Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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faite, non pas pour s'éclairer de ce que la Montespan lui avoit dit, mais pour apaiser l'ardeur de sa flamme. Quelque expert qu'il fût en l'art d'aimer, il étoit au bout de sa science, et il ne savoit plus que faire, après avoir manqué la plus belle occasion que l'amour puisse offrir à un amant. Être seul avec sa maîtresse au milieu d'un bois, apprendre de sa bouche qu'on est aimé, profiter d'un si doux aveu, presser vivement la place, monter jusques à la brèche, et se voir repousser à l'entrée: c'est ce qu'il ne pouvoit pas comprendre. – «Il faut, disoit-il, ou que cette femme soit tout à fait insensible, ou qu'elle ait une vertu plus qu'humaine. Mais puisque les charmes de l'amour n'y peuvent rien, il faut se servir de quelque vieille ruse. Cette femme se fait un crime de ce que l'amour a de plus doux; il faut que l'hymen vienne ici à notre secours, et que nous nous servions du même stratagême dont se servit Jupiter pour jouir de la chaste et belle Alcmène. Puisqu'un amant, et un amant aimé, ne peut pas vaincre une vertu si farouche, tâchons de nous transformer et de prendre la figure du mari pour tromper une femme trop fidèle. Ce qui acheva de déterminer le Roi à prendre un dessein si périlleux, fut une aventure singulière qui venoit d'arriver depuis peu de jours, qui servit longtemps de divertissement à la Cour, et dont le bruit se répandit assez loin.

      Deux gentilshommes, à peu près du même âge et de même taille, avoient épousé depuis quatre ans deux femmes bien faites, qu'ils aimoient beaucoup et dont ils étoient tendrement aimés, mais dont ils n'avoient eu aucun enfant. Comme ils avoient de grands biens et qu'ils craignoient de ne laisser point de successeurs, il n'est rien qu'ils ne tentassent pour rendre leurs femmes fécondes: remèdes, purgations, eaux minérales, tout étoit mis en usage, et, parce que les médecins leur dirent qu'il falloit réitérer ces remèdes à diverses fois, ces Messieurs ne manquoient pas d'aller tous les ans avec leurs épouses aux eaux de Bourbon22. Ils y furent cet été que le Roi étoit à Fontainebleau. Comme le temps étoit fort beau, il y eut plus de foule qu'à l'ordinaire: toutes les hôtelleries étoient remplies; et ces deux gentilshommes ne purent trouver qu'une chambre, où il y avoit pourtant deux lits; cela suffisoit pour eux et leurs femmes; car, pour leurs valets, ils couchèrent où ils purent. S'étant donc mis en possession de leur chambre, et ayant soupé en très-bonne compagnie, ils proposèrent à leurs femmes d'aller prendre un peu le frais, et de jouir du plaisir de la promenade. Mais elles dirent qu'elles étoient fatiguées du voyage, et qu'étant obligées de se lever de bon matin pour prendre les eaux, elles seroient bien aises de se délasser et de se coucher bientôt; mais que pourtant ils ne se privassent pas eux-mêmes de ce plaisir. Ces bons maris, qui ne vouloient point contraindre leurs femmes ni se contraindre eux-mêmes, firent tout ce qu'elles voulurent; ils allèrent se promener; ils virent là tout ce qu'il y avoit de beau monde de l'un et de l'autre sexe, et ce temps leur parut si court qu'il étoit près de minuit quand ils arrivèrent à leur logis. Leurs femmes étoient couchées il y avoit deux heures; elles dormoient profondément, et leurs maris, de peur de les éveiller, firent le moins de bruit qu'ils purent en se couchant; ils se déshabillèrent, ils éteignirent eux-mêmes la chandelle, et chacun d'eux se mit le plus doucement qu'il put au lit, où il croyoit de trouver sa femme. On ne sait pas bien si leurs épouses n'avoient pas bien distingué les lits qui avoient été arrêtés par leurs maris, ou si ces Messieurs eux-mêmes, distraits par les différents objets qu'ils avoient vus à la promenade, ou peut-être accablés de sommeil, prirent un lit pour un autre; quoi qu'il en soit, car cela ne fait rien à l'affaire, chacun de ces deux gentilshommes, au lieu de s'aller mettre auprès de sa femme, s'alla coucher avec celle de son ami.

      Ces quatre personnes passèrent ainsi toute la nuit, sans qu'aucune d'elles s'aperçût de cet étrange quiproquo. On peut bien croire que ces Messieurs, qui souhaitoient tant d'avoir des enfants, et qui étoient allés là pour cette seule raison, ne passèrent pas toute la nuit sans rien faire, et qu'ils travaillèrent de toute leur force à la propagation de leur espèce. Leurs belles épouses, qui avoient le même désir, s'y employèrent aussi avec affection et avec toute l'ardeur de leur sexe. Enfin, le matin étant venu, on voit paroître le jour, on songe à se lever, on tire le rideau, on se parle; mais qui pourroit exprimer la surprise de ces deux femmes et de ces deux maris, à la vue d'une si étrange métamorphose? Ils demeurent tout confus, ils sont tous quatre muets et interdits, personne n'ose parler, aucun n'a la force d'interroger son voisin ni de lui demander comment il a passé la nuit, de peur d'en trop apprendre; chacun se flatte que son compagnon a dormi toute la nuit; chacun se console d'avoir au moins tiré parti d'une affaire si délicate et de n'être pas la dupe. Chacun savoit bien ce qu'il avoit fait de son côté, mais il étoit en peine d'apprendre ce qui s'étoit passé à l'autre bout de la chambre. Aucune de ces femmes n'osoit regarder son mari, et encore moins celui qui venoit d'occuper sa place, et les maris n'osoient pas regarder leurs femmes, de peur de voir sur leur visage des marques trop certaines d'un affront irréparable. Il se passa une scène muette qui exprima plusieurs passions différentes. Enfin, il y en eut un plus impatient, qui, tirant brusquement sa femme par le bras, lui dit tout en colère: – «Pourquoi vous allâtes-vous coucher dans ce lit? Ne saviez-vous pas que c'étoit celui-ci que j'avois arrêté pour nous deux? – J'avois cru, dit-elle, que c'étoit l'autre, et je vous prie de ne pas me quereller pour une chose dont j'ai plus de chagrin que vous, et dont je ne me consolerai de ma vie. – Tant pis,» lui dit son mari, qui ne connut que trop, au langage de sa femme, ce qui s'étoit passé entr'elle et son voisin; mais il n'étoit pas juste aussi que les rieurs ne fussent que d'un côté. La femme de celui qui n'avoit pas encore parlé, paroissant toute honteuse, donnoit assez à connoître qu'elle n'étoit pas plus nette que sa voisine. – «Enfin, dit ce mari, qui parut plus raisonnable, ce qui est fait est fait, et tous les hommes ne le sauroient empêcher. Nous sommes à deux de jeu; nous avons fait, comme on dit, troc de gentilhomme23 sans nous demander de retour; laissons passer doucement la chose; la volonté fait tout dans ces affaires; c'est un pur effet du hasard; nous sommes assurés de la chasteté de nos femmes; plaignons-les, et les consolons, au lieu de les porter au désespoir. Que savons-nous si Dieu s'est voulu servir de ce moyen pour nous donner un enfant à l'un et à l'autre, et si cela arrive, qu'y a-t-il à faire qu'à compter de cette nuit? Et si nos femmes sont enceintes, quand leur fruit sera mûr, et que le terme d'accoucher sera venu, chacun prendra ce qui lui appartiendra; et ces enfants ne seront pas moins à nous, que si nous les avions eus de nos propres femmes.» Il y en eut une qui voulut répliquer, et qui dit que cela leur seroit bien fâcheux qu'on leur arrachât un enfant qu'elles auroient nourri et porté neuf mois dans leur sein, et qu'on leur en donnât un autre, où elles n'auroient aucune part. On leur ferma la bouche, en leur disant que c'étoit pour les punir de la bévue qu'elles avoient faite en changeant de lit, qu'il falloit que la chose allât ainsi; que l'enfant qu'on leur donneroit seroit celui de leur mari; que, puisque les hommes regardoient souvent comme leurs des enfants qui n'appartenoient qu'à leurs femmes, elles pouvoient bien une fois en recevoir un de la main de leurs maris, et qu'elles auroient un avantage que les hommes n'avoient pas: c'est qu'elles pourroient toujours distinguer leur propre enfant de celui qu'on leur supposoit, et lui donner leur bien si elles le jugeoient à propos. Un jugement si sage apaisa d'abord le tumulte; tout le monde se tut, chacun fut content, et au bout de neuf mois ces deux femmes accouchèrent chacune d'un garçon, qui donna bien de la joie à ces deux familles.

      Cette affaire ne put pas être si secrète qu'elle ne vînt à la connaissance du monde, et le Roi, qui en avoit ouï parler, trouvoit cela si plaisant qu'il souhaita plus d'une fois de tromper ainsi la comtesse, puisqu'il n'en pouvoit pas jouir autrement. Il communiqua son dessein au duc de La Feuillade. Le duc lui dit que cela étoit fort bien imaginé, et qu'il ne falloit que songer aux moyens de l'exécuter. – «Tout ce que j'y trouve, Sire, de fâcheux pour vous, c'est d'être obligé de faire le rôle du mari pour jouir d'une maîtresse; et comme vous avez, sans doute, toutes les délicatesses des amants, vous ne goûterez qu'imparfaitement un plaisir qui ne s'adressera point à vous et qu'elle croira donner à son mari. – Je sais tout cela, dit le Roi, mais il n'importe; il faut tirer de l'amour tout ce qu'on peut; j'ai déjà le cœur de cette fière comtesse, et elle ne veut pas m'accorder le reste; mais si je le puis avoir une fois, j'aurai tout ce qu'un amant peut souhaiter, et enfin elle pourra m'accorder de son bon gré ce que j'aurai une fois obtenu par cette

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<p>22</p>

Les eaux de Bourbon avoient alors une vogue qu'elles n'ont pas conservée depuis, bien que leurs effets n'aient pas changé. Le médecin Delorme y attirait une grande clientèle. Mme de Montespan y alla, comme nous l'avons vu plus haut, et c'est là que Lauzun, sorti de prison mais non encore admis à la Cour, alla lui présenter ses hommages et solliciter sa protection.

<p>23</p>

On appelle «troc de gentilhomme» celui qui se fait but à but, troc pour troc, sans donner de l'argent de retour. (Furetière.)