Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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désirs, et je ne sais quel malheur, que je traîne après moi, m'a fait échouer tout d'un coup de la manière du monde la plus fatale; jamais monture plus douce et plus maniable dans mes premières approches; mais je ne sais quelle mouche lui fait prendre aux dents36, la met en fureur contre moi, et m'en laisse de tristes marques. – Il n'importe, Sire, dit le duc au Roi, pour le consoler; il faut que V. M. tâche de remonter sur sa bête. —37 Voilà la deuxième fois que j'ai failli la prendre, dit le Roi, et je ne vois que trop la vérité du présage que j'eus à la chasse où étoit le comte, lorsque je manquai deux fois un sanglier. La comtesse est ce sanglier que je n'ai pu blesser encore, et qui m'a mis dans l'état où tu me vois. Pour moi, je crois, ajouta-t-il, que cette femme n'est pas faite comme les autres, et si je ne l'avois pas bien maniée, je croirois qu'elle n'est pas de chair, mais de quelque autre matière. – Vous verrez, Sire, qu'elle ne sera pas toujours insensible, lui dit le duc; assurez-vous que vos coups ne seront pas perdus, ils feront leur effet tôt ou tard. Savez-vous, ajouta-t-il, que la main d'un amant qui manie le corps de sa maîtresse, a un certain charme secret qui éveille en elle de certaines idées dont elle ne peut se défendre? Qu'elle fasse la farouche tant qu'elle voudra; cela lui revient de temps en temps dans l'esprit; son imagination en est doucement chatouillée, et l'on peut dire que c'est un germe qui doit produire un fruit auquel l'amant ne s'attend pas. Enfin, l'attouchement d'un homme amoureux envers une femme qu'il aime, est comme celui d'un chien enragé, dont la seule écume produit la rage, quoique cela n'arrive que plusieurs années après. Ainsi je ne doute pas que ce que la comtesse a déjà senti de votre part, et lorsque vous la trouvâtes endormie la première fois, et lorsque vous la poussâtes de si près, au vallon de la forêt de Fontainebleau, et les privautés que vous avez eues avec elle la nuit passée, je ne doute pas, dis-je, que tout cela ne soit un secret poison dans son cœur, qui fera éclater enfin la fureur de l'amour. N'en doutez point, Sire, je sais un peu comment les femmes sont faites. Tenez-vous seulement à l'écart, faites un peu le froid avec elle, et vous verrez qu'elle regrettera peut-être l'occasion qu'elle a perdue. Les femmes négligent ce qu'elles peuvent avoir à toute heure, mais elles font bien des pas pour retenir ce qu'elles craignent de perdre. La comtesse compte sur vous comme sur une conquête assurée, et c'est pour cela qu'elle diffère, autant qu'elle peut, à payer le tribut qu'on doit à l'amour. Quand vous reculerez, elle s'avancera; et, faisant réflexion alors aux plaisirs imparfaits qu'elle a goûtés avec vous, et craignant de ne les retrouver plus, elle désirera que vous acheviez ce qui n'est que commencé; et peut-être même qu'elle vous en prieroit si la pudeur de son sexe ne la retenoit. Voilà, Sire, comment les femmes sont faites, et vous en savez plus que moi sur ces matières.»

      Le grand Alcandre fut ravi d'entendre raisonner le duc d'une manière qui flattoit si fort sa passion. Il approuva son conseil, et, sans affecter de fuir la comtesse, il ne témoigna plus pour elle les mêmes empressements. Cette belle inhumaine ayant vu le Roi à la messe, fut confirmée dans l'opinion qu'elle avoit, que c'étoit lui-même qui l'étoit venu trouver au lit. Elle prit garde d'abord aux marques qu'il en portoit sur son visage, et elle ne put voir sans quelque émotion ces effets de sa cruauté. Son cœur sentit dans ce moment quelque chose de plus tendre qu'à l'ordinaire; elle fut touchée de compassion pour cet amant malheureux; et, faisant réflexion à toutes les basses démarches que ce grand prince avoit faites, et qui ne pouvoient partir que d'un cœur amoureux jusqu'à la folie, peu s'en fallut qu'elle n'eût quelque espèce de honte d'avoir été si sévère en son endroit, dans un temps où la cruauté, parmi les femmes du beau monde, étoit si peu à la mode. Elle voyoit qu'elle avoit perdu la plus belle occasion du monde pour accommoder son amour avec son devoir, en feignant de croire que celui qui avoit pris la place de son époux étoit son époux lui-même. Mais comme cette feinte ne la mettoit pas à couvert des reproches de sa conscience, elle rejetoit cette pensée comme une dangereuse tentation, et, sa vertu reprenant le dessus, elle se contenta de faire bon visage au Roi, sans lui accorder rien de solide. Voilà quel étoit l'état de nos deux amants: la comtesse, plus adoucie, étoit résolue de paroître moins sévère; et Alcandre piqué de ressentiment, se voulut montrer plus froid et plus réservé.

      Quelques jours se passèrent de cette manière, pendant lesquels le Roi parut de plus belle humeur, et plus magnifique qu'à son ordinaire. Mais il vivoit avec la comtesse comme un homme tout-à-fait guéri de sa passion, ou du moins comme un amant qui n'espère plus, qui a épuisé tous ses soins et toute sa tendresse, et qui ne cherche que les plaisirs, les jeux et les divertissements. Cependant, bien loin de témoigner le moindre chagrin contre elle, il lui faisoit beaucoup de civilités, mais de la nature de celles que tous les cavaliers rendent aux dames, et où il ne paroissoit pas que l'amour eût la moindre part. Pas le moindre mot, pas un seul regard qui marquât quelque tendresse; et le meilleur de tout cela, c'est qu'il n'y avoit rien de forcé ni de contraint; tout paroissoit naturel, et qui auroit vu le Roi agir de cette manière avec la comtesse, ne l'auroit jamais jugé amoureux. Elle-même s'y trompa toute la première, et elle crut effectivement que le Roi ne sentoit rien pour elle, et qu'il étoit tout-à-fait guéri. Une façon d'agir si peu attendue la surprit étrangement. Si elle eût trouvé le Roi chagrin, ou qu'il eût été froid avec elle, elle s'en seroit consolée; mais un procédé si civil et si tendre faillit la déconcerter.

      Un jour qu'elle se trouva près de ce prince, elle voulut prendre un air radouci et plus tendre qu'à l'ordinaire; le Roi, qui le vit fort bien, fit semblant de n'y prendre pas garde, et d'avoir l'esprit ailleurs, et, comme elle vouloit le rengager, elle le jeta insensiblement sur des matières de galanterie, où le Roi répondit toujours fort à propos, sans faire ni le doucereux ni le sévère. – «Pour moi, quand j'étois en état d'avoir des amants, disoit-elle, je n'aimois pas qu'ils se rebutassent d'abord comme plusieurs que je connois. – Vous aviez raison, Madame, lui dit le Roi, d'être dans ce sentiment, et je trouve que n'est guère aimer si l'on n'essuie toutes les rigueurs d'une maîtresse. – Il n'est pas juste pourtant, ajoutoit-elle, qu'une maîtresse abuse de son pouvoir, et exerce une autorité tyrannique sur ses amants. – Pourquoi non, Madame? répondit le grand Alcandre; chacun peut user de ses droits; une maîtresse ne doit rien à son amant, et c'est à lui à prendre parti ailleurs, s'il n'est pas content.»

      La comtesse entendant parler le Roi d'une manière si désintéressée, sur une affaire où elle avoit cru qu'il avoit tant d'intérêt, ne pouvoit cacher le dépit secret qu'elle en avoit dans le cœur. – «Les dames vous sont bien obligées, dit-elle au Roi, de défendre si bien leurs droits; et que je m'estimerois heureuse d'avoir un tel avocat! – Comme vous n'avez aucun intérêt à ces sortes de disputes, mes soins vous seroient fort inutiles, répondit le grand Alcandre. – On ne peut pas savoir ce qui peut arriver, lui dit la comtesse. – Alors on y pensera,» lui dit le Roi, et en disant cela, il alla joindre la Montespan, qui traversoit la galerie pour entrer dans la chambre de la Reine.

      Les dames, et surtout celles qui sont naturellement fières, ne connoissent jamais bien qu'elles aiment un amant que lorsqu'elles croient l'avoir perdu. C'est ce qu'éprouva la comtesse en cette rencontre; cette fière personne, qui avoit reçu les hommages d'un grand Roi sans en être fort émue, le fut beaucoup plus qu'on ne sauroit dire, quand elle crut que cette conquête lui alloit échapper. Elle commença de sentir le plaisir qu'il y avoit d'être aimée, lorsqu'elle ne l'étoit plus, car elle le croyoit ainsi, et il lui arriva comme à ceux qui ne connoissent le prix de la santé qu'après qu'ils l'ont perdue.

      Le Roi, qui lisoit dans le cœur de la comtesse, étoit charmé d'avoir suivi le conseil que son confident lui avoit donné, puisqu'il s'en trouvoit si bien. – «Je vois bien, dit-il à ce duc, quand il se trouva seul avec lui, qu'il en est de l'amour comme de la guerre, et que le plus grand coup d'un habile capitaine est de savoir battre son ennemi en retraite. C'est ce que je fais, cher La Feuillade, à l'endroit de la comtesse, et je vois que j'ai plus avancé mes affaires en trois jours, en tenant cette conduite, que je n'avois fait pendant six mois. – Continuez seulement de cette manière, lui dit cet habile confident; faites semblant de vous retirer devant cette fière ennemie; laissez-lui gagner du terrain tant qu'elle voudra, et quand vous aurez assez reculé, donnez-lui un coup fourré.»

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<p>36</p>

Nous dirions prendre le mors aux dents.

<p>37</p>

A partir de cette réplique du Roi, les deux textes se confondent. – Voy. p. 88, note 33.