Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin
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Читать онлайн книгу Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin страница 10
Comme je n'ai pas dessein de décrire cette chasse, je dirai seulement qu'il se fit tant de courses, tant de tours à droite et à gauche dans ces vastes forêts de Fontainebleau, que la plupart de ceux qui formoient cette partie de chasse furent dispersés en divers endroits. Le Roi ne perdoit jamais de vue la comtesse, qu'il regardoit déjà comme sa proie, et le duc de La Feuillade, qui conduisoit toute cette affaire, la fit réussir selon les désirs du Roi. Il le fit avec tant d'adresse, en plaçant les chasseurs dans de certains postes, et les dames en d'autres, sous prétexte de donner à tous le plaisir de cette agréable chasse, que le Roi se trouva, je ne sais comment, tout seul avec la comtesse, dans le lieu le plus écarté du bois, sans qu'elle eût eu le temps de s'apercevoir que ses compagnes l'avoient abandonnée, et que tout le reste de cette illustre troupe couroit, ou plutôt voloit avec une ardeur incroyable.
Qui pourroit décrire son étonnement de se trouver seule avec le Roi dans un lieu désert et solitaire; ne voyant personne pour venir à son secours, et n'ayant plus ni le son du cor, ni l'aboiement des chiens, ni les cris des chasseurs? Le lieu où ils se trouvèrent étoit un vallon couvert de deux petites montagnes, ombragé d'un grand nombre d'arbres à haute futaie, au pied desquels couloit un ruisseau, dont le murmure faisoit un bruit agréable. Cette situation fut cause qu'on perdit de vue tous les chasseurs, et qu'on n'entendit plus ce bruit qui accompagne ordinairement la chasse. Enfin il sembloit que Vénus et Diane s'étoient donné le mot pour faire venir en ce lieu nos deux amants.
Toutes choses sembloient conspirer au bonheur du Roi, et il croyoit de toucher à ce moment heureux après lequel il avoit tant soupiré, lorsqu'il remarqua un changement considérable sur le visage de la comtesse. Cette pauvre dame blêmit, trembla, et fut saisie d'une sueur froide, comme si elle alloit rendre l'âme. Le Roi lui demanda si elle se trouvoit mal, et elle lui ayant répondu que non, il comprit d'abord quelle étoit la cause de ce changement. C'étoit comme une innocente colombe qui se voit déjà entre les griffes d'un vautour. Elle fit pourtant tout ce qu'elle put pour se remettre, pour ne donner pas à penser au Roi qu'elle se défioit de lui, et qu'elle ne se croyoit pas en sûreté. Elle fit donc un effort sur elle-même, et, après avoir loué la beauté du lieu, elle dit qu'elle étoit surprise de ne voir personne, et que, si Sa Majesté le trouvoit bon, ils monteroient sur une de ces collines, pour découvrir de quel côté pouvoient être les chasseurs. – «N'en soyez point en peine, Madame, lui dit le Roi, nous les trouverons assez; délassons-nous cependant, et puisque vous trouvez ce lieu agréable, nous ferons bien d'en considérer les beautés.»
En disant cela, il descendit promptement de cheval, et voulut aider la comtesse pour en faire de même, à quoi elle s'opposa autant qu'elle put, disant que ce n'étoit point la peine, et qu'elle verroit plus commodément tous les lieux que le Roi vouloit lui faire voir, que si elle étoit obligée de marcher. – «Eh! bien, nous nous reposerons, et nous ferons reposer nos chevaux, dit le Roi.» Enfin il la pressa si fort de descendre de cheval, qu'elle ne put plus s'en défendre; le Roi la prit entre ses bras, et il ne pouvoit contenir sa joie, d'avoir en son pouvoir ce qu'il aimoit le plus dans le monde.
Après avoir attaché lui-même les chevaux à un arbre, il prit la comtesse par la main, et la fit asseoir sur un gazon extrêmement vert, tel que les poètes nous le décrivent dans leurs fables, et qui sembloit n'avoir jamais été foulé par les hommes, tant il étoit beau et riant. – «Avouez, Madame, lui dit le Roi, que c'est un lieu bien charmant. – Je le trouve comme vous, répliqua la comtesse, mais il y a quelque chose de trop sombre et même d'affreux; cela vient sans doute de ce qu'il est si peu habité. – Et quelle habitation plus belle, peut-on lui souhaiter, dit alors le Roi, que celle de votre charmante personne? Il suffit que vous y êtes pour rendre ce lieu le plus beau qui soit dans l'univers; et pour moi, je renoncerois de bon cœur à toute la magnificence de ma cour pour y passer toute ma vie auprès de vous.»
En disant cela, il prit une de ses belles mains qu'il serra passionnément, et qu'il baisa plusieurs fois avec une tendresse extrême. La comtesse n'eut pas la force de retirer sa main, soit que la crainte se fût emparée de son cœur, soit qu'aimant véritablement le Roi, elle ne crût pas lui devoir refuser cette petite faveur. Ce prince amoureux, qui n'avoit pas dessein d'en demeurer là, et qui vouloit pousser plus loin sa conquête, ne songea qu'à gagner toujours du terrain; il mit sa main sur la gorge de la comtesse, et essaya de lui prendre quelques baisers; mais elle le repoussa et lui dit d'un ton sévère: – «N'étoit-ce que pour cela que vous m'arrêtiez ici? Je vous prie, Sire, remontons à cheval, et tâchons de rejoindre notre compagnie. – Et où voulez-vous aller, Madame? lui dit le Roi. Nous ne savons pas la route qu'ils ont prise; au lieu d'aller où ils sont, nous prendrons peut-être un lieu opposé; le plus sûr est de les attendre ici, et nous les verrons bientôt paroître par quelque endroit. – Mais que dira-t-on de vous et de moi, lui dit la comtesse, quand on saura que nous avons été tous deux ensemble dans ce lieu désert, l'espace d'une heure? – Eh! il n'y a qu'un moment que nous y sommes, lui dit cet amant passionné; il paroît bien que vous ne vous plaisez guère avec moi. Et quand nous y serions deux heures entières, que craignez-vous? la réputation de votre vertu vous met à couvert de tout. Ne craignez rien, Madame, ne craignez rien de ce côté-là; donnons-nous entiers à l'amour; tout nous y convie; personne ne nous voit ici, et vous voyez un prince à vos pieds, prêt à expirer par la violence de sa passion, si vous n'avez pitié de ses maux. – Ce n'est pas pourtant ce que vous m'aviez promis, dit la comtesse, que vous n'attenteriez jamais rien contre mon devoir. – Ah! cruelle, lui dit le Roi, que vous connoissez peu les lois de l'amour? Est-ce à un esclave à tenir ses promesses? Je ne suis plus à moi, je suis tout à vous, ma chère comtesse; je me sens entraîné par une force irrésistible; je ne suis plus maître de mes mouvements; je ne puis que vous aimer, je ne puis que vous le dire, et je me sens mourir si vous ne prenez pitié d'un malheureux.»
Le Roi accompagna ces paroles de plusieurs soupirs et de quelques larmes, qui attendrirent le cœur de la comtesse. Elle aimoit ce prince; mais elle ne pouvoit jamais se résoudre à lui abandonner ce qu'elle avoit de plus cher au monde. – «Si un amour réciproque vous peut contenter, lui dit cette sage comtesse, je vous ferai, Sire, une déclaration que je ne vous ai jamais faite, et que rien ne seroit capable de m'arracher, si elle n'étoit sincère; je vous aime, mon cher prince, car je puis bien vous nommer ainsi, avec toute l'ardeur et toute la tendresse dont une femme comme moi peut être capable; oui, je vous aime autant qu'on peut aimer; mais je ne puis renoncer pour vous à l'honneur, à la vertu, ni à aucune chose qui me puisse faire perdre votre estime.»
Ces paroles de la comtesse ne firent qu'enflammer davantage le cœur du Roi. Il venoit d'entendre de la bouche de sa maîtresse, qu'il en étoit tendrement aimé; il n'est rien de si doux pour un amant passionné, et ce prince ne pouvoit pas contenir sa joie. – «Mais seroit-il bien vrai que vous m'aimassiez, dit-il à sa charmante comtesse, et que vous m'en donniez si peu de marques! Non, quoique vous en veuilliez dire, vous n'avez jamais senti les traits de l'amour. – Hélas! si je ne vous aimois, lui répondit-elle avec un air languissant, je ne vous souffrirois pas comme je vous souffre. – Eh! croyez-vous, Madame, lui dit le Roi, qu'un cœur qui vous aime se puisse contenter de si peu de chose? Ah! que vous aimez foiblement si vous en jugez ainsi!»
Alors ce prince, devenu plus hardi par la déclaration que la comtesse venoit de lui faire, attacha sa bouche contre la sienne, et lui donna un baiser dont elle ne put jamais se défendre; elle se laissoit entraîner par un si doux charme; l'honneur ne battoit déjà que d'une aile; l'amour commençoit d'avoir le dessus, et le Roi, profitant d'un temps si précieux à l'amour, alloit se mettre en possession d'un bien qui lui étoit plus cher alors que sa couronne, lorsque la comtesse, revenant comme d'un profond assoupissement,
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Terme d'équitation. «Piquer, à l'égard des chevaux, c'est, dit Furetière, les manier avec les éperons ou le poinçon (sorte d'aiguillon dont on piquait la croupe des chevaux). Il faut bien