Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules
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Le long règne de Philippe IV41, si funeste à la grandeur de la monarchie de Charles-Quint, peut être considéré comme l'âge d'or de la peinture, des lettres et de la poésie en Espagne. Pour ne citer que les plus illustres parmi les poëtes et les artistes, il vit naître ou fleurir à la fois, au nombre des premiers, Lope de Vega, Calderon Gongora, Quevedro; et parmi les artistes, Ribera, Velasquez, Alonso Cano et Murillo. Cet éclat extraordinaire des lettres et des arts, qui aurait pu consoler l'Espagne de ses revers, ne fut pas dû seulement à un concours de circonstances favorables; comme Léon X à Rome, et les Médicis à Florence, le roi Philippe IV et son premier ministre, le comte-duc d'Olivarès, peuvent revendiquer, en partie, la gloire d'avoir élevé l'art et la littérature espagnole à son plus haut degré de splendeur. Le ministre contribua plus encore que son maître à cet avancement; non que le roi ne fût porté vers le beau par d'heureuses dispositions: mais, d'un caractère naturellement apathique et porté à l'ennui et à la tristesse, cette maladie héréditaire des descendants de Jeanne la Folle, il avait besoin, pour sortir de son impassibilité, d'être excité par le favori auquel il abandonnait complètement les rênes de l'État. Le pouvoir d'Olivarès était si absolu, qu'il est réellement vrai de dire que, pendant plus de vingt-deux années, Philippe IV se contenta de régner, tandis que ce fut le comte-duc qui gouverna sans contrôle la vaste monarchie espagnole.
Nous n'avons point à considérer ici le comte-duc d'Olivarès du côté de la politique; fidèle au plan que nous nous sommes imposé, nous nous attacherons exclusivement à retracer les services qu'il rendit aux arts, la protection qu'il accorda aux artistes, et particulièrement celle dont il couvrit le plus grand peintre espagnol, don Diego Velasquez.
La vie du favori de Philippe IV a été racontée de diverses manières par plusieurs de ses contemporains, selon que l'intérêt personnel ou la haine de l'écrivain le portait à dire du bien ou du mal du ministre et de son gouvernement. Voiture42, envoyé de Gaston d'Orléans à Madrid, où il fut accueilli avec le plus grand empressement par le comte-duc, ennemi naturel du cardinal de Richelieu, a tracé d'Olivarès un portrait que Plutarque ne désavouerait pas pour un de ses hommes illustres de l'antiquité. Mais l'habitué de l'hôtel de Rambouillet exagère, de parti pris, les qualités du ministre, et amoindrit ses défauts. Représentant à la cour d'Espagne l'adversaire du grand cardinal, et venant demander à Olivarès l'appui des subsides et des armes espagnoles pour un prince, chef de mécontents incapables de lutter contre Richelieu, il dut flatter le favori de Philippe IV, tandis que la politique de celui-ci consistait à encourager les troubles en France, et à caresser ceux qui en étaient les fauteurs ou les soutiens. Voiture, de tout temps fort sensible à la louange, en sa qualité de poëte, paraît donc, dans cette circonstance, avoir été la dupe des avances et des cajoleries du ministre de Philippe IV. Néanmoins, sous la réserve de la vérité, qui ne se trouve point dans le portrait d'Olivarès, ce morceau est, peut-être, ce que le précurseur des grands écrivains du siècle de Louis XIV a laissé en prose de plus remarquable. Si la flatterie tient une trop grande place dans cet éloge, elle ne doit pas néanmoins rendre injuste envers la mémoire d'Olivarès. Nous n'admettrons donc pas complètement avec Voiture que: «Pour ce qui est de son esprit, il ne peut être mis en doute de personne; pour en faire imaginer la grandeur, il suffit de dire qu'il s'étend aux deux bouts du monde; qu'il gouverne en Orient et en Occident, et conduit seul en même temps les plus importantes affaires de l'Europe. Pour ce que j'en ai pu connaître, il est merveilleusement prompt, actif, pénétrant, subtil, charmant et agréable, plein de feu et de lumières.» Mais nous conviendrons avec lui: «Qu'il entra dans les affaires en un temps où il semblait que le génie de l'Espagne commençait à se lasser, et que cette monarchie, qui avait été mise au dernier point de sa grandeur par Charles-Quint, et subsisté à peine sous Philippe second, semblait vouloir décliner sous les autres rois.»
Un autre écrivain, le comte de la Rocca, a publié43 sous ce titre: «Le ministre parfait, ou le comte-duc, dans les sept premières années de sa faveur,» une histoire d'Olivarès, qui est un véritable panégyrique. Il le propose aux rois et aux ministres comme un modèle accompli, à imiter en toutes choses, et l'exagération de la louange doit faire douter de l'exactitude de bon nombre de faits, que l'auteur a probablement présentés à sa manière.
Le comte Virgilio Malvezzi, de Bologne, ne se montre pas moins flatteur. Parvenu, par la protection d'Olivarès, à faire partie du conseil suprême de guerre du roi catholique, on ne doit pas trop s'étonner de lui voir entonner les louanges de ce prince et de son ministre. Mais, ce qui est fort curieux, c'est l'emphase avec laquelle cet écrivain raconte les choses les plus simples, et les réflexions, plus que naïves, mais visant à l'effet, dont il accompagne les faits les plus ordinaires44.
Si la vérité historique ne se trouve guère dans ces trois ouvrages, elle ne paraît pas mieux respectée dans le roman de Gil Blas, où Le Sage nous représente, au physique, le comte-duc sous un aspect repoussant45; tandis qu'il en fait, au moral, un portrait tout opposé à celui de Voiture46. Mais Le Sage n'avait pas la prétention de mettre l'histoire dans son admirable roman de mœurs qui peint si bien le cœur humain. Il faut donc prendre pour un tableau de fantaisie et d'humour, ce qu'il dit des relations du ministre avec Santillane.
Ce qui a tout l'intérêt d'un roman, c'est le récit passionné de la chute du comte-duc par le père Camillo-Guidi, religieux dominicain, résident à la cour d'Espagne pour le duc de Modène. Ce bon père, nous ne savons pour quel motif, se montre l'ennemi acharné du favori de Philippe IV, soit qu'en cela il ait obéi aux instructions ou aux tendances de son prince, soit qu'il n'ait fait que suivre ses propres rancunes:
…Tantæ ne animis cœlestibus iræ!
Toujours est-il qu'il n'a pour le ministre tombé que haine et mépris. Ce moine dit quelque part47: «Uno che sia ingiustamente perseguitato, e che si possa giustamente vendicare, ha tutta l'energia nelle parole e una certa divinita nelle ragioni,» – «Celui qui est injustement persécuté, et qui peut justement se venger, a toute l'énergie dans les paroles – et une certaine ardeur divine dans ses raisons.» – Il fallait que le favori de Philippe IV eût bien vivement offensé le prêtre, pour qu'il savourât ainsi le plaisir de la vengeance. Quoi qu'il en soit, son libelle, rapproché des louanges excessives du comte de la Rocca et du marquis Malvezzi, nous servira, comme un acide, dans une expérience chimique, à analyser et à rechercher la vérité.
Don Gaspar de Gusman, troisième comte d'Olivarès, était le second fils de don Henri de Gusman, ambassadeur à Rome pour Philippe III, et de dame Maria Pimentelli, femme, dit-on, d'un grand mérite. Il naquit à Rome en 1587, et pendant l'espace de douze années il suivit son père, toujours chargé de négociations importantes, et qui devint successivement vice-roi de Sicile, puis de Naples. Rentré en Espagne avec son père, il fut, en sa qualité de puîné, destiné à l'Église, et commença ses études par le droit canonique, alors la base de toute éducation solide. Sa naissance et le crédit de son père lui firent bientôt obtenir le grade de recteur de l'université de Salamanque, la plus célèbre alors de l'Espagne. Il aurait sans doute poursuivi paisiblement la carrière ecclésiastique, et serait probablement parvenu aux plus hautes dignités de l'église, si la mort de son frère aîné n'était pas venue changer sa destinée. Le marquis Malvezzi remarque avec justesse48, qu'il vaut mieux vivre pendant quelque temps au second rang, et arriver ensuite au premier, que de naître dans cette condition. L'histoire d'Olivarès prouve la vérité de cette réflexion.
41
Du 31 mars 1621 au 17 septembre 1665.
42
43
À Cologne, chez Pierre Van Egmondt, à la Sphère, 1673; petit in-16. – Bibliothèque impériale, nº 1963.
44
Par exemple, après avoir dit du comte-duc: «
45
Gil Blas, t. III, liv. XI, chap. II, p. 238-9; édit. in-8º des
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