Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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laisse pencher doucement entre ses bras, et voulant toujours contrefaire une femme qui n'a jamais connu d'autre homme que son mari, elle se défend encore, mais foiblement; et imitant les derniers abois d'une chasteté mourante, elle pousse un profond soupir, et tombe à demi-pâmée dans les bras de son amant. Le grand Alcandre ne se sentant plus lui-même, et transporté d'une joie extraordinaire de se voir, après tant d'écueils et tant de naufrages, arrivé heureusement au port, se prépare d'y entrer avec toute la force et toute l'ardeur de l'amant le plus passionné; lorsque, par une funeste disgrâce, il se vit arrêté tout court:

      Près de goûter mille délices,

      Ce triste et malheureux amant

      Vit changer son contentement

      En de très-rigoureux supplices.

      Un trop grand excès d'amour, un transport de joie, trop de précipitation, ou peut-être une trop longue attente, l'ardeur, le désir de bien faire, la crainte d'échouer, une grande dissipation d'esprits, et je ne sais quelle constellation maligne qui présidoit sur son amour, troublèrent tellement le grand Alcandre, qu'il ne se connut plus lui-même, et, sur le point de se voir le plus heureux de tous les amants, il tomba dans la plus cruelle disgrâce qui puisse arriver en amour. Enfin ce malheureux amant se trouva sans armes, lorsqu'il crut que sa maîtresse n'étoit plus en état de lui résister.

      La fausse comtesse, qui s'aperçut bien de son malheur, ne fit pas semblant de le connoître, et revenant de son feint assoupissement, elle dit au grand Alcandre: – «Nous nous arrêtons ici trop longtemps; que pourra-t-on dire de nous? – Vous avez raison, Madame, lui répliqua-t-il, nous ne faisons rien ici; mais on ne peut rien dire qui vous fasse tort, quand on sauroit même ce qui s'est passé.»

      Comme le grand Alcandre achevoit de parler, on vit venir du monde de divers endroits, où ils se mêlèrent eux-mêmes, sans qu'on y prît garde; après cela, chacun alla se reposer le reste de la nuit.

      Qui pourroit représenter les inquiétudes où étoit le grand Alcandre, après le malheur qui venoit de lui arriver? Il éprouva tout ce que le déplaisir, la honte et le désespoir ont de plus cruel: – «Faut-il, disoit-il, que ce moment favorable que j'avois tant désiré, soit le plus fatal et le plus malheureux de ma vie? Que le seul moment où celle qui m'a tant fait souffrir se vient jeter entre mes bras, me devienne inutile par ma lâcheté! C'est un affront que je ne puis me pardonner à moi-même. Toutes mes autres disgrâces n'étoient rien en comparaison de cette dernière. Être rebuté par une maîtresse, c'est un malheur assez ordinaire; mais se voir au comble de toutes les faveurs qu'on en peut jamais espérer, et ne profiter pas d'un temps si précieux, je ne vois rien qui puisse égaler un tel désastre.» Puis revenant à lui-même, il disoit: «c'est pourtant quelque douceur, que cette cruelle se soit enfin attendrie, et il n'a pas tenu à elle que je n'aie été le plus heureux de tous les amants. Tentons encore la fortune; elle ne me sera pas toujours contraire; celle que j'ai pu toucher, tout foible que j'ai paru, ne sera pas peut-être insensible, quand j'aurai repris mes forces.»

      Dans cette pensée, il reposa quelques heures assez tranquillement, et dès que l'heure de se lever fut venue, et qu'il eut pris tout ce qu'il jugea lui être meilleur pour lui donner du courage et de la force, il se rendit dans le bois. L'heure du matin fut employée à la promenade, et le grand Alcandre, qui cherchoit partout la comtesse, ne l'eut pas plus tôt aperçue que, se dérobant insensiblement du reste de la compagnie sur quelque léger prétexte, il l'alla d'abord accoster. Quoique les dames qui l'accompagnoient ne soupçonnassent pas que le Roi eût le moindre attachement pour elle, voyant néanmoins qu'il lui adressoit toujours la parole, et qu'il témoignoit la vouloir entretenir en particulier, elles s'écartèrent par respect et les laissèrent seuls. Le grand Alcandre, continuant sa promenade avec elle vers l'endroit du bois qui lui parut le plus favorable à son dessein, l'entretint d'abord de choses indifférentes; puis, étant entrés dans une autre allée, où ils ne virent personne, ils se trouvèrent près d'une grotte, où le grand Alcandre dit à la comtesse qu'il vouloit lui faire voir quelques raretés qu'elle n'avoit pas peut-être remarquées; comme il ne songea qu'à profiter de l'occasion, il ne s'amusa pas à parler à la comtesse de ce qui s'étoit passé le jour précédent, et moins encore à lui en faire quelques méchantes excuses; il ne vouloit pas réveiller de si fâcheuses idées, et il songeoit à se justifier auprès d'elle d'une manière plus forte et plus convaincante, bien plus par les effets que par les paroles.

      Dans cette généreuse résolution, et se sentant une vigueur extraordinaire, il embrassa sa maîtresse, et, sans lui donner le temps de lui demander ce qu'il vouloit faire, il alloit se saisir d'un bien qu'il avoit perdu, à ce qu'il croyoit, la nuit précédente par sa seule faute, et qu'il prétendoit être dû à son amour. La comtesse, qui ne savoit rien de tout cela, repoussa la main du Roi avec sa sévérité ordinaire, et lui demanda fièrement qui l'avoit rendu si hardi. Le Roi, qui crut qu'elle lui reprochoit sa faiblesse du jour précédent, lui dit: – «Vous avez raison, Madame, de vouloir savoir de moi qui m'a rendu si hardi, après la honteuse lâcheté où vous me vîtes tomber la nuit passée. – Je ne sais de quoi vous me parlez, lui répliqua froidement la comtesse.» Le Roi, qui crut toujours qu'elle vouloit dissimuler, et qui se flattoit peut-être qu'elle le vouloit épargner, en faisant semblant de ne se souvenir plus d'une chose qui le couvroit de honte: – «Je le veux bien, Madame, lui dit-il, que nous oubliions le passé, pourvu que vous me permettiez de profiter de ce moment favorable; ne vous opposez donc plus à mes désirs; je suis prêt à vous donner des marques si fortes de mon amour, qu'il ne tiendra plus qu'à vous que je ne sois le plus heureux de tous les amants. – Je vous ai dit si souvent, lui répliqua la comtesse, que j'ai pour vous toute l'estime et toute l'affection que l'honneur me peut permettre; vous devez, ce me semble, être content, et ne m'en demander pas davantage. – Il me semble pourtant, lui dit cet amant passionné, que, la dernière fois que je vous ai vue en masque, vous m'avez fait concevoir d'autres espérances; est-ce qu'en reprenant vos habits ordinaires, vous avez repris cette cruauté qui me fait mourir? – Je vous ai déjà dit, lui répliqua la comtesse, que je ne sais de quoi vous me parlez; mais je veux bien vous apprendre que je suis toujours la même, et que le masque peut bien déguiser mon visage, mais non pas changer mon cœur; apparemment vous aurez pris quelque autre pour moi.»

      Le grand Alcandre, qui crut qu'elle se repentoit des avances qu'elle lui avoit faites la nuit précédente, ne voulut pas la presser davantage, de peur de l'aigrir, sachant que les femmes ne veulent jamais avouer leur défaite. Il cessa donc de lui parler d'une chose qu'elle vouloit désavouer, et il songea à faire naître une occasion semblable à celle qu'il avoit perdue, et surtout à en profiter mieux qu'il n'avoit fait.

      Il ne l'eut pas plus tôt quittée, qu'il forma le dessein de continuer la mascarade dès qu'il feroit nuit, s'imaginant qu'à la faveur du masque et des ténèbres, il trouveroit sa maîtresse dans les mêmes dispositions pour lui, où il avoit cru la trouver la nuit précédente. – «Je vois bien, disoit-il en soi-même, qu'un reste de pudeur ne permet pas à cette comtesse de m'accorder pendant le jour ce qu'elle ne me refusera pas la nuit, et ce que j'aurois déjà obtenu d'elle sans mon malheur. Peut-être, ajouta-t-il, qu'elle craint un second affront, et que je tombe dans une disgrâce semblable à celle qui m'est arrivée. Mais je prendrai si bien mes mesures, qu'elle n'aura pas sujet de se plaindre de moi.»

      Flatté de cette pensée, il donna les ordres nécessaires pour une seconde mascarade. La plupart de ceux qui s'étoient masqués le jour précédent, changèrent d'habit et de masque, soit qu'ils voulussent plaire au Roi par cette diversité, soit qu'ils eussent quelqu'autre dessein. La comtesse, qui n'en avoit aucun, et qui ne se déguisa que parce qu'elle ne pouvoit pas s'en dispenser, n'y fit aucun changement, et parut avec les mêmes habits. La Montespan, qui la vouloit encore imiter pour les raisons que j'ai dites, sachant le dessein de la comtesse, par cette même fille qui étoit à sa dévotion, ne changea rien non plus à son ajustement; et voulant achever ce qu'elle avoit commencé, elle résolut de s'écarter quand il feroit nuit, et de se rendre dans le même endroit où le Roi l'avoit trouvée le jour précédent, lorsqu'il l'avoit prise pour

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