Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste
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Pendant huit et neuf mois, la neige couvre donc l’Athabaska-Mackenzie.
Sur ce linceul s’étend à son tour la longue nuit du solstice, nuit absolue de vingt-quatre heures au bord de la section polaire, et plus prolongée à mesure que l’on s’avance vers le pôle même. Bien loin dans le sud du Mackenzie, le soleil de décembre et de janvier ne s’appuie qu’à peine, vers midi, sur l’horizon du Grand Lac des Esclaves, et son regard est aussi glacial que l’haleine de la nuit, dans laquelle il se recouche aussitôt.
De quarante à cinquante missionnaires se partagent cette neige et ces nuits, avec les neuf ou dix mille indigènes.
Répartie également sur la superficie de l’Athabaska-Mackenzie, cette population donnerait la moyenne d’une âme par 250 kilomètres carrés.
Les centres de ralliement reconnus par la géographie et par le précaire service postal sont les forts-de-traite. Ces forts, stations de ravitaillement et comptoirs d’échanges pour les fourrures, établis par les commerçants, n’ont encore vu s’ajouter à leurs édifices que les seules habitations des missionnaires. Une douzaine de cabanes, qu’occupent les sauvages attachés au service du commis traitant ou de la mission, complètent les localités pompeusement appelées: Fort Résolution, Fort Smith, Fort Simpson, Fort Norman, Fort Good-Hope, etc…
En certaines contrées du Nord-Ouest, cette expression guerrière signifia vraiment, soit un asile de défense contre les tribus indiennes plus agressives, soit une citadelle armée contre les concurrents dans le commerce. Les fourrures étaient tout alors. Autour d’elles gravitaient toutes les envies, toutes les querelles. Ainsi peut-on encore voir, à York et à Churchill, les anciennes forteresses, bastionnées à la Vauban, munies du système complet d’obstacles défensifs: glacis, fossés, escarpes, parapet, rempart et affûts d’artillerie. Ces fortifications, élevées à l’aide de matériaux importés d’Angleterre sur les bords de la baie d’Hudson, furent le théâtre des luttes que nous savons entre la Compagnie des Aventuriers et la France. D’autres redoutes se construisirent également dans l’intérieur du continent, mais déjà moins imprenables. Au nord, dans notre pacifique territoire d’Athabaska-Mackenzie, le nom seul de fort a pénétré et subsisté. La réalité consiste en l’assemblage de deux ou trois maisonnettes, entourées d’une palissade de faibles pieux fichés en terre, et dont la porte – lorsque porte il y a – demeure ouverte à tout venant.
Etablis sur les bords des rivières et des lacs, qui les rendent accessibles durant l’été, les forts participent, l’hiver, au nivellement général du pays par les neiges et les glaces.
L’établissement qu’il possède, près du fort-de-traite, est le pied à terre du missionnaire, et le poste à demeure de son saint ministère, surtout s’il s’y trouve un orphelinat ou un hôpital.
Deux fois l’an, à la débâcle, qui marque l’époque de la vente des fourrures, et à Noël, qui est la grande fête des Indiens, il voit venir à lui une partie de ses ouailles. Rarement un sauvage chrétien paraîtra dans les environs de la «mission», sans se confesser, recevoir «le pain de Celui qui a fait la terre», et se munir, pour lui-même et pour les siens, de chapelets, de médailles, de scapulaires. Ces deux rencontres annuelles apportent au prêtre, avec la fatigue d’un travail intense, une joie qu’il n’échangerait pas pour la couronne des rois. Il a revu ses enfants. Il a entendu le récit détaillé de leur vie. Il les a instruits, encouragés, réconfortés. Sa bénédiction les accompagnera jusqu’à l’autre printemps, ou l’autre Noël.
Mais tout le bercail n’était point là! Bien loin du fort et de la mission, au fond des bois, dans les parages des orignaux ou des rennes, il reste ceux qui n’ont pu venir: les vieillards, les femmes chargées d’enfants, les infirmes. Autant d’affamés de la parole et de la nourriture du bon Dieu qui attendent le missionnaire.
Or, les visites aux camps lointains ne sont guère praticables qu’à la faveur de l’hiver.
Pour nous former l’idée de ces voyages dans les immensités des hivers arctiques, laissons notre esprit retourner à l’époque de la «Gaule chevelue», que n’avaient pas encore défrichée les moines. Refaisons un tout de la Hollande, de la Belgique, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de la Suisse. Supprimons les cités, les bourgades, les routes départementales et vicinales, qui sont l’orgueil de nos belles nations. Supposons-les inexplorées, entièrement sauvages, depuis la Méditerranée jusqu’à la mer du Nord, et ne formant de leurs rivières, de leurs lacs, de leurs terres et de leurs bois qu’un bloc de glace et de neige, tenu compact par un froid constant de vingt à cinquante degrés centigrades. Tel est le vicariat d’Athabaska-Mackenzie. Plaçons maintenant quelques masures à l’endroit occupé par Bruxelles; quelques autres, les voisines, à Lille; autant à Paris, à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Madrid. De l’un à l’autre de ces baraquements, ni relai, ni hôtellerie, nul être vivant sur qui l’on puisse compter. Tels sont nos forts-de-traite avec nos missions et les distances qui les séparent.
Tel est le champ de course des missionnaires du Nord.
L’ensemble des missions forment le vicariat. Les trois ou quatre groupes de familles indiennes, qui poursuivent le gibier sauvage dans le rayon indéfini de chaque mission, forment la paroisse.
L’hiver se passe, pour le vicaire apostolique, à visiter les missions de son vicariat; et, pour le missionnaire curé, à visiter les hameaux errants de sa paroisse.
Un voyage sans encombre d’une mission à l’autre, pour l’aller seulement, serait de quatre à six jours. Mais les intempéries et les accidents multiplient souvent ces longueurs.
Pendant les trois ans qu’il mit à faire la première tournée apostolique de l’Athabaska-Mackenzie, Mgr Grandin ne put dépasser le Cercle polaire. Il ne pénétra même pas dans le district de la rivière la Paix. Mgr Clut, dont la longue vie épiscopale se consuma à parcourir le vicariat, comptait quatre années par visite pastorale; et encore était-il forcé, chaque fois, d’omettre quelques missions.
Les moyens de voyage, les seuls, sont le traîneau et les raquettes.
Le traîneau est tiré par des chiens.
A l’est des montagnes Rocheuses, les chevaux n’ont pas dépassé le soixantième degré de latitude. Outre l’impossibilité de les entretenir actuellement dans les régions plus septentrionales, ils y seraient inutiles, faute de routes.
Les uniques coursiers du Nord sont donc fournis par la race canine. Race mêlée, indéfinissable, à dominante de loup, chez les Dénés; race plus pure, mais plus louve encore, chez les Esquimaux.
Mgr Grouard décrit l’attelage:
«Se figure-t-on ce que sont nos traîneaux? On pourrait croire qu’ils ressemblent à ces véhicules montés sur de légers patins dont l’usage est commun dans les villes et les campagnes des pays civilisés, où l’hiver et la neige durent assez longtemps pour nécessiter leur emploi. Cependant la différence entre ces traîneaux et les nôtres est considérable.
«Prenez trois planchettes de bouleau larges de trois pouces et demi et longues de dix pieds; joignez-les ensemble par des barres transversales attachées solidement avec de minces cordes de peau appelées babiches; relevez-les, à la tête, en forme de volute, que vous maintenez en place à l’aide de bons liens (on donne à cette volute le nom de chaperon).
«A fleur du sol, de chaque côté, sont les tires, deux anneaux de cuir où l’on accroche les