Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules

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Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers - Dumesnil Antoine Jules

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le voit par l'épître en vers ou hymne qu'il adressa à don Diego de Espinosa, pour le complimenter sur le chapeau de cardinal que le pape Pie V lui avait envoyé, en mars 1568. Dans cette pièce, il traite le cardinal en ami, et lui insinue ce qu'il a souffert d'être exilé de la cour.

      Don Diego était consulté par ses compatriotes les plus instruits sur les sciences et, en particulier, sur les antiquités de l'Espagne, dont il avait fait une étude approfondie. Il n'avait jamais cessé d'entretenir la connaissance qu'il avait acquise dans sa jeunesse des langues hébraïque, arabe et grecque. Il se mit donc à faire des recherches sur les antiquités arabes; il fut déterminé à entreprendre ce travail par le grand nombre de monuments de ce peuple qu'il voyait à Grenade. Malheureusement, ces recherches n'ont pas été publiées; c'est fort regrettable, car elles jetteraient une vive lumière sur l'origine et la destination des monuments de cette nation, qui sont aujourd'hui entièrement détruits, et dont on a perdu l'histoire. Il avait réuni plus de quatre cents manuscrits arabes, ainsi que l'assure Jérôme de Zurita, auquel il en communiqua quelques-uns pour être insérés ou cités dans ses Annales de l'Aragon.

      Notre personnage touchait alors à sa soixante-dixième année, et les infirmités lui étaient venues avec la vieillesse. Ses idées tournèrent à l'extrême dévotion; il se mit en correspondance avec sainte Thérèse et avec son directeur, le frère Jérôme Gracian, qui l'avait assistée dans l'établissement de la réforme de son ordre (des Carmélites). Don Diego lui écrivit de fixer un jour pour le recommander à Dieu d'une manière toute spéciale. La sainte répondit que, le jour indiqué, elle et ses sœurs communieraient à son intention et qu'elles rempliraient cette journée le mieux qu'elles pourraient33.

      Cette ferveur dévote n'empêchait pas le comte de faire des démarches pour obtenir de rentrer à la cour. Philippe II lui permit enfin, au commencement de 1575, de se rendre à Madrid, soit pour se justifier, soit pour terminer quelques affaires. En témoignage de sa reconnaissance, don Diego envoya au roi ses livres en cadeau, et se mit en route pour Madrid. Mais à peine arrivé, il fut pris d'un mal de jambe et mourut en avril 157534.

      En 1610, un chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, chapelain et musicien de chambre du roi d'Espagne, le frère Jean Diaz Hidalgo, publia, en un volume petit in-4º imprimé à Madrid, quelques-unes des poésies de don Diego, choisies parmi ses autres ouvrages, sous ce titre: Obras del insigne cavallero don Diego de Mendoza, embaxador del emperador Carlos Quinto en Roma35. Il a dédié ce volume à don Inigo Lopez de Mendoza, quatrième marquis de Mondejar. L'éditeur n'a pas voulu publier les autres œuvres de don Diego, tant, dit son historien36, à cause de la singularité des matières qui s'y trouvent traitées, que parce qu'elles ne sont pas faites pour être mises entre les mains de tout le monde. D'un autre côté, le frère Jean Diaz nous apprend, dans son avertissement à ses lecteurs, que les autres poésies de don Diego consistaient en satires et pièces burlesques qu'il avait composées pour son plaisir et celui de ses amis, et qu'on ne doit pas les livrer à l'impression par respect pour la mémoire de leur auteur. – Nous ignorons dans quel dépôt public ou privé peuvent se trouver aujourd'hui les manuscrits de tous ces ouvrages.

      Quant au volume publié à Madrid, en 1610, il contient un grand nombre de pièces dans tous les rhythmes: il y a des églogues, des villanzicos, espèces de pastorales, des canziones, des épîtres, des stances, des sonnets, des quintas, ou suite de cinq vers, des redondillas, morceaux qui répètent les mêmes rimes, comme le refrain de nos chansons; un dialogue entre Tirsis et Pasqual, une fable d'Adonis, Hypomène et Atalante; l'Hymne à la louange du cardinal de Espinosa, etc. La plupart de ces morceaux sont des compositions amoureuses dans le goût des Italiens du temps. On trouve cependant des épîtres qui se distinguent par des pensées plus sérieuses, et par quelques remarquables descriptions des plus beaux sites de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie et de la Sicile. Il n'appartient pas à un étranger de parler du style: les Espagnols le trouvent vif, élégant et pur.

      Les compositions les plus remarquables de ce recueil sont celles qui ont été inspirées à don Diego par les suites de la scène que nous avons rapportée, et après laquelle il fut arrêté et mis en prison. Il a déploré, en redondillas de pie quebrado (rimes à vers inégaux et brisés), son emprisonnement et sa disgrâce, et ses vers37 peignent bien l'état violent de cette âme ardente et fière, dont l'orgueil était si cruellement humilié sous cette punition. À la suite, on trouve des quintillas (p. 120) dans lesquelles il se plaint qu'on le punisse sans l'entendre. On voit aussi, par plusieurs épîtres en redondillas à sa dame (p. 126, 132, 134, 139 vº), que la querelle fatale, dans laquelle il s'était laissé emporter jusqu'à jeter son adversaire par une des fenêtres du palais de Philippe II, avait été causée par la jalousie, et pour venger l'honneur outragé de sa belle. Ce n'est pas là le trait le moins singulier de notre personnage, qui était alors parvenu, ainsi qu'il le dit lui-même dans sa lettre au cardinal de Espinosa, à l'âge de soixante-quatre ans. Si l'on juge de sa passion par ses vers, il n'avait encore rien perdu de l'ardeur de la jeunesse, et ses quintas à sa maîtresse, qu'il était obligé de quitter pour se rendre en exil à Grenade, sont empreintes de la passion la plus vive38. Il est bien à regretter que l'éditeur des poésies de don Diego, ou son biographe, n'ait pas expliqué l'énigme de cette aventure; mais ils ont sans doute été retenus l'un et l'autre par la crainte de quelque puissante famille, dont le nom aurait été mêlé à cet événement.

      L'immortel auteur de Don Quichotte semble faire allusion à cette histoire, dans le sonnet suivant, composé en l'honneur de don Diego de Mendoza et de sa renommée39:

      En la memoria vive de las gentes,

      Varon famoso, siglos infinitos,

      Premio que le merecen tus escritos,

      Por graves, puros, castos, y excelentes.

      Las ansias en honesta llama ardientes,

      Los Ethnas, los Estigios, los Cozitos,

      Que en ellos suavemente van descritos,

      Mira si es bien (ô fama) que los cuentes?

      Y aunque los lleves en ligero buelo

      Por quanto cine el mar, y el sol rodea,

      Y en laminas de bronce los escultas.

      Que assi el suelo sabra, que sabe el cielo,

      Que el renombre immortal, que se dessea,

      Tal vez le alcançan araorosas culpas.

      «Vis dans la mémoire des nations, homme illustre, pendant une longue suite de siècles, récompense due à tes écrits graves, purs, corrects, excellents. Les soupirs brûlants d'une honnête flamme, les Etnas, les Styx, les Cocytes, dont tu fais une si agréable description, considère, ô Renommée, si ce sont bien là réellement des fables! À l'aide de tes ailes légères, répands-les partout où s'étend la mer, et où le soleil darde ses rayons, et fais-les graver sur des lames de bronze. Ainsi, le monde saura ce que savait déjà le ciel, que l'immortel renom dont il brillait racheta parfois ses fautes amoureuses.»

      Parmi les poésies imprimées de don Diego, il n'y en a pas sur les arts, et aucune de ses épîtres n'est adressée à ses amis de Venise. Si l'on eût publié ses autres poésies légères, ainsi que ses lettres en prose, on aurait sans doute trouvé sa correspondance avec le Titien et le Sansovino. Quoi qu'il en soit, le nom de don Diego Hurtado de Mendoza restera toujours attaché à ceux de ces artistes, et, ainsi que l'a prédit Cervantès, sa mémoire vivra en Espagne et ailleurs, non-seulement comme celle d'un habile politique, mais, ce qui est de beaucoup préférable, comme celle d'un poëte illustre, d'un grand historien, et d'un amateur éclairé des beautés de l'art

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<p>33</p>

Cartas de santa Teresa de Jesus, T. 1er, carta 11.

<p>34</p>

Vida de don D. H. de Mendoza, ut suprà, de la p. 38 à la p. 51.

<p>35</p>

Bibliothèque impériale de Paris, Y, n. 6256.

<p>36</p>

Vida de don D. H. de Mendoza, p. 51.

<p>37</p>

Cette pièce commence ainsi (p. 114):

Estoy en una prisionEn un fuego y confusionSin pensallo.Que aunque me sobra razonPara dezir mi passionSufro y callo.
<p>38</p>

Quintas a una despedida, p. 141:

Yo parto, y muero en partirme,Yo lo procure, yo lo pago.No me dexcys en el trago,Señora, del despedirme,Por el servicio que os hago.
<p>39</p>

Il est rapporté en tête du volume publié à Madrid en 1610, et se trouve au verso du feuillet qui contient l'approbation de l'ouvrage et le permis d'imprimer donné par l'inquisition.