Eaux printanières. Turgenev Ivan Sergeevich

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Eaux printanières - Turgenev Ivan Sergeevich

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cravate, subissait le charme de ce beauvisage, bien qu'il le vît tous les jours.

      Le duettino terminé, Frau Lénore dit qu'Emilio possédait une trèsbelle voix – un timbre d'argent, mais qu'il était à l'âge où la voixchange et qu'il lui était défendu de chanter. C'était à Pantaleone de seressouvenir, en l'honneur de leur hôte, des airs qu'il chantait si bienautrefois.

      Pantaleone fit la mine, se renfrogna, ébouriffa ses cheveux et déclaraque depuis des années il avait abandonné le chant, bien qu'il fût untemps où il pouvait être fier de son talent. Il ajouta qu'il appartenaità cette grande époque où il y avait encore de vrais chanteursclassiques – qu'on ne saurait comparer aux glapisseurs de nos jours.Alors il y avait vraiment ce qu'on est en droit d'appeler une école dechant, et quant à lui, Pantaleone Cippatola de Varèse, ne lui avait-onpas jeté à Modène une couronne de lauriers et n'avait-on pas lâché enson honneur des pigeons blancs sur la scène? Enfin, un certain princeTarbousski —il principe Tarbusski – avec lequel il était intimementlié, ne le tourmentait-il pas chaque soir pour l'engager à faire unetournée en Russie, où il lui promettait des montagnes d'or, desmontagnes d'or!.. Mais Pantaleone était bien décidé à ne pas quitterl'Italie, le pays de Dante, il paese del Dante!..

      Ensuite vinrent les malheurs, il avait été imprudent…

      Ici le vieillard s'interrompit, poussa deux profonds soupirs, baissa lesyeux puis se remit à parler de l'époque classique du chant, et enparticulier du célèbre ténor Garcia, pour lequel il nourrissait uneadmiration sans bornes.

      – Voilà un homme! s'écria-t-il. Jamais le grand Garcia – «il granGarcia» – n'a condescendu à chanter comme les petitsténors —tenoracci– d'aujourd'hui, en fausset; toujours avec la voix depoitrine, voce di petto, si!

      Le vieillard de son poing frappa violemment son jabot.

      – Et quel acteur! Un volcan, Signori miei, un volcan, un Vesuvio!

      J'ai eu l'honneur de jouer avec lui dans l'opéra de l'illustrissimo maestra Rossini – dans Othello. Garcia était Othello, je jouais

      Jago. – Et quand il prononçait cette phrase:

      Pantaleone prit l'attitude d'un chanteur et d'une voix tremblotante, enrouée, mais toujours pathétique lança:

      L'i-ra daver… so daver… so il fato. Io piu no… no… no… nontemero.

      – … Le théâtre tremblait, Signori miei! Et moi je ne restais pas enarrière, et je répétais après lui:

      L'i…ra daver… so daver… so il fato Temèr piu non dovro!

      … Et lui, tout à coup, comme un éclair, comme un tigre: Morro!.. mavendicato.

      … Ou quand il chantait… quand il chantait l'air célèbre de«Matrimonio segreto» Pria che spunti… Alors il gran Garcia,après ces mots: I cavalli di galoppo, il faisait, écoutez bien, vousverrez comme c'est merveilleux, com'è stupendo!..

      Le vieillard commença une fioriture très compliquée – mais à la dixièmenote il s'arrêta, toussa et avec un geste de désespoir dit:

      – Pourquoi me tourmentez-vous de la sorte?

      Gemma battit des mains de toutes ses forces et cria: bravo! bravo! puiscourut vers le pauvre «Jago» et des deux mains lui donna des tapesamicales sur l'épaule.

      Seul Emilio riait sans se gêner. Cet âge est sans pitié, La Fontaine l'adéjà dit.

      Sanine s'efforça de consoler le vieux chanteur en lui parlant dans salangue. Au cours de son dernier voyage il avait pris une teintured'italien; il se mit à parler du paese del Dante dove il si suona:cette phrase et ce vers célèbre «Lasciate ogni speranza» formaienttout le bagage poétique italien du jeune touriste.

      Mais Pantaleone ne se laissa pas réconforter par ces attentions. Ilenfonça encore plus profondément son menton dans sa cravate et roulantdes yeux furieux ressembla plus que jamais à un oiseau hérissé, maiscette fois à un méchant oiseau, un corbeau ou un milan royal…

      Alors Emilio, qui rougissait pour rien et à tout propos, comme il arriveaux enfants gâtés, dit à sa sœur que si elle voulait amuser leur hôte, elle ne pouvait mieux faire que de lui lire une des comédies de Malz,qu'elle lisait si bien.

      Gemma éclata de rire, donna une petite tape sur la main de son frère etlui dit qu'il avait toujours «de drôles d'idées!» Pourtant elles'empressa d'aller dans sa chambre et revint tout de suite avec un petitlivre à la main. Elle s'assit à la table devant la lampe, regarda autourd'elle, leva le doigt «taisez-vous messieurs» – geste très italien – et semit à lire à haute voix.

      VII

      Malz était un écrivain local qui avait su peindre des types de Francfort avec un humour amusant, vif, bien que peu profond, dans de petitescomédies légèrement esquissées, écrites en patois.

      En effet, Gemma lisait fort bien, en vraie comédienne. Elle nuançaitchaque rôle et savait à merveille soutenir le caractère des personnages; elle avait hérité avec le sang italien la mimique expressive de cepeuple. Elle n'épargnait ni sa voix douce, ni la plasticité de sonvisage; quand elle devait représenter une vieille folle ou unbourgmestre imbécile, elle faisait les grimaces les plus grotesques, bridait ses yeux, retroussait ses narines, prenait une voix glapissante, grasseyait…

      Elle ne riait pas en lisant, mais quand ses auditeurs – à l'exception dePantaleone, qui était sorti de la chambre dès qu'il avait été questionde lire l'œuvre d'o quel ferroflucto Tedesco– l'interrompaient par uneexplosion de rire, elle laissait glisser le livre sur ses genoux, et latête rejetée en arrière se livrait à des éclats de rire sonores quisecouaient les anneaux mœlleux de ses boucles sur son cou et sesépaules.

      Dès que l'hilarité de son auditoire s'était calmée, elle reprenait sonlivre, et redevenue sérieuse recommençait sa lecture.

      Sanine ne pouvait se rassasier d'admirer la lectrice, se demandantcomment ce visage si idéalement beau pouvait sans transition prendre uneexpression si comique et parfois presque triviale.

      Gemma réussissait beaucoup moins bien à rendre les rôles de jeunesfilles, les «jeunes premières», et surtout elle manquait les scènesd'amour; elle-même sentait son insuffisance et leur donnait une légèreteinte de moquerie, comme si elle ne croyait pas à tous ces sermentsenthousiastes, à toutes ces paroles enflammées, dont l'auteur, du reste,s'abstenait le plus possible.

      La soirée passa si vite, que Sanine ne se souvint qu'il devait partir cesoir-là que lorsque la pendule sonna dix heures…

      Il bondit de sa chaise comme si un serpent l'eût piqué.

      – Qu'avez-vous? demanda Frau Lénore.

      – Mais je dois partir ce soir pour Berlin, j'ai déjà retenu une placedans la diligence.

      – Et quand part la diligence?

      – À dix heures et demie.

      – Alors vous arriverez trop tard, dit Gemma… Restez encore un peu…je continuerai ma lecture…

      – Avez-vous payé la place entière ou seulement donné des arrhes? demanda

      Frau

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