Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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Roi, qui voyoit qu'en procurant le plaisir de la comtesse, il ne feroit qu'augmenter le sien, consentit sans peine à tout ce qu'elle voulut. Ils changèrent d'abord de place, et la comtesse, prenant son temps, saisit l'épée du Roi, qu'elle tira du fourreau, et recula trois ou quatre pas en arrière. Le Roi qui crut qu'elle vouloit s'en servir contre lui, s'alla jeter à ses pieds, et lui dit: – «Madame, si vous demandez ma mort, me voici prêt à la recevoir de votre main. – Non, Sire, lui dit la comtesse, ce n'est pas votre mort que je demande; ma main ne vous fera jamais aucun mal, vous n'êtes point coupable. Mais c'est moi, c'est moi que je veux punir de la foiblesse où je suis tombée par mon malheur.»

      En disant cela, elle alloit tourner la pointe de l'épée contre son estomac, si le Roi ne l'eût empêchée. – «Qu'allez-vous faire, dit-il, trop vertueuse comtesse? vous n'avez rien à vous reprocher; eh! pourquoi voulez-vous vous punir d'un crime que vous n'avez point commis? – Il est vrai, dit-elle, mais c'est pour m'empêcher de le commettre.»

      Le Roi touché du triste état où il la voyoit, promit de ne la presser plus; et en effet elle étoit plus propre alors à inspirer la compassion que l'amour, et l'on voyoit dans ses yeux et sur son visage toutes les marques d'un véritable désespoir. De sorte que le Roi, qui l'aimoit plus que sa propre vie, et qui craignoit pour elle quelque chose de funeste, lui redemanda son épée, la fit remonter à cheval, et, après y être monté lui-même, ils sortirent de ce vallon, montèrent sur une des deux collines, et découvrirent de loin leurs chasseurs qui venoient de forcer un cerf. Ils étoient assez en peine de savoir où pouvoit être le Roi, et il n'y avoit que le duc de La Feuillade qui s'imaginât ce qui en étoit. Il ne les eut pas plus tôt joints, qu'il leur dit qu'il s'étoit posté à un endroit avec la comtesse, où il croyoit voir passer la bête, mais qu'il n'avoit pas eu tout le plaisir qu'il s'étoit promis, ni la comtesse non plus, avec laquelle il avoit espéré de le partager. Il n'y eut que le duc de La Feuillade, qui savoit l'amour du Roi, qui comprit le sens caché de ces paroles. Et la comtesse, qui vouloit bien qu'on l'entendît de la chasse, prit incontinent la parole et dit qu'elle ne s'étoit jamais tant ennuyée. – «Vous ne devez vous en prendre qu'à moi, lui dit ce prince, car c'est moi qui vous ai conseillé de prendre ce méchant poste. – Je ne m'en prends, dit-elle, qu'à ma mauvaise fortune, ou à cette maudite bête, qui n'a pas voulu passer devant nous, et qui fuit, je crois, devant Votre Majesté, comme tous vos autres ennemis.»

      Quoiqu'elle n'eût pas grande envie de plaisanter, elle fit pourtant un effort sur elle-même, pour cacher le désordre de son cœur, qui étoit encore tout troublé de ce qui venoit de lui arriver. Ce fut ainsi que se passa cette chasse, où le Roi n'obtint pas tout ce qu'il auroit voulu, mais où il reconnut pourtant qu'il étoit plus aimé qu'il ne s'étoit imaginé. Il ne pouvoit comprendre qu'une femme qui l'aimoit si tendrement, qui l'avoit dit à lui-même, et qui en avoit donné des marques plus certaines encore que ses paroles, pût se refuser un plaisir qui est le tribut ordinaire de l'amour, et la fin que tous les amants se proposent. Cela le passoit, et il étoit si peu accoutumé à voir de semblables prodiges de vertu, qu'il ne pouvoit se lasser d'admirer celle de la comtesse, quoique ce fût cette vertu qui seule étoit contraire à son amour et s'opposoit à tous ses désirs.

      Ce fut aussi environ en ce temps-là que le Roi dit ces paroles, que j'ai rapportées au commencement de cette Histoire, «qu'il n'y avoit que deux femmes à la Cour qui fussent véritablement chastes, et pour lesquelles il feroit serment qu'elles étoient fidèles à leurs maris.» C'étoit la Reine, comme j'ai dit, et la comtesse de L… qu'il venoit de mettre à une si grande épreuve.

      Cependant cette vertu, dont le Roi n'étoit que trop persuadé, ne fut pas capable de refroidir son amour. S'il n'en eût pas été aimé, peut-être qu'il auroit abandonné le dessein de cette conquête, qu'il auroit regardée comme une chose impossible, ayant à combattre ces deux redoutables ennemis, l'honneur et l'aversion de sa maîtresse. Mais, ayant l'amour de son côté, il se flatta toujours de quelque espérance. Il avoit vu cet honneur presqu'aux abois, et, sans ce moment fatal qui fit faire quelque réflexion à la comtesse, il alloit être le plus heureux de tous les amants. Enfin, on peut dire que l'amour du Roi augmentoit par toutes ces difficultés, et que la gloire et l'ambition, dont il est si fort touché, s'y mêloient en quelque sorte. Il se faisoit une espèce d'honneur de triompher de la plus vertueuse dame de son siècle; il se figuroit mille secrètes douceurs qu'il n'avoit jamais goûtées avec ses autres maîtresses, et il se promettoit des plaisirs infinis dans une jouissance qui lui auroit tant coûté.

      Cela fait bien voir que les plaisirs des amants ne sont que dans l'imagination, et que, selon que cette imagination agit, ces plaisirs sont plus ou moins grands; et comme cette faculté de notre âme supplée au défaut des sens, pour grossir les objets que les sens n'aperçoivent pas, celle du Roi pouvoit agir dans toute son étendue par l'extrême sévérité de sa maîtresse, et son imagination, lui représentant des plaisirs que ses sens n'avoient jamais goûtés avec elle, les lui figuroit beaucoup plus grands; et tout cela, comme j'ai dit, le rendoit plus amoureux.

      En ce temps-là, le Roi et la comtesse tombèrent malades presque en même temps19. Le Roi fut attaqué d'une grosse fièvre, qui lui fut causée par sa passion, et par la grande agitation qu'il s'étoit donnée le jour de cette chasse; et la comtesse, de la frayeur qu'elle avoit eue, du chagrin qu'elle avoit de s'être sitôt déclarée, et fâchée de sentir dans son cœur une passion qui alloit contre son devoir. Toutes ces choses jointes ensemble la firent tomber dans une maladie de langueur, qu'on craignoit dégénérer en phthisie. La fièvre du Roi redoubla quand il sut que la comtesse étoit malade. Et la comtesse, qui ne pouvoit haïr le Roi, devint encore plus triste et plus abattue, dès qu'elle apprit l'état de ce prince, dont la vie étoit en grand danger. Il ne se passoit point de jour, que le Roi ne s'informât de la santé de la comtesse, et cet empressement que le Roi faisoit paroître, fit ouvrir les yeux à quelques-uns, et leur fit soupçonner avec raison qu'il avoit des sentiments tendres pour cette dame.

      La Montespan qui venoit de prendre les eaux de Bourbon20, et qui n'avoit pas vu le Roi depuis quelque temps, fut la première à s'en apercevoir; et comme elle croyoit alors posséder seule le cœur du Roi, car La Vallière avoit renoncé au monde, elle ne pouvoit pas se consoler qu'une autre le lui voulût disputer. Mais ce qui la fâchoit plus que tout, c'est que l'intérêt que le Roi témoignoit prendre à la santé de Madame de L… ne lui faisoit que trop connoître qu'il en étoit véritablement amoureux. Ce fut alors que toute sa jalousie se réveilla, et qu'elle chercha mille moyens pour traverser ce nouvel engagement, pour ruiner sa rivale, et pour la détruire dans l'esprit du Roi ou dans celui de son mari, ou pour faire tous les deux ensemble; mais elle ne fit ni l'un ni l'autre.

      La première chose qu'elle fit, fut de tâcher de découvrir où elle en étoit avec le Roi. Elle en fut bientôt instruite par un cas fortuit, qui lui fit tomber entre les mains la réponse que la comtesse avoit faite à son billet. Comme la Montespan avoit la liberté d'entrer à toutes les heures du jour dans la chambre de ce prince, elle y fut un jour qu'il reposoit, et comme cet amant pensoit toujours à sa nouvelle maîtresse, il ne pouvoit se lasser de lire le billet qu'elle lui avoit écrit, quoiqu'il ne fût pas aussi tendre qu'il l'auroit bien souhaité. Le jour que la Montespan trouva le Roi qui dormoit, il avoit tenu ce billet entre ses mains, et le sommeil l'ayant saisi, il l'avoit laissé tomber à la ruelle de son lit.

      Dès qu'elle vit ce papier par terre, elle le prit pour voir ce qu'il contenoit, et elle comprit d'abord que le Roi aimoit la comtesse avec toute l'ardeur d'un amant, et qu'il n'avoit encore obtenu d'elle aucune faveur considérable. Elle se contenta d'avoir satisfait sa curiosité, et, remettant le billet où elle l'avoit trouvé, elle sortit tout doucement de la chambre pour n'interrompre pas le sommeil du Roi, et alla penser aux moyens de ruiner une passion qui, selon toutes les apparences, lui devoit faire perdre son grand crédit et les bonnes grâces du Roi. Elle fit savoir au comte, par des voies indirectes, que sa femme recevoit des lettres d'un amant qui n'étoit pas à mépriser, et qu'elle, à son tour, lui

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<p>19</p>

Le Journal de la santé du Roi pour les années 1672, 1673, 1674, ne parle que de ses maladies ordinaires d'estomac, de ses étourdissements et de ses vapeurs: maladies fréquentes et qui demandoient de grands soins.

<p>20</p>

Ce n'est pas en 1672, mais en 1676, que Mme de Montespan alla aux eaux de Bourbon. Le 8 avril, Mme de Sévigné annonce que la favorite va partir; le 1er mai, qu'elle est partie; le 15 mai, qu'elle est présentement à Bourbon; le 8 juin, qu'elle est partie de Moulins le jeudi pour aller, en suivant le cours de l'Allier et de la Loire, jusqu'à l'abbaye de Fontevrault, où sa sœur étoit abbesse. – Cet anachronisme, rapproché d'autres erreurs, est de nature à diminuer la confiance qu'on pourroit avoir en ce petit roman.