découvertes ont été faites dans l’Académie. Cette étrange égalité, décrétée mais non obtenue, n’était pas sans précédent, et les expériences des académiciens del Cimento à Florence sont restées leur propriété commune. L’Académie de Paris, en s’appropriant ainsi les travaux de ses membres, déniait à chacun d’eux le droit de les inscrire dans ses propres ouvrages.

      On lit au procès-verbal du 18 août 1688: «La Compagnie, pour éviter que dorénavant les personnes qui la composent n’insèrent dans leurs ouvrages particuliers les observations et les nouvelles découvertes qui sont faites dans les assemblées, a statué d’un commun consentement qu’à l’avenir chacun de ceux qui voudront faire imprimer de leurs ouvrages sera obligé d’en donner avis à la Compagnie et d’y apporter son manuscrit pour y être examiné, ou par l’Académie en corps, ou par les commissions qu’elle nomme pour cet effet. A l’égard des ouvrages qui ont été imprimés par ceux qui la composent, la Compagnie a résolu de revendiquer ce qui lui appartient toutefois et quand l’occasion s’en présentera. La compagnie a prié M. de La Chapelle de savoir la volonté de Mgr de Louvois, protecteur de l’Académie, avant que d’insérer le présent règlement dans les registres.»

      Ce passage est très-remarquable. On y voit clairement l’état intérieur de l’Académie et les causes d’un affaiblissement qui frappait tous les yeux. Les mathématiciens empiétaient peu à peu sur tout le reste. Cassini, l’Hôpital, Varignon, La Hire et Homberg, sans s’astreindre plus longtemps à chercher la vérité en commun, produisent isolément et sans grand éclat, d’instructifs et nombreux travaux; mais ils ont peine à remplir les séances. Les sciences d’observation n’y occupent plus qu’une très-petite place; tout semble aller à l’abandon. Le laboratoire est délaissé, l’Académie n’a plus de règle, et l’assiduité de ses membres diminue sensiblement. Un grand changement était nécessaire; l’abbé Bignon, neveu du troisième protecteur Pontchartrain, eut le mérite de le comprendre. Après s’être fait donner par son oncle la direction de l’Académie, il obtint de la renouveler par un règlement qui, en accroissant le nombre de ses membres et lui donnant le droit de se recruter elle-même, la rendit à la fois plus forte et plus libre, plus florissante et plus féconde.

      L’ORGANISATION DE 1699

      L’Académie des sciences, en 1699, reçut un grand accroissement; l’organisation nouvelle élevait de seize à cinquante le nombre de ses membres et les partageait en trois classes: celles des honoraires, des pensionnaires et des associés; la première composée de dix membres et les deux autres chacune de vingt. A chaque pensionnaire enfin était attaché un élève qui, formé par lui et instruit près de l’Académie à laquelle il appartenait par avance, devait en s’y dévouant tout entier mériter successivement le titre d’associé et les avantages des pensionnaires. Les membres honoraires étaient en quelque sorte les médiateurs de l’Académie auprès du roi et de ses ministres; ils devaient aider leurs confrères de leur crédit, les honorer par leur présence et les encourager par leur attention. Les plus grands seigneurs recherchèrent ce rôle et tinrent souvent à honneur d’ajouter à leurs titres celui d’académicien. Le règlement affirmait leur intelligence et leur savoir dans les mathématiques et dans la physique, mais une grande bienveillance pour les savants et le désir exprimé d’entrer en commerce familier avec eux étaient souvent la plus grande preuve qu’on leur en demandât et la seule marque qu’ils en pussent fournir. La prééminence leur appartenait de droit dans l’Académie, et le roi chaque année choisissait pour président et pour vice-président deux des membres honoraires.

      Les anciens académiciens furent presque tous admis dans la classe des pensionnaires. On les partagea en six sections de trois membres chacune: celles de géométrie, d’astronomie, de mécanique, de chimie, d’anatomie et de

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