Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin

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donne un rival, et un rival qui n'est pas à mépriser?» La comtesse, qui ne comprit pas d'abord ce qu'il vouloit dire, lui demanda s'il avoit quelque nouvelle maîtresse. – «Ce n'est point cela, lui dit son mari, c'est vous-même qui avez fait un amant.» La comtesse rougit un peu, et le comte attribua cette rougeur à la pudeur de sa femme. – «Et quel est cet amant, dit-elle, qu'on me donne? – On ne me l'a pas nommé, lui dit le comte, mais on dit que c'est un amant aimé, qui vous a souvent écrit, et à qui vous répondez d'une manière fort tendre; je ne vous croyois pas si secrète dans vos amours. – Elles sont si secrètes, lui dit la comtesse, que je n'en sais rien moi-même, et je vous promets que dès que cet amant paroîtra, vous en serez averti. Mais, toute raillerie à part, ajouta-t-elle, est-il bien vrai qu'on vous a fait un pareil rapport? – Il est aussi vrai, lui dit le comte, comme il est vrai que je n'en crois rien.»

      Cela remit entièrement l'esprit de sa femme, qui s'étoit un peu alarmée; et dès aussitôt que son mari l'eut quittée, elle brûla le billet qu'elle avoit reçu du Roi, qui étoit la seule chose qui pouvoit la convaincre de ce qu'on avoit tâché de faire croire au comte son époux; et pour la réponse qu'elle avoit faite à ce prince, elle étoit conçue avec tant de retenue et tant de sagesse, qu'elle ne craignoit pas que son mari pût lui en faire une affaire. Ainsi l'esprit jaloux de la Montespan n'avança rien de ce côté-là pour perdre sa rivale dans l'esprit de son mari.

      Elle attendoit que la santé du Roi fût un peu rétablie pour faire jouer d'autres ressorts, qui pussent le dégoûter de l'amour de la comtesse. Comme les maladies violentes ne sont pas de longue durée, celle du Roi, qui étoit une fièvre ardente, le quitta après le huitième jour. La Montespan le voyant déjà remis, et qu'il n'y avoit rien à craindre pour sa santé, fit ses visites plus longues, et ne songea qu'à divertir ce monarque, en lui apprenant tous les jours quelque nouvelle galanterie. – «Eh! vous ne me dites rien de la comtesse de L… dit le Roi à la Montespan, d'un air qui marquoit qu'il prenoit beaucoup de part à ce qui la regardoit. Est-ce qu'elle est sans intrigue? Est-ce qu'elle manque de charmes? Est-ce enfin, comme on me l'a assuré, qu'elle est aussi austère qu'une carmélite, et que sa vertu fait trembler tous ceux qui osent l'approcher?»

      La Montespan, qui attendoit à toute heure une semblable question de la bouche du Roi, fut bien aise de le satisfaire là-dessus, ou, pour mieux dire, de se satisfaire elle-même, en disant des choses de cette comtesse, qui pourroient empêcher le Roi de penser plus à elle. – «Sire, lui dit la Montespan, en affectant un air ingénu, ceux qui la connoîtront bien ne se feront pas une grande violence de renoncer à cette conquête, et ce ne sera pas sa vertu qui les en rebutera. – On dit pourtant, répliqua le Roi, que jamais femme n'a été plus sévère que celle-là. – Je ne sais pas, dit la Montespan, qui se plaint de sa sévérité; mais je sais bien que la maxime des fausses prudes, qui ne peuvent pas avoir des amants, est d'affecter une vertu austère, afin qu'on ne dise pas d'elles dans le monde que c'est faute d'appas qu'on les laisse là; mais c'est qu'elles sont plus chastes que tout le reste des femmes. – Ce que vous dites là, reprit le Roi, est bon pour celles qui sont sur le retour de l'âge, ou qui manquent de beauté, mais cela ne se peut pas dire de la comtesse; elle est jeune et belle, elle a l'esprit brillant et poli, et il y a peu de femmes à la Cour qui aient autant de charmes qu'elle. – Je conviens de ce que vous dites, répondit la Montespan, mais Votre Majesté me permettra de lui dire que c'est une belle pomme qui est gâtée au dedans. – Expliquez-vous, je vous prie, dit le Roi; est-ce qu'elle a des défauts cachés? – Je ne les ai pas vus, reprit-elle; mais il y a une femme qui la sert depuis longtemps qui a dit à l'une des miennes que sa maîtresse avoit des ulcères en divers endroits de son corps; qu'il n'y avoit qu'elle seule, qui les lui pansoit, et son mari, qui le sussent; et que lui-même en étoit si fort dégoûté, que la plupart du temps il ne couchoit pas avec elle. – Je suis surpris, repartit le Roi, de ce que vous m'apprenez. Cependant la comtesse a un embonpoint le plus frais et le plus beau du monde, et un teint des plus unis. – Et c'est cela même, dit la Montespan, qui produit cet embonpoint que vous dites; au moins c'est ce que j'entends dire tous les jours aux médecins, que toutes les mauvaises humeurs se jettent sur ces endroits, et que c'est pour cela que tout le reste du corps est si net et si poli. – Mais cela l'empêcheroit-il d'avoir des amants? dit alors le Roi. Peuvent-ils deviner une chose qui ne paroît pas du tout? – Je ne vous ai pas dit, Sire, répliqua la Montespan, que c'étoit cette raison qui éloignoit les amants. Mais j'ai dit à Votre Majesté, si elle y a pris garde, que c'est ce défaut, qui n'est que trop connu d'elle-même, qui lui fait fuir souvent le grand monde et lui fait aimer la retraite. Que lui serviroit après tout, ajouta-t-elle, de faire des amants qu'elle n'oseroit rendre heureux, quelque envie qu'elle en eût? ou si elle en venoit jusque-là, elle est assurée qu'ils se dégoûteroient d'abord, et qu'elle les perdroit de la manière la plus honteuse pour des personnes de notre sexe. – Elle fera donc bien de s'en tenir, dit le Roi, à ce qu'on appelle la petite oie21, et de ne laisser prendre à ses amants que le dehors de la place. – Cela seroit bon, dit la Montespan, si on pouvoit s'en tenir là; mais vous savez, Sire, qu'en amour, on va plus loin qu'on ne pense.»

      Après cela, cette malicieuse femme, qui vouloit se réjouir aux dépens de sa rivale, dit que si son mari étoit jaloux, il n'avoit qu'à faire voir sa femme toute nue, et qu'il ne devoit pas craindre qu'il lui arrivât jamais ce qui arriva à cet ancien roi de Lydie. Le Roi, qui ne se pique pas fort de lecture, pria la Montespan de lui raconter cette histoire. – «La voici, dit-elle, Sire, en peu de mots, telle que je l'ai lue dans Hérodote. Candaulès, qui étoit le nom de ce prince, avoit une femme extrêmement belle, et, par une bizarrerie dont on ne sait pas la cause, il la fit voir toute nue à Gigès son favori, qu'il avoit fait cacher dans la chambre de la Reine. – C'étoit sans doute, dit le Roi, pour lui faire voir que son corps étoit aussi beau que son visage. – Il l'étoit en effet, dit la comtesse, et Gigès en devint amoureux; mais je ne crois pas que le comte doive craindre rien de semblable, de ceux qui verroient sa femme dans le même état. – Je n'aurai jamais cette curiosité, dit le Roi, voulant dissimuler sa passion; mais je suis fâché pourtant, pour l'amour de cette comtesse, que les apparences soient si trompeuses, et que, sous un si beau dehors, il y ait des choses si dégoûtantes. – Si Votre Majesté y prenoit la moindre part, je serois bien fâchée, dit la Montespan, de vous avoir dit une chose qui pût vous faire quelque chagrin. Mais en cas qu'il vous prît jamais envie de l'aimer, ajouta-t-elle, avec un souris forcé, il est bon que votre Majesté en soit avertie, de peur qu'elle n'allât trop avant, et qu'elle ne voulût voir des choses qui ne lui feroient pas plaisir. – Je vous sais gré de ce bon avis, lui dit le Roi, mais cela ne m'arrivera jamais.»

      La Montespan ne fut pas plus tôt sortie, que le Roi fit de profondes réflexions sur ce qu'elle lui avoit dit. C'est un terrible embarras pour un amant qui aime une femme jusques à l'adoration, quand on lui vient dire qu'elle a des défauts cachés. Le Roi ne remarquoit rien en la comtesse qui ne l'assurât que c'étoit une beauté achevée. Sa gorge et son visage démentoient déjà le discours de la Montespan, et s'il n'avoit pas vu tout le reste, il en avoit assez vu, le jour de sa dernière chasse, pour lui faire juger que tout ce qu'on venoit de lui dire n'étoit qu'une calomnie. Il soupçonna même que la Montespan, ayant eu quelque connaissance de l'inclination qu'il avoit pour la comtesse, pourroit avoir inventé toute cette fable pour l'en dégoûter. Il savoit qu'elle étoit fort audacieuse, et d'une humeur fort jalouse. Enfin, il alla se ressouvenir que le même jour qu'il avoit laissé tomber le billet de la comtesse, après qu'il se fut endormi, on lui dit que la Montespan étoit entrée dans sa chambre, et qu'après avoir demeuré quelque temps à la ruelle du lit, elle s'étoit retirée, de peur d'éveiller le Roi. Faisant réflexion à toutes ces choses, il ne douta point que tout ce que la Montespan venoit de lui dire ne fût de son invention: de sorte que tous ses stratagêmes furent inutiles, et ne firent aucun mal à sa rivale. Elle vécut toujours le mieux du monde avec son mari qui n'eut pas le moindre soupçon de sa fidélité, et le Roi l'aima plus que jamais.

      Ce monarque ne pouvoit plus contenir son feu; les divers assauts qu'il avoit donnés à sa maîtresse, et qui avoient toujours échoué, ne servoient qu'à l'enflammer davantage, et à rendre ses

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<p>21</p>

«Petite oye, dit Furetière, est ce qu'on retranche d'une oye pour la faire rôtir, comme les pieds, les bouts d'ailes, le cou, le foye, le gesier… Petite oye se dit figurément des rubans et garnitures qui servent d'ornement à un habit, à un chapeau, etc… La petite oye consiste aux rubans pour garnir l'habit, le chapeau, le nœud d'épée, les bas, les gands, etc. —Petite oye se dit, en matière d'amour, des menues faveurs qu'on peut obtenir d'une maîtresse dont on ne peut avoir la pleine jouissance, comme baisers, attouchements, etc.» – A la p. 111 du très-curieux roman intitulé Araspe et Simandre (2 vol. très-petit in-8o, 1672), on lit: «tel craint de donner dans une étoffe trop chère, qui, ajustant avec beaucoup de rubans une bien moindre, ne laisse pas de se trouver agréablement vêtu; c'est ce qu'on appelle la petite oye; c'est ce que nous donnons quelquefois, et ce que (l'auteur est une femme) nous ne devrions jamais donner.»