Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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comme la plupart des gens de qualité, couchoit dans un lit séparé de sa femme, d'où il l'alloit trouver quand il lui prenoit envie; il lui dit encore qu'il croyoit, à force d'argent, gagner celui qui gardoit la porte de la chambre, et de l'obliger à se défaire adroitement des autres domestiques, et d'introduire le Roi vers les onze heures du soir à la chambre du comte de L… Et pour ce qui est du comte, dont la présence étoit le plus grand obstacle, il l'engageroit à une partie de jeu, où ils passeroient une bonne partie de la nuit. Le Roi fut ravi de l'expédient que le duc lui proposoit, et il lui sembloit déjà qu'il étoit entre deux draps avec sa chère comtesse. Il lui commanda d'aller travailler promptement à ce dessein, et de venir aussitôt la rendre réponse.

      Dès que le Roi eut congédié le duc, il entra dans la chambre de la Reine, où il trouva sa chère comtesse et plusieurs autres dames de la première qualité. Il ne l'avoit pas vue, il y avoit quelques jours, et il fut bien aise de voir qu'elle reprenoit son embonpoint. Son mal, dont on craignoit de fâcheuses suites, étoit tout-à-fait guéri, et il ne lui avoit laissé qu'une certaine langueur dans les yeux et sur son visage, qui la rendoit plus aimable, et surtout au Roi, qui n'y voyoit plus, ce lui sembloit, cette même sévérité qu'il avoit toujours si fort redoutée. – «A ce que je vois, Madame, lui dit le Roi tout bas, nous sommes tombés malades en même temps, et je sens qu'à mesure que vous guérissez, ma santé reprend de nouvelles forces. – Si cela étoit comme vous me le dites, je prendrois encore plus de soin de ma santé que je ne fais, répliqua cette comtesse. – Si ma santé vous étoit chère, lui dit ce prince, en tournant sa tête vers la fenêtre, afin qu'elle en fit autant, et qu'ils pussent parler sans être entendus, vous me traiteriez un peu plus doucement. – Et comment voudriez-vous qu'on vous traitât, dit-elle? – Comme on doit traiter un homme qu'on veut conserver, et que vos rigueurs font mourir, lui dit le Roi. – Quand on fait ce qu'on peut, ajouta-t-elle, on n'en doit pas demander davantage. – Que le comte est heureux, dit alors le Roi, puisque vous pouvez faire pour lui ce que vous ne sauriez faire pour moi! – C'est un bonheur, Sire, lui dit-elle, que vous ne voudriez pas acquérir à ce prix-là. – Non-seulement à ce prix, si je le pouvois, lui dit ce prince passionné, mais au péril de mille vies. – Eh bien! lui dit-elle, puisque cela ne se peut pas, il n'y faut plus penser, et nous consoler, vous et moi.» Après cela, elle se tourna du côté de la compagnie, et le Roi trouva ces dernières paroles si obligeantes, qu'elles le rendirent content tout le reste du jour.

      Le Roi sortit quelque temps après, et il rencontra bientôt le duc de La Feuillade qui alloit trouver Sa Majesté pour lui rendre compte de sa commission. Il lui dit d'abord que les choses alloient comme il auroit pu le souhaiter; qu'il s'étoit assuré de ce domestique; que personne ne paroîtroit que lui dans le temps qu'il lui avoit marqué, et que le Roi pouvoit venir incognito, entrer dans la chambre du comte, et, quand il le trouveroit à propos, dans celle de la comtesse; que, pour le comte, ils devoient souper ensemble chez le prince de Marcillac24, et qu'ils avoient fait une partie de jeu, où il y auroit plusieurs dames. – «Et comme je lui ai demandé si la comtesse son épouse en seroit, il m'a répondu que non; que depuis sa maladie elle n'aimoit point à veiller, mais se couchoit toujours à dix heures. – Cela va le mieux du monde, dit le Roi; pour moi, je vais dire qu'on me laisse seul, et je me déguiserai si bien, quand il sera nuit, que je sortirai sans qu'on s'en aperçoive. Il n'y a que cent pas à faire pour être à l'appartement de la comtesse.

      Toutes choses étant ainsi disposées, le Roi se prépara à cette grande expédition; il comptoit les heures et les minutes, et jamais jour ne lui a paru si long. Enfin, la nuit vint, cette nuit tant désirée, et qui est si favorable aux amants.

      Quand les onze heures sonnèrent, qui étoit l'heure du signal, il sortit de son cabinet en robe de chambre avec un simple gentilhomme qui l'accompagnoit. Dès qu'il fut à la porte de l'appartement du comte, il dit à ce gentilhomme de l'attendre, et de ne dire à personne où il étoit, sous peine de la vie. Les courtisans étoient assez accoutumés à voir faire au Roi de semblables équipées, qui marche en cela sur les traces de son aïeul Henri le Grand. Le Roi ne paroît pas plus tôt, qu'il rencontre un homme qui, sans lui dire «qui va là?» le fait entrer dans la chambre du comte, comme si c'eût été son maître, et, sans s'informer d'autre chose, ferme la porte après lui. Le Roi ne fut pas plus tôt entré qu'il se reposa sur le lit du comte, et on auroit dit qu'il vouloit imiter en toutes choses le mari de la comtesse. Il est vrai qu'il ne s'amusa pas à dormir, mais il attendoit que le lièvre le fût, afin de tirer à coup sûr et qu'il pût le prendre au gîte. Quand il jugea que la comtesse pouvoit être endormie, il s'approcha tout doucement de son lit, et, laissant sa robe de chambre, il se glissa dans les draps du lit de sa maîtresse, sans qu'elle en sentît rien. Cet heureux amant, voyant qu'il avoit si bien réussi jusques-là, commença de prendre avec la comtesse toutes les privautés que prenoit le comte, dont il représentoit alors le personnage; il voulut faire en tout le mari; mais peut-être qu'il le voulut faire trop bien, comme dit La Fontaine, sur un sujet semblable25. Il n'eut pas plus tôt pris sa place qu'il reconnut d'abord que ce que la Montespan lui avoit dit de ces ulcères prétendus, n'étoit qu'une calomnie; il trouva un corps net et uni comme le cristal, et une peau la plus douce et la plus fine qu'il eût encore touchée. Après avoir reconnu tous les endroits de la place, et sentant que la comtesse étoit éveillée par le chatouillement que venoit de lui causer ce prétendu mari, il se mit en état de pousser l'affaire jusques au bout. La comtesse se tourna un peu de son côté, et, comme on ne s'amuse pas à parler dans ces occasions, et qu'il ne lui seroit jamais venu en pensée qu'autre que le comte la fût venu trouver dans son lit, elle ne rejeta point du tout ses premières caresses; mais, les recevant comme un doux fruit de leur mariage, elle y alloit répondre de son côté comme une bonne et fidèle épouse; mais il arriva une chose qui troubla les plaisirs qu'ils se préparoient de goûter. Comme elle avança un de ses bras pour embrasser celui qu'elle avoit pris jusques-là pour son mari, elle rencontra à l'endroit de ses reins une grosse verrue26 qu'elle n'avoit jamais trouvée sur le corps du comte, quoique sa main se fût promenée mille fois en cet endroit. Cela la surprit un peu, non pas qu'elle crût qu'un autre homme fût venu occuper sa place; mais cette nouvelle verrue lui fit rompre un silence qu'elle avoit gardé jusque-là. – «D'où vient, monsieur le comte, dit-elle, que vous avez là cette verrue que je n'avois pas remarquée? Parlez, dit-elle, vous ne me répondez point?» Ce silence parut suspect à la comtesse, et, voyant qu'on ne lui répondoit que par des embrassements, elle fit un grand effort pour se débarrasser de celui qui la tenoit; et, comme il la venoit rejoindre: – «Si tu ne me laisses, dit-elle, qui que tu sois, je t'arracherai les yeux, et je ferai venir mes gens.» Et, en disant cela, elle lui donna un coup d'ongle entre l'œil droit et la temple27, dont le Roi porta les marques qui parurent durant quelques jours, et dont peu de gens savoient la cause.

      Quand il vit que la comtesse alloit faire du bruit et appeler du monde, il crut que le plus sûr étoit pour lui de se retirer et de sortir comme il étoit entré. Le même homme qui lui avoit ouvert la porte en entrant, la lui ouvrit quand il vit qu'il vouloit sortir; et il trouva son gentilhomme qui l'attendoit, et qui l'accompagna jusques à l'entrée de la chambre de la reine, que le Roi fut trouver au lit, et qui profita sans doute de ce que ce prince avoit destiné pour la comtesse. Cette dernière ne dormit guère le reste de la nuit. Elle étoit en peine comment elle devoit se gouverner en cette rencontre. Elle ne douta point que ce ne fût le Roi qui l'étoit venu trouver au lit, qui, n'ayant pu jusqu'alors satisfaire son amour, s'étoit servi de ce dernier stratagême. Son premier dessein fut d'abord d'appeler ses domestiques, de leur dire qu'un homme étoit entré dans sa chambre, qu'elle vouloit savoir absolument qui l'y avoit introduit, la chose n'ayant pu se faire sans leur participation, et que, dès que le coupable lui seroit connu, elle en vouloit faire un exemple. Un peu après elle considéra l'éclat que cela feroit, les conséquences malignes que quelques-uns en pourroient tirer pour ternir sa réputation, le chagrin, et peut-être les soupçons qu'une affaire si délicate causeroit à son mari, et l'affront que le Roi lui-même en alloit recevoir, quand la chose seroit divulguée; enfin, plusieurs

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<p>24</p>

Le prince de Marcillac dont il s'agit ici est le même que nous avons rencontré dans le 1er volume de ce recueil, et qui est devenu duc de La Rochefoucauld en 1680, à la mort de son père, François VI, qui lui-même avait porté le nom de Marcillac jusqu'en 1650.

<p>25</p>

Est-ce dans le Quiproquo? Est-ce dans Richard Minutolo? On peut hésiter entre les deux.

<p>26</p>

Le Journal de la Santé du Roi ne parle pas de cette malencontreuse verrue; mais bien qu'en 1672 «Sa Majesté ait joui d'une santé digne d'elle», il avoit eu cependant, à plusieurs reprises, soit sur la poitrine, soit sur d'autres parties du corps de nombreuses tumeurs et duretés squirreuses.

<p>27</p>

La tempe. Cette forme s'est conservée dans le patois normand (voy. le glossaire de Du Bois); le glossaire genevois de Gaudy l'a également relevée. Furetière, Richelet n'admettent pas la forme tempe, aujourd'hui en usage. – Chapelain a dit, en parlant d'Agnès Sorel:

Les glaces lui font voir un front grand et modesteSur qui vers chaque temple, à bouillons séparés,Tombent les riches flots de ses cheveux dorés.

Le Richelet de 1719 n'admet encore que temple; mais le dictionnaire de Trévoux de 1732 dit: «tempe, voyez temple